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Derniers chiffres immobiliers : le risque de la myopie

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On a dénoncé il y a quelque six ans, et je n'y étais pas pour rien, la fragilité de notre appareil statistique quant aux prix et aux volumes des ventes de logements anciens. Que s'est-il passé depuis ?

Pas grand chose au fond. Une mission confiée aux notaires de bâtir un observatoire national des avant-contrats et bien sûr des actes définitifs, qu'ils peinent un peu à mettre en place. Au demeurant, des textes règlementaires se sont fait attendre, indispensables à cette construction, devant préciser par exemple quelles données devraient être consignées et traitées, voire rendues publiques ou pas. La question de la rémunération de la mission et de son imputation était également à trancher.

Dans l'intervalle, tant que ce qui sera un juge de paix ne pourra parler, chacun y va de sa voix. La Chambre francilienne des notaires, pionnière en la matière, fait partie de ces voix et elle est autorisée. Elle vient de révéler une augmentation légère des prix dans la capitale, et voilà que les exégèses vont bon train. En outre, les discours scientifiques font vite place aux interprétations politiques. Par exemple, on peut soutenir sans être contesté que la coïncidence est troublante entre les efforts du gouvernement pour calmer le jeu et le résultat inverse. Cela n'accréditerait-il pas la thèse que Cécile Duflot notamment n'avait rien compris ?

Il faut être sérieux sur deux plans. D'abord, la frénésie de l'observation et de l'interprétation des chiffres n'est pas moins dangereuse que l'indigence statistique. Ne pas prendre la tension du malade hypertendu est coupable, la lui prendre chaque quart d'heure pourrait même l'énerver et en tout cas ne respecterait pas le rythme de rétablissement de l'organisme. Une fréquence diagnostique anormale conduirait aussi à confondre l'aberration et l'homéostasie: tenez, j'ai été ému hier et mon cœur s'est mis à battre très vite... Suis-je structurellement cardiaque? Non, rien ne permet de penser que le marché, qui est un élan collectif, une vague, s’affole, simplement parce que ni la solvabilité des ménages ni les conditions de crédit ne le permettent. Les crédits sont distribués avec plus de parcimonie et de cherté que naguère, et les revenus des parisiens ou de ceux qui veulent le devenir n'ont pas grimpé, loin de là.

Il est possible que la reprise des volumes enregistrée au premier trimestre ait incliné certains vendeurs à anticiper une hausse dans le prix de présentation et que la demande ait pour partie suivi, mais l'hirondelle ne fait pas le printemps. Il est même possible que cette réanimation du marché ait d'abord porté sur des biens aux prestations plus courantes, donc moins chers, et que se soient cédés ensuite des biens aux prestations supérieures.

Ensuite, faut-il toujours ajouter des discours politiques aux discours scientifiques, statistiques en tout cas? Je ne le crois pas. Il vaut mieux prendre du recul, se donner le temps de l'analyse. La pente actuelle est inverse: dans le secteur du logement, le médecin qui identifie un mal bénin va immédiatement se croire obligé de se prononcer sur les dérèglements du climat ou des mœurs ou pointer du doigt je ne sais quelles causes fondamentales.

L'agitation des esprits est dangereuse. En plus, les discours tenus sont performatifs dès lors qu'ils ont l'apparence de l'assurance. En clair, si l'on dit que l'augmentation constatée sur courte période marque une tendance, les acteurs économiques que sont les propriétaires vendeurs ou encore les mandataires auront à cœur de la confirmer... On aura fait le jeu de la hausse, quand même les prix étaient bel et bien en train de s'ajuster.

Par les temps qui courent, il faut se garder de la myopie et de l'impressionnisme, pour préférer la hauteur de vue. Il est difficile de la demander aux décideurs publics si les observateurs économiques, a priori rythmés par la chronologie de l'entreprise et les mouvements longs, n'en font pas preuve.

Henry Buzy-Cazaux