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Encadrement des loyers : de l'approche idéologique à l'approche commerciale

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Ça y est, la menace de la loi Alur a été mise à exécution. Le gouvernement vient de publier le décret relatif à l'encadrement des loyers d'habitation à Paris intra muros. Ce texte précise le mécanisme dont la loi du 24 mars 2014 avait posé le principe, en stipulant ce qu'est le loyer de référence, comment il sera indiqué aux bailleurs et aux locataires, quelles sont les marges de manœuvre sur cette base, ou encore ce qui peut justifier un loyer complémentaire. On apprend aussi à l'occasion de la publication du décret le détail des voies de recours, le locataire disposant de cinq mois pour contester le loyer pour le cas où il l'estimerait mal fixé par rapport au loyer de référence et aux caractéristiques du bien.

Les lobbies de la propriété immobilière, de la transaction et de la gestion n'ont pas désarmé depuis le vote de la loi support. Ils brandissent simplement aujourd'hui une autre arme, celle du recours administratif et judiciaire. Qu'en penser? D'abord que les juridictions qui seront saisies se prononceront et qu'il n'appartient pas aux observateurs d'anticiper sur d'éventuelles décisions de justice. Pour autant, il est peu probable que ces actions trouvent une issue avant longtemps. D'ici là, les réactions des représentants des bailleurs et des mandataires sont-elles les bonnes?

Disons qu'elles ressortissent encore à l'idéologie économique. On peut en effet considérer que juguler les loyers risque de faire fuir les investisseurs, parce que la contrainte est incompatible avec la liberté d'entreprendre et parce que le rendement locatif peut être reduit par la bride posée sur les loyers, au moins dans un certain nombre de cas. On pourrait aussi soutenir que, les loyers étant baissiers du fait de la désolvabilisation de la demande, le couvercle sur une marmite qui n'est plus en ébullition sera supportable. On pourrait aussi dire que, par définition, les loyers médians rendent compte du marché et que les limites ne pénaliseront que les excès. C'était d'ailleurs l'argumentation de Cécile Duflot ou encore de Daniel Goldberg, co-rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale.

Il faut juste rappeler que l'encadrement des loyers, annoncé dans l'engagement numéro 22 du candidat Hollande à la présidence de la République, a immédiatement été populaire. L'a-t-il été seulement auprès des locataires? Pas si sûr. Combien de fois ai-je entendu par exemple de la part de parents d'étudiants, eux-mêmes bailleurs, que le montant des loyers de telle ville universitaire était insupportable ! En clair, tout porte à croire que la population française n'était pas opposée, loin s'en faut, à ce contrôle des prix autoritaires.

C'est le passé et chacun sait que la donne politique a changé. Il n'est pas sûr qu'elle ait changé sur ce point. D'ailleurs, où est le détricotage annoncé par Monsieur Valls ? Il a calmé le jeu en ne mettant en œuvre l'encadrement des loyers qu'à Paris et alentour, et à Lille. Les maires de ces deux villes n'ont en effet jamais tiédi sur le sujet. Et ailleurs? La disposition de l'Alur qui a créé l'encadrement n'a pas été abrogée et les observatoires locaux, préalables nécessaires, sont bel et bien en train de s'installer... Pis: d'après la loi, où il y aura observatoire, il y aura encadrement. Le Premier ministre n'ignore rien de tout cela et je ne sache pas qu'après avoir pesté contre la loi Alur, il ait agi contre l'encadrement.

Tout ça pour dire et redire que l'héritage de Madame Duflot est plus que son héritage. Mais l'approche idéologique est-elle opportune dans ce contexte ? On la comprend venant des représentants des bailleurs, UNPI ou Chambre nationale des propriétaires. Pour les autres, représentants des agents immobiliers et des administrateurs de biens, l'approche commerciale, un brin cynique, ne serait-elle pas davantage de saison ?

Oui, voilà que se met en place un dispositif d'une grande complexité, indigeste pour les particuliers. Ceux qui annoncent une recrudescence des contentieux en commissions départementales de conciliation ou devant les tribunaux n'ont pas tort. Les locataires brandiront la loi et le règlement s'ils ont l'impression que leur loyer a été mal fixé. La latitude de 20% au-dessus et de 30% au-dessous du loyer de référence pourrait bien être mal calculée ou encore la référence mal lue dans l'arrêté à paraître avant le 1er août prochain. C'est surtout l'appréciation du caractère exceptionnel du bien -utilisons ce terme, que le Conseil constitutionnel a censuré, sans pouvoir altérer l'esprit de la disposition...-, pouvant jusitifier d'un complément de loyer, qui va être sujette à caution, comme l'a noté l'excellent économiste du logement Michel Mouillart, artisan de l'observatoire national Clameur.

Les professionnels, eux, qui sont des décodeurs de complexité, devraient à l'inverse voir dans cet encadrement une chance d'imposer leur valeur ajoutée.

Rappelons que les 2/3 seulement des quelque 6,5 millions de logements locatifs sont gérés par des administrateurs de biens, le 1/3 restant étant auto-géré par les propriétaires des biens concernés. Quant aux locations, les professionnels n'en assurent qu'une sur deux. Les deux chiffres ne concordent pas parce qu'une proportion de bailleurs recourent à un mandataire pour trouver le locataire, mais reprennent ensuite la main pour gérer la vie du contrat de bail.

Si j'étais investisseur, dans le neuf comme dans l'ancien, je préfèrerais aujourd'hui me délester sur un professionnel de l'embarras de fixer le loyer. Il équilibrerait à ma place l'équation de calcul du loyer et assumerait les conséquences d'une éventuelle contestation et d'un différend, en engageant sa responsabilité civile s'il le fallait.

Iconoclaste jusqu'au bout, j'ose soutenir que si d'autres encadrements voyaient le jour dans d'autres villes, ils serviraient la cause professionnelle.

On objectera que les investisseurs vont partir. C'est oublier que la modération des loyers a pour corollaire la baisse des impayés et des déprédations qui y sont attachées, seul véritable aléa de l'investissement locatif. En somme, l'érosion faciale du rendement est sans doute compensée par la réduction de l'aléa, lui-même compromettant pour la rentabilité.

C'est oublier aussi que les placements alternatifs compétitifs sont peu nombreux, et notamment que l'espoir de plus-value d'un logement locatif -l'encadrement ne visant que des marchés tendus, où les actifs immobiliers se valorisent- est considérable.

C'est oublier enfin que la fiscalité dite du "déficit foncier" est avantageuse, et qu'elle encourage les propriétaires à engager des travaux à crédit pour atténuer leur impôt, tout en valorisant leur patrimoine et le niveau du loyer exigible. Aucun placement ne permet cet effet de levier vertueux.

En clair, particuliers et professionnels ne peuvent pas lire de la même manière la nouvelle règlementation. Les seconds ne devraient pas tarder à le réaliser. Ils seraient fondés à lancer une puissante offensive commerciale sur les propriétaires investisseurs. Au passage, le marché locatif y gagnerait en clarté et en rigueur de fonctionnement, et le parc locatif en confort. En particulier, les professionnels sont les seuls à pouvoir conduire les propriétaires à requalifier leurs biens par l'entretien et la rénovation.

Deux approches donc, l'idéologique et la commerciale, pour deux catégories d'acteurs économiques différents. La première pourrait bien ne pas prospérer, quand la seconde est sans conteste porteuse de prospérité pour les agents immobiliers et les administrateurs de biens, voire pour les promoteurs qui préconisent à leurs investisseurs le recours à un mandataire.

Henry Buzy-Cazaux