BFM Immo
Pierre-Yves Rossignol

L'émergence d'un droit de la faillite des copropriétés

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L’Administration des copropriétaires en difficulté se limitait auparavant à un transfert des pouvoirs de décisions des organes dirigeant la copropriété, à un administrateur judiciaire chargé de rétablir le fonctionnement normal du syndicat.

Avec la loi du 24 mars 2014, une véritable procédure collective a été instaurée afin de traiter la défaillance des copropriétés. On y retrouve certaines des caractéristiques classiques des procédures collectives : affaiblissement des droits des créanciers, intervention du juge, et renforcement du pouvoir de l’administrateur provisoire.

C’est à partir de la loi du 21 juillet 1994 qu’un traitement judiciaire spécifique des copropriétés en difficulté s’est imposé en droit français, aucune disposition particulière n’ayant été prévue par la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété.

A partir des années 2000, les grandes copropriétés sous administration provisoire ont bénéficié de la procédure du plan de sauvegarde introduite par la loi SRU.

La loi du 28 mai 2009 a instauré une procédure préventive de "mandat ad hoc" afin d’éviter le déclenchement d’une procédure d’administration provisoire, de manière préventive, à l’image de la procédure existant en droit de la faillite.

Avec la loi du 24 mars 2014, le législateur impose une solution collective d’apurement du passif et protège la Copropriété des poursuites de ses créanciers, comme le ferait une entreprise se plaçant sous la protection du droit de la faillite :

Ainsi, l’ouverture de la procédure de l’administration provisoire va produire automatiquement dès son prononcé le gel pendant 12 mois des créances dont l’origine est antérieure à la désignation de l’administrateur provisoire.

Les créanciers ont l’obligation de déclarer leur créance entre les mains de leur Administrateur dans un délai de trois mois, sous peine de ne pas participer au remboursement ultérieur du passif.

Toutes les procédures de recouvrement engagées par les créanciers concernés sont suspendues, afin de laisser à l’administrateur provisoire le temps nécessaire pour mettre en place un plan de redressement.

Ce que l’on peut appeler la "période d’observation" - qui suit la procédure la désignation de l’administrateur provisoire - peut durer plus de 18 mois, ce qui sera très certainement long pour les créanciers et notamment les fournisseurs !

Il est fait interdiction aux prestataires de la copropriété de résilier le contrat pour cause d’impayés ayant une origine antérieure à la désignation de l’Administrateur provisoire.

Le cas échéant, un co-contractant récalcitrant pourra se voir imposer par le juge la poursuite du contrat à la demande de l’administrateur.

L’administrateur provisoire reçoit pour mission de préparer un plan d’apurement des dettes sur une durée maximale de 5 ans.

Les créanciers seront consultés, mais il reviendra au tribunal d’homologuer ce plan d’apurement.

La solution est plus favorable que pour les créanciers d’une société commerciale dès lors que celle-ci peut se voir imposer le remboursement d’une créance sur 10 ans.

Toutefois, l’administrateur de la copropriété peut saisir le Tribunal pour obtenir une prorogation du plan initial…

L’article 29-7 de la loi prévoit même la possibilité pour le juge d’effacer, à la demande de l’administrateur provisoire, tout ou partie des dettes du syndicat pour un montant correspondant aux créances irrecouvrables du syndicat sur les copropriétaires, dès lors qu’il n’existe pas d’actif cessible permettant l’apurement du passif.

Cette mesure conduit à faire supporter aux créanciers – plutôt qu’à la collectivité des copropriétaires – la défaillance irrémédiable des créanciers copropriétaires insolvables, comme dans le cadre d’une procédure de rétablissement personnel des particuliers (le décret du 17 août 2015 a défini comme irrecouvrables les créances concernant la copropriété dont les dettes ont été effacées par jugement, celle d’un copropriétaire dont la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actif, et celle dépendant d’une succession impécunieuse).

Il ne faut pas s’y tromper : il s’agit d’une réforme majeure que les entreprises et autres partenaires des copropriétés ne peuvent ignorer.

En effet, celle-ci créée un risque renforcé d’impayés pour les fournisseurs des copropriétés fragiles ou en difficulté, et d’entrainer par effet ricochet les défaillances desdits fournisseurs.

Elle impose donc aux entreprises et aux partenaires desdites copropriétés un devoir de vigilance extrême, voire la prise de garantie avant de poursuivre les relations contractuelles.

Les pouvoirs publics ont vu leurs pouvoirs renforcés : le maire, le président, le PCI et le préfet pourront désormais directement solliciter auprès du juge la désignation d’un mandataire ad hoc ou provisoire.

La commune ou l’OPCI pourront acquérir à titre gracieux des lots, parcelles ou équipements communs dont la Copropriété ne peut plus assumer l’entretien à la demande de l’administrateur provisoire et sur ordonnance du juge.

L’administrateur provisoire pourra également intervenir à côté d’opérateurs publics, pour réaliser des travaux lourds dans des grandes copropriétés en difficulté.

Rappelons qu’en 2005, le législateur a organisé la procédure de carence, qui entraîne l’expropriation accélérée des immeubles dégradés au profit de la commune ou de l’OPCI, dès lors qu’aucun redressement de la copropriété n’apparait possible.

Pierre-Yves Rossignol