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Les réseaux de mandataires institutionnalisés par l'UNIS : le début de la reconnaissance ?

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Digit RE Group, plateforme de services immobiliers d’Artémis regroupant les enseignes OptimHome, Capifrance et Réfleximmo, a annoncé l’adhésion de ses trois réseaux de conseillers immobiliers indépendants à l’UNIS (Union des Syndicats de l’Immobilier). Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services Immobiliers, revient sur cet événement pour le moins... étonnant.

Ça a sonné comme un coup de tonnerre dans l'univers établi des agents immobiliers : l'UNIS, l'un des trois syndicats représentant la profession, aux côtés de la FNAIM et du SNPI, vient d'admettre dans ses rangs deux des principaux réseaux d'agents commerciaux, OptimHome et Capifrance, que François Pinault a rachetés à leurs fondateurs il y a quatre ans avec son holding d'investissement Artémis. En quoi l'événement est-il si étonnant? Simplement parce que la profession installée des agents immobiliers refuse en majorité de reconnaître ces acteurs et leur modèle professionnel comme véritablement respectables.

Pourquoi? Pour deux raisons essentiellement. D'abord ces réseaux sont dématérialisés, c'est-à-dire exercent sans vitrine, les négociateurs qui en sont membres communiquant avec la tête de réseau, avec leurs pairs et avec le client grâce à une plateforme Internet, qui tient notamment lieu de vitrine. Les agents immobiliers, qui ont pignon sur rue au sens propre, voient en quelque sorte dans ce modèle une atteinte aux principes du service.

Ensuite, ces réseaux ne recourent qu'à des travailleurs indépendants, non salariés, sous le statut d'agent commercial. Par différence avec un salarié employé d'une agence, l'agent commercial est réputé libre de ses méthodes et incontrôlable. On entend aussi le grief d'instabilité et de mercenariat: un agent commercial peut changer d'entreprise et même de secteur à sa guise, et il n'incarne pas d'après ses détracteurs l'attachement au métier ni l'engagement. Par voie de conséquence, beaucoup d'agents immobiliers dénoncent un manque de compétence chez les négociateurs indépendants.

Qui plus est, ces agents commerciaux n'auraient pas le souci de se former et l'investissement dans l'augmentation des savoirs et des savoir-faire serait le moindre de leurs soucis. Bref, le discours dominant dans le monde des agents immobiliers dépeint ces réseaux comme des acteurs de piètre qualité.

La réalité est autre pour l'essentiel. Sans doute y a-t-il des réseaux plus rigoureux et d'autres moins préoccupés de choisir des agents commerciaux compétents et de former les moins chevronnés. Cette diversité se constate aussi chez les agents immobiliers au sens traditionnels du terme, et au demeurant dans tous les secteurs économiques! En fait, les deux reproches adressés aux réseaux de mandataires ne trouvent pas leur traduction dans le regard du public, pour preuve qu'ils sont infondés: les liens numériques ne portent pas préjudice à la qualité du service, et en outre les agents commerciaux sont bien incarnés et sans agence ils tissent une relation bien réelle avec leurs clients vendeurs, acquéreurs, bailleurs ou locataires.

Quant à la formation, elle est l'un des principaux apports que les enseignes puissent faire aux indépendants pour les attirer et les fidéliser, et par vertu ou par calcul les réseaux proposent effectivement des formations tous azimuts à leurs agents mandataires. Les ménages français accordent désormais assez largement leur confiance à ces protagonistes apparus il y a une quinzaine d'années, sur la base d'un modèle inventé outre Atlantique: les observateurs attribuent aux réseaux de mandataires, au nombre d'une petite centaine pour l'instant, entre 12% et 15% du marché intermédié, les plaçant pratiquement au niveau des notaires -qui se livrent à la négociation depuis plusieurs décennies-.

Clairement, les réseaux dérangent, comme tous les acteurs du digital. Ils ne dérangent pas seulement, ils inspirent aussi: les agents immobiliers réalisent que la charge économique d'une boutique qui n'est plus guère à l'origine que d'une vente sur six, les autres se faisant grâce à l'exposition des annonces sur des sites, devient inutile et qu'elle obère la flexibilité de l'entreprise en cas de repli du marché. Ils dérangent également parce qu'ils misent sur un statut que la profession n'a jamais avoué utiliser abondamment, alors que 70% des agences s'en servent.

Ce statut, d'appoint quand on pouvait déployer des effectifs salariés en période de prospérité économique, n'est-il pas désormais l'inverse d'un pis aller et plus actuel que jamais? Il offre la souplesse, on parle aujourd'hui d'agilité, à l'entreprise utilisatrice et correspond en outre au tempérament commercial par excellence, fondé sur la soif d'indépendance et le besoin de l'adrénaline du lien direct entre production et rétribution.

Il semble que le président de l'UNIS se soit dispensé d'aviser ses grands confrères à la tête des autres syndicats ou des enseignes significatives de la transaction au moment de prendre ce tournant stratégique. Il ne m'appartient pas de juger son choix de méthode. Il faudrait seulement que ceux qui ont pu se sentir malmenés par l'absence de concertation dépassent ce stade et que s'ouvre vraiment la réflexion sur la place à reconnaître aux réseaux de mandataires dans le paysage de la transaction résidentielle en France, sans prévention ni tabou. Leur institutionnalisation par un syndicat honorable pose une question déterminante, qu'il ne faut pas éluder.

D'autant que les agents immobiliers sont en train de faire évoluer leurs pratiques vers le digital à marches forcées et que les deux pôles professionnels se rapprochent de fait. Dans le même temps, les "tout digitaux" tempèrent leur intégrisme et n'excluent pas d'ouvrir des points physiques territoriaux comme des repaires pour les agents commerciaux et des repères rassurants pour la clientèle, par exemple en cas de litige ou d'insatisfaction. Comme souvent, la différence enrichit pour peu qu'on la regarde sans la rejeter ni la craindre.

Henry Buzy-Cazaux