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Avis d Experts

Les réseaux de mandataires sont-ils l'avenir de la transaction résidentielle?

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La question pourrait n'avoir pas d'objet. Après tout, si depuis quelque quinze ans en France et le double aux États-Unis les réseaux d'agents commerciaux immobiliers mandataires sont inscrits dans le paysage de la transaction professionnelle, c'est bien qu'ils ont un rôle à y jouer au service des vendeurs et des acquéreurs, des investisseurs et des locataires. En France, ces acteurs se sont peu à peu fait une place, avec des marques pour certaines à forte notoriété, telles que Capifrance, OptimHome ou encore IAD et Safti, qui tiennent aujourd'hui les premiers rangs des réseaux de mandataires de notre pays. Au total, c'est sans doute une centaine de réseaux qui fonctionnent sur tout le territoire.

De quoi s'agit-il ? De structures qui rassemblent des négociateurs indépendants et leur donnent des moyens communs, de l'enseigne et de la communication qui y est associée à la formation continue -bientôt d'ailleurs obligatoire aux termes de la loi Alur - en passant par l'assistance et la mise à disposition d'outils commerciaux. Au fond, ces réseaux ne se différencient des agents immobiliers traditionnels que par la dimension : 70% des agences immobilières recourent à des travailleurs non salariés, en plus ou à la place de collaborateurs salariés. Les réseaux, plutôt que d'en mandater deux, quatre ou dix, ont fondé leur modèle sur l'absence d'agence et la seule représentation de la marque par des négociateurs maillant le territoire, au plan régional ou au plan national. Les plus importants réseaux ont ainsi jusqu'à mille, deux mille et deux mille cinq cents agents commerciaux correspondants.

Ces acteurs ne sont pas encore bien intégrés à la communauté professionnelle, au point par exemple de n'avoir pas été associés au site d'annonces Bien'ici, inauguré en décembre dernier par les ténors de la transaction. Pourquoi? Parce que ce corps professionnel a toujours eu quelques difficultés à accueillir les nouveaux entrants et qu'il semble qu'on y soit durablement mis à l'épreuve avant d'y être reconnu. Il faut se rappeler qu'à leur arrivée sur le marché dans les années 80 les Century 21 ou les Orpi n'avaient pas non plus été reçus à bras ouverts par les notables de la profession. Aussi parce que la dématérialisation, qui va loin dans le cas de ces réseaux puisqu'ils n'ont pas d'agences physiques, malmène le modèle et les pratiques dominants et l'encadrement règlementaire actuels. Alors que les agents immobiliers exercent le plus souvent avec une zone de chalandise réduite sous couvert d'une carte professionnelle, les réseaux couvrent sans coup férir un large territoire, toujours avec une seul carte. Ils échappent au formalisme, désormais d'ailleurs onéreux: la carte exige le dépôt et l'instruction d'un dossier et la délivrance de la carte par la CCI du département est payante.

Et puis le statut même d'agent commercial utilisé sur la grande échelle inquiète les agents immobiliers : comment peut-on garantir la qualité et le sérieux sans suivi de proximité ? La fonction de l'Internet en la matière échappe, alors que de plus en plus les liens managériaux ou de suivi sont virtuels au sein des communautés humaines, notamment entrepreneuriales. Comment encore peut-on imaginer que des femmes et des hommes n'exercent la transaction que "part time", sachant en effet que beaucoup ont à côté une autre activité ? Oui, sauf que l'économie a conduit à cet éclatement et à ces vies professionnelles complexes, et qu'il n'y aura pas de palinodie. Or, on peut bien faire en même temps deux métiers.

On dénonce aussi un système malade d'un fort "turn over". Oui, mais les effectifs commerciaux, fussent-ils constitués de salariés, sont structurellement instables. Il est indéniable en outre que le statut d'indépendant séduit et que certains se croient un peu vite faits pour la transaction, avant de comprendre que ce n'est pas le cas. Les réseaux se soignent à cet égard et ne négligent pas d'être plus vigilants sur les motivation des candidats à la fonction.

Alors faut-il penser que les réseaux ont de l'avenir ? Oui, et ils ont déjà un présent. En revanche, il n'y a aucune raison de penser que ce modèle ne pourra pas cohabiter avec l'exercice plus classique du métier. De toute façon, le client est le seul juge de paix. La profession s'arroge un peu vite la mission de distribuer les indulgences. Il y a sans doute également de la méconnaissance entre les acteurs et des malentendus, et disons-le, il a pu y avoir de l'arrogance de part et d'autre : les installés sont sûrs de leur fait et de leur modèle, et les nouveaux entrants ont pu tomber dans le panneau se croire dépositaires de la méthode et de la logique modernes.

Il n'y a d'ailleurs aucune raison non plus de penser que les réseaux feront de l'ombre aux agents immobiliers: il est plus probable que leur façon d'exercer, avec des négociateurs de proximité, maîtrisant bien leur micro marché, se rendant chez le client, peut convertir à l'intermédiation professionnelle des ménages qui y étaient réfractaires.

Dans l'intention des grands acteurs de faire ouvrir par le gouvernement le dossier du lien entre numérique et immobilier, y a-t-il la volonté -exprimée au moment de la loi Alur - de créer quelques contraintes à ces réseaux ? On ne peut l'exclure. Cette tentative, si elle est avérée, peut-elle prospérer ? La tendance n'est pas surréguler l'économie et on peut douter qu'un texte porté par Emmanuel Macron contrevienne à cet élan de dérégulation sensible partout. A l'inverse, la dérégulation pourrait faire entrer plus nettement d'autres acteurs dans le jeu: les notaires, dont les honoraires de transaction sont fixés par arrêté, aujourd'hui en gros deux fois moins élevés que ceux des agents immobiliers, mais pouvant être complétés de débours au titre de la publicité pour vendre le bien, pourraient bien demander la liberté tarifaire...

Il est urgent que les querelles internes à la profession fassent place à l'effort collectif pour qualifier les services. Tous les grands opérateurs partagent cette préoccupation. Ils ne voient pas que le public est indifférent aux peurs et aux aprioris qui gouvernent les relations de la profession avec elle-même, et attend seulement d'être rassuré sur l'essentiel, la valeur ajoutée professionnelle.

Henry Buzy-Cazaux