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Locations de vacances : à quand la reconquête par les agents immobiliers ?

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Alors que Airbnb semble convaincre que la location saisonnière n'a plus besoin d'intermédiaires de terrain, reprofessionnaliser l'essentiel de l'activité grâce au numérique est le défi d'aujourd'hui. Mais comment les professionnels immobiliers peuvent-ils reprendre la main sur ce marché ?

La question semble corporatiste. Quelle importance que les agents immobiliers et les administrateurs de biens aient perdu au cours des vingt-cinq dernières années une grande partie du marché des locations saisonnières? Pour répondre à cette question, il faut regarder à qui les parts de marché perdus sont revenues et si le marché ne s'en est pas trouvé dégradé en termes de qualité, au détriment des locataires.

Probablement les particuliers propriétaires ont-ils pour certains considéré qu'ils pouvaient s'occuper eux-mêmes de leur bien: le phénomène des 35h, couplé à une augmentation de la proportion de personnes mieux formées et plus diplômées sont des raisons. Il est clair ensuite que le développement des outils numériques, logiciels de gestion mais surtout sites de commercialisation en ligne, a catalysé le recul des professionnels de l'immobilier. RBN'B (Airbnb, ndlr) est devenu en un temps record un acteur majeur, en France et ailleurs, et il a fini par symboliser le raz-de-marée des plateformes collaboratives.

Les grands gagnants de la redistribution des cartes

En clair, les grands gagnants de la redistribution des cartes dans le domaine des locations de vacances ou saisonnières sont probablement le marché de gré à gré, et les opérateurs du digital, les seconds, RBN'B en tête, épaulant le premier. S'agit-il de désintermédiation? Au sens où les professionnels patentés de la transaction, agents immobiliers et administrateurs de biens, ont cédé du terrain, oui, incontestablement. Néanmoins, ce sont bien des intermédiaires virtuels qui se sont substitués, dans la plupart des cas, aux mandataires traditionnels.

On pourrait se réjouir que les coûts s'en trouvent réduits: il est évident que le prix du recours aux solutions digitales est sans commune mesure avec les honoraires d'un intermédiaire professionnel. Mais qui en tire profit? Le montant des locations saisonnières a-t-il baissé du fait du passage de l'intermédiation réelle à l'intermédiation virtuelle? Non. Dans un marché dérégulé, sans plafonnement des loyers pratiqués, c'est la capacité contributive des preneurs qui tient lieu de règle. Or, dans les territoires les plus attractifs, les propriétaires ont tendance à croire qu'il se trouve toujours des ménages qui se donnent les moyens de louer, fût-ce cher. Ils ne mesurent qu'a posteriori le rallongement des durées de vacance, ou encore le rapport irrespectueux qu'un loyer trop élevé va induire entre le locataire et le logement, générant des dégradations anormales.

Bref, le gré à gré, assisté ou pas par l'ordinateur, est porteur de risques pour le propriétaire comme pour le locataire, qui pâtira d'un mauvais rapport entre les prestations du logement et son prix dans un nombre important de cas. On a d'ailleurs déjà vu se lever un mouvement d'insatisfaction envers RBN'B, dont les promesses ne sont pas toujours tenues, en l'absence de contrôle professionnel.

Illisibilité accrue de la qualité

Le recul des professionnels emporte une autre conséquence: l'illisibilité encore accrue de la qualité. Contrairement au mode d'hébergement alternatif, l'hôtellerie, qui a imposé une norme universelle, les étoiles, les locations saisonnières ne sont jamais parvenues à se doter d'un label dominant. Les tentatives diverses ont toutes échoué. En cause, le caractère diffus de l'offre et l'éclatement des distributeurs, professionnels de l'immobilier. N'empêche que les professionnels étaient gages de standards de qualité, a fortiori lorsqu'ils exerçaient sous une bannière commune, comme la FNAIM -historiquement engagée dans l'activité de locations de vacances- ou encore le réseau ORPI ou la franchise Century 21.

Les professionnels apportent aussi des garanties que les particuliers sont incapables de donner aux locataires, pour l'orthodoxie juridique des contrats de location, la justesse des constats d'état des lieux, pour la correspondance entre les engagements de toutes natures et la réalité du service. Ils sont d'ailleurs assurés spécifiquement pour les manquements dont ils se rendraient responsables, ou l'un de leurs préposés, entreprises sous-traitantes en particulier, pour l'entretien des logements par exemple.

Les professionnels doivent maîtriser le numérique

Alors comment les professionnels immobiliers peuvent-ils reprendre la main sur ce marché, auquel tous les observateurs des habitudes des ménages prêtent le plus bel avenir? En misant sur le numérique et en le maîtrisant. RBN'B est un Uber à sa manière, c'est-à-dire un "pure player" du digital, fait pour désintermédier la relation entre propriétaires et locataires, sur le fondement de l'idée que l'absence d'intermédiaire physique est un gage d'économie et de fluidité.

C'est cette fluidité que les agents immobiliers et les gestionnaires doivent rechercher, par l'efficacité de la distribution, et ils doivent y ajouter la normalisation des pratiques. Quelles voies? Ils peuvent choisir de devenir partenaires de telle ou telle enseigne de la distribution digitale pour toucher la plus large clientèle de prospects locataires, avec la puissance de l'Internet. Les Abritel, Homeway et autres Booking sont de puissants canaux de mise en marché, au demeurant indispensables. Aujourd'hui, la maison à Carnac va peut-être se louer à un Parisien, voire à un Breton, mais elle peut intéresser un habitant de Sidney, de Barcelone, ou simplement d'Outre-mer. Se pose néanmoins le problème d'optimiser la relation avec ces opérateurs: l'agent immobilier est très seul dans sa négociation. Il l'est certes moins s'il est membre d'un réseau national d'agences, apte à négocier pour lui.

De nouvelles plateformes pour "mieux négocier"

C'est pour doter les acteurs professionnels des moyens de mieux négocier qu'apparaissent des plateformes, telles que Poplidays. Le principe est simple: en devenant membre de la plateforme, l'agent immobilier accède à un florilège de distributeurs, avec lesquels une négociation de masse a été menée à son profit. Au passage, la plateforme apporte une codification des pratiques: les annonces, les process et les contrats sont normés. L'agent gagne en efficacité et peut se concentrer sur la recherche de mandats, qui devient sa mission prioritaire: irremplaçable pour celle-là du fait de son expertise du patrimoine et du marché local, il s'appuie sur un opérateur numérique global. Les taux de remplissage des biens en portefeuille s'en trouvent améliorés.

Il est clair que l'optimisation de la distribution, si elle marque un progrès considérable, ne suffit pas. Le service sur place doit évoluer globalement, et un nombre croissant de professionnels l'ont compris, allant jusqu'à mettre en place d'authentiques conciergeries. Des plages horaires extensives pour la remise ou la restitution des clés, la réservation de spectacles, de restaurants, de matériel sportif et mille autres prestations d'accompagnement sont désormais recherchées par les locataires : les locations de loisir sont bel et bien un mode d'hébergement concurrent des hôtels, et elles n'échappent pas aux des exigences comparables. Ces attentes sont même majorées, parce qu'on veut plus de souplesse d'un hébergement personnalisé que de la location d'une chambre.

Pour preuve que l'activité des locations de vacances est porteuse, le leader français de l'administration de biens, Foncia, a décidé d'en faire l'un de ses métiers, après s'en être tenu à l'écart pendant plus de quarante ans. La logique du groupe, qui a fait sa réussite, s'applique aussi désormais à ce service: pratiques uniformisées et à valeur ajoutée, et puissance de la commercialisation. En tout cas, l'enjeu est considérable: alors que RBN'B semble convaincre que le marché n'a plus besoin d'intermédiaires de terrain, avec un risque associé de baisse de la qualité et des garanties liées à la prestation, reprofessionnaliser l'essentiel de l'activité grâce au numérique est le défi d'aujourd'hui. Les locations de loisirs sont à cet égard emblématiques d'un marché dont les acteurs historiques doivent emprunter aux nouveaux entrants leur logique et leurs outils pour reconquérir les territoires concédés.

Henry Buzy-Cazaux