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Loi Alur : Déontologie et discipline pour les agents immobiliers et les administrateurs de biens

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La loi Alur (pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) du 24 mars 2014 a déclenché de telles réactions de rejet de la part de la communauté professionnelle qu'on a fini par penser qu'elle était mauvaise et dangereuse d'une façon générale.

Les regards ont fini par s'en détourner un peu vite. En outre, les débats qui se sont déroulés, portant sur deux ou trois sujets quasi-religieux, ont eu pour effet d'occulter l'essentiel de la loi. Le volet relatif à l'urbanisme, pourtant riche et consensuel, a été passé sous silence, comme les dispositions concernant les HLM. On a retenu l'encadrement des loyers, la GUL, le plafonnement des honoraires de location et les nouvelles obligations d'information de l'acquéreur en copropriété. Au rang des dispositions ignorées, la nouvelle organisation de la profession d'agent immobilier et d'administrateur de biens.

Quatre mesures majeures: la création d'un conseil national de la gestion et de la transaction immobilières, l'obligation de formation continue pour tous les professionnels, quel que soit leur statut, appelés à être en contact avec la clientèle, l'édiction d'une déontologie ayant force règlementaire, enfin l'installation d'une commission nationale de contrôle, compétente pour trancher les différends entre particuliers et professionnels.

Le conseil national a lui-même focalisé les attentions pendant plusieurs mois. On a d'abord attendu sa constitution et la nomination de son président. La place a été convoitée, comme les sièges dévolus à la Fnaim, l'Unis et le SNPI, les trois syndicats de professionnels, et aux associations de consommateurs membres. Ses travaux, bien que consultatifs, sont épiés: l'avenir des textes d'application de la loi en dépend largement. La profession semble moins préoccupée par la future déontologie et par la commission de contrôle. Elle a tort...

Déontologie et discipline, deux innovations majeures

Au fond, du point de vue du consommateur, que les polémiques sur l'Alur ont bien rarement placé au cœur de la problématique, déontologie et discipline sont sans doute les deux innovations les plus fortes du texte. La raison? Agents immobiliers, syndics de copropriété et gestionnaires locatifs manient des enjeux précieux pour les ménages, et ils laissent une impression dans l'inconscient collectif d'insatisfaction. En clair, le public est impatient que les pratiques professionnelles de ces acteurs soient davantage marquées par la rigueur et la transparence, et que les manquements soient sanctionnés. A la clé, non pas seulement le progrès et le renouvellement de l'image de tout un corps professionnel, mais une population rassurée et réconciliée avec des métiers et des entreprises auxquelles elle n'accordait pas toute la confiance, donc ayant un rapport plus serein au logement.

Il ne faudrait pas que les attentes du public soit déçues. Et pourtant, les risques existent et sont de plusieurs natures. Alors que le conseil national va se pencher sur ces sujets déterminants, avant que le gouvernement ne prenne les décrets qui instaureront l'instance de contrôle et donneront force règlementaire au code de déontologie, il est utile de préciser où sont les écueils.

Le premier écueil tient à la conception que les organisations professionnelles composant le CNTGI ont de la déontologie. Elle n'est d'abord pas identique : la Fnaim a voté il y a plusieurs années un code déontologie interne à l'unanimité de son assemblée générale, ce qui n'est pas le cas des deux autres organisations. Il n'est pas certain que l'accord entre les syndicats soit si facile à trouver sur cette épineuse question, et on pourrait bien constater des nuances, sinon des divergences sur le degré d'exigence du code. Et puis il y a les consommateurs... Ils vont veiller au grain, c'est-à-dire ne pas se contenter d'une version qui serait un pâle recopiage des obligations règlementaires. Il faudra que les parties prenantes s'entendent sur ce qu'est une déontologie: c'est un référentiel de gestes professionnels, dans chacun des métiers, décrivant le service à apporter à toutes les catégories de client, au-delà même de la loi, en vue de la sécurité, de l'efficacité et de la satisfaction. La déontologie doit aussi régler les relations de confraternité entre les professionnels.

Quelle autorité ?

Autre écueil, corollaire, l'autorité de cette déontologie. Même à la Fnaim, les élus et les permanents chargés de faire appliquer le code d'éthique et de déontologie ont dû s'habituer à un pouvoir de coercition limité. Pour moi, je n'attacherai pas foi à un argument utilisé par les plus critiques: un syndicat ne pourrait s'offrir le luxe de la sanction et de l'exclusion, alors qu'il a un rapport commercial avec ses adhérents, qui paient une cotisation, par définition précieuse. J'atteste que le problème n'est pas là. Il est en revanche dans l'absence de pouvoir juridique à l'encontre des professionnels qui enfreignent le code: ils peuvent à bon compte se soustraire à la procédure, et peuvent même remettre en cause une sanction, notamment d'exclusion, dès lors qu'aucune condamnation civile ou pénale ne serait intervenue en parallèle de la procédure interne.

Il va falloir que les professionnels qui ont connu ce régime d'une règle avec laquelle on peut finalement composer entrent dans une logique autrement plus dure: la déontologie qui va s'imposer ne pourra pas être moins observée que les lois et règlements ordinaires.

Pis encore, la commission de contrôle qui sera constituée dans les prochaines semaines, dont la composition est définie par la loi Alur - avec une majorité de magistrats, des représentants des professionnels n'étant plus en activité et des représentants des consommateurs - va juger les contentieux dont elle sera saisie par rapport au corpus juridique applicable aux professionnels, et également par rapport à la déontologie - dès lors qu'elle s'intègrera à ce corpus. En clair, là où un tribunal aujourd'hui apprécierait les causes essentiellement en fonction de la loi du 2 janvier 1970 et des codes fondamentaux, civil, pénal, de commerce et de la consommation, la commission nationale va ajouter pour référence la future déontologie. Il y a fort à parier qu'il y aura des surprises: si la déontologie tient ses promesses, elle ajoutera de nombreuses obligations à celles qui existent et dont les agents immobiliers et les administrateurs de biens sont familiers.

Expérimenter les pouvoirs de la commission de contrôle

Un exemple théorique, qui pourrait n'être pas une fiction. Aux termes de la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété, le copropriétaire n'existe pas et le syndic est mandaté par la collectivité qu'est la syndicat des copropriétaires. En clair, un gestionnaire n'a aucune obligation juridique de répondre à la lettre ou au mail d'un copropriétaire. A supposer que la déontologie lui crée l'obligation de reconnaître le copropriétaire comme un client à part entière, ses devoirs d'information et de communication vont s'en trouver substantiellement majorés. Un syndic professionnel pourrait être sanctionné pour n'avoir pas répondu à la demande d'un copropriétaire, qui estimerait avoir ainsi été privé d'une information nécessaire à un acte important, tel que l'introduction d'une instance judiciaire.

Enfin, les professionnels vont réaliser l'étendue des pouvoirs de la commission de contrôle, déjà précisée par la loi Alur : elle pourra administrer un simple blâme, comme elle pourra prononcer l'interdiction temporaire ou définitive d'exercer. Par ailleurs, le passage d'une justice difficile à saisir, onéreuse, à l'accès aisé et gracieux à une instance disciplinaire va inévitablement conduire à une inflation mécanique des dossiers. Les statistiques de la commission seront publiées. Il est souhaitable que le pouvoir de la commission joue a priori plus qu'a posteriori, et que cette instance ait une influence didactique sur les professionnels, plus qu'un effet curatif: si les sanctions se multipliaient, l'opinion considèreraient que le recours aux professions de la transaction et de la gestion présente des risques. Le remède serait pire que le mal. En somme, l'écueil sera ce que nous pourrions appeler le syndrome du "advienne que pourra".

C'est l'origine même de cet organe qui est porteuse de ce risque: les syndicats professionnels ne l'avaient pas souhaité. A l'inverse ils considéraient qu'ils étaient à même de faire la discipline. Dans le concept d'un ordre, le traitement extra-judiciaire des litiges ne les séduisait pas. Or, voilà qu'il leur est imposé. Leur lobbying n'a pas été sans efficacité sur ce sujet: de commissions régionales de contrôle, prévues par le projet de loi, on est passé à une commission nationale. Pour autant, il y aura bien contrôle et sanction au sein d'un tribunal d'exception. Ce sont des conditions sine qua non de la respectabilité des agents immobiliers et des administrateurs de biens.

Henry Buzy-Cazaux