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Avis d Experts

Ne rien faire pour la politique du logement

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PTZ élargi, dispositif fiscal Pinel, taux d'intérêt à des niveaux extrêmement bas... tous les indicateurs sont au vert dans le secteur immobilier. Pour autant, faut-il baisser la garde alors que l'ennemi se trouve aux portes de la citadelle ?

Scène étonnante lors de la séance de questions d'actualité ce mercredi à l'Assemblée Nationale. Le député François de Rugy, qu'on a connu naguère coprésident du groupe écologiste avant sa dissolution il y a quelques jours, a interrogé Emmanuelle Cosse en des termes singuliers: il a publiquement remarqué que tous les indicateurs du marché du logement étaient au vert et lui a demandé...ce qu'elle comptait faire. La caméra braquée sur le visage de la ministre l'a montrée amusée. Il y a de quoi: que voulez-vous faire quand ça marche? Qui plus est, le parlementaire avait précisé dans les attendus de sa question tous les dispositifs publics et leur avait reconnu la plus grande efficacité.

Oui, clairement, l'immobilier d'habitation connaît un état de grâce. Des aides puissantes, PTZ renforcé ou encore Pinel, des taux d'intérêt incroyables et des prix assagis partout, avec une restauration du moral des ménages par rapport à 2015. Les lobbies eux-mêmes sont sans voix, sauf pour confirmer que la santé est bonne. Mieux: on a entendu le président du syndicat des constructeurs de maisons individuelles, LCA-FFB, dire que l'outil statistique du ministère du logement laisser à désirer et que le rebond de la production était plus fort que ce qui avait été annoncé officiellement! Alors dans ce contexte, que faire?

Rien? C'est tentant. Sauf à dire, comme le Docteur Knock, que "la santé est un état précaire qui ne laisse rien augurer de bon". Car enfin le personnage de Jules Romain n'avait pas tort... Du moins son précepte s'applique-t-il à l'immobilier. Les cycles de production sont tels, de l'ordre de trois à cinq ans, la dépendance de ce secteur à l'économie générale est telle que la grande santé d'aujourd'hui pourrait bien cacher l'asthénie de demain. Quatre sujets au moins n'ont pas été résolus par enchantement: la mobilisation du foncier public, celle des terrains privés, la simplification des normes de construction et la baisse des droits de mutation à titre onéreux. Alors que seraient les marchés de la vente de logements neufs et de la revente si ces sujets avaient été résolus? Ils seraient plus actifs encore, à conditions économiques équivalentes.

Préparer le lendemain

Le problème est que ces conditions, en variant un tant soi peu, peuvent faire fléchir la vigueur du marché. On sait que la moindre remontée des taux ou plutôt le moindre tour de vis dans la distribution des crédits immobiliers, la moindre tension sur les prix dans les marchés les plus exposés, un quelconque durcissement des conditions du PTZ ou du dispositif Pinel, le moindre raidissement des maires à délivrer les permis de construire, la plus légère dégradation du moral des ménages peut contrarier les marchés immobiliers. Bref, il faut travailler quand les choses vont bien à ce qu'elles aillent aussi bien si l'environnement venait à s'altérer. Le risque consiste à baisser la garde quand l'ennemi semble hors de la citadelle, alors qu'il est aux portes.

Le problème des lobbies est d'ailleurs de taille: comment continuer le combat quand les indicateurs sont au vert? Vous observerez que les messages sur le poids des normes, sur la rareté foncière, sur la désolvabilisation par la fiscalité se sont absentés en quelques mois. Plus rien que l'expression d'une satisfaction. Cette expression est à la fois normale et souhaitable: les ménages ont besoin d'y voir clair sur l'actualité et la prévision des risques pour les prévenir n'est pas de leur compétence. L'anticipation est de la responsabilité en revanche des professionnels et des pouvoirs publics. En somme, Madame Cosse et ses interlocuteurs professionnels et collectivités locales doivent travailler désormais à préparer le lendemain. Oui, il faut reprendre les deux rapports récents sur le foncier et inventer une fiscalité incitative pour que les propriétaires fonciers ne thésaurisent plus.

Oui, il faut que les collectivités publiques accentuent la tendance à se séparer des terrains superfétatoires. A la clé, une baisse du prix de sortie des logements, indispensable pour que l'Etat puisse un jour dépenser moins dans les aides publiques. Oui, il faut aller plus loin dans la simplification des normes. Oui, il faut négocier avec les départements une baisse des droits de mutation, alors qu'il a été exigé des notaires qu'ils fassent un effort sur leurs émoluments.

François de Rugy avait raison: puisque tout va bien, que compte-t-on faire pour que tout aille mieux, ou seulement pour que tout continue d'aller bien? On entend en écho la belle phrase de Lampedusa dans "Le guépard": "Il faut que tout change pour que tout demeure." Une injonction de ne pas se contenter.

Henry Buzy-Cazaux