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Obligation de formation des agents immobiliers et des administrateurs de biens: Le risque d'imposture

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La loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) rend obligatoire la formation continue pour les agents immobiliers et les administrateurs de biens. Cette disposition, alors que la communauté professionnelle a rejeté de prime abord l'essentiel des dispositions contraignantes du projet de loi, puis de la loi, a un statut à part: les deux syndicats patronaux que sont la Fnaim et l'Unis, dans un livre blanc à l'attention des pouvoirs publics, avaient demandé que la formation des professionnels de la transaction et de la gestion soient des conditions pour être autorisé à exercer.

Il appartient désormais au gouvernement de mettre en musique cette contrainte, éclairé par le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières. Plusieurs questions se posent et on peut craindre que les représentants des professions y apportent des réponses insuffisantes ou erronées.

Il va falloir d'abord définir les personnes effectivement visées par l'obligation. La loi est claire sur un sujet: le statut des futurs formés. Il s'agira indistinctement des salariés et des non salariés. En fait, sont concernés par cette nuance les agents commerciaux, qui constituent une partie majeure des négociateurs en vente et en location -rémunérés en pourcentage des honoraires perçus par l'agence- et les mandataires sociaux à la tête des entreprises. La loi ne précise pas le sort des salariés portés. Or, le portage salarial, qui consiste pour une agence à recourir à une personne employée par une société support, qui accomplit chez elle une mission, correspond à une réalité non négligeable: 12000 négociateurs exercent désormais selon ce statut. Il ne fait pas de doute qu'il faille que ces salariés, bien que n'étant pas dans les effectifs des agences, doivent présenter les mêmes garanties que les autres, et être formés chaque année.

Pour le reste, la loi ne vise-t-elle que les personnels responsables en contact avec le public, négociateurs, gestionnaires en gestion locative et en copropriété, dirigeants? Quid des personnels d'accueil? Quid des assistantes? Quid des comptables mandants, celles et ceux qui gèrent les fonds déposés par les clients? Il serait légitime que les derniers, qui portent une responsabilité majeure -sinon essentielle-, bénéficient de la formation continue, d'autant qu'ils sont sans doute aujourd'hui les laissés pour compte des efforts des agences et des cabinets... Or, la loi les exclut à ce jour: elle retient le critère de la détention de la carte professionnelle ou de la délégation attachée à la carte, en général portée par le dirigeant. Les comptables mandants, censés n'avoir pas de contact avec la clientèle, ne jouissent pas de la délégation de responsabilité liée à la carte professionnelle.

Quelle formation ?

Et puis se posent les questions du format de la formation. Considère-t-on qu'une journée par an, soit six ou sept heures, suffise? Deux? Trois? Cela va évidemment dépendre des contenus nécessaires. On voit mal comment la révision des fondamentaux du droit civil et fiscal, l'apprentissage des nouveautés de l'année -il y en a toujours en matière de logement-, les rudiments de la technique du bâtiment, le marketing et la communication des services -c'est-à-dire l'approche commerciale-, pourraient être valablement transmis en moins de deux jours.

On peut aussi se demander s'il ne serait pas pertinent de distinguer entre la formation des dirigeants et celle des collaborateurs. Le management s'apprend, et l'aptitude à manager est fondamentale pour la rigueur et la qualité du service final au client par une agence ou un cabinet.

Allons plus loin. Peut-on imaginer que la formation soit dispensée à distance, et qu'on n'astreigne pas les professionnels à participer à des séances présentielles? Autant avouer qu'au moment de mettre en pratique une disposition qu'ils ont souhaitée en théorie, les professionnels se verraient bien derrière leur écran et justifier par quelques clics du suivi de la formation continue... On ne peut non plus nier les atouts du distantiel, à l'heure où les entreprises ne peuvent guère dépenser ni se priver trop longtemps de leurs collaborateurs. Pour moi, conscient de ce qu'apporte la relation directe avec un formateur, la possibilité de rétroagir à son enseignement de façon instantannée, de l'interroger, sachant aussi les bienfaits du groupe et des échanges entre apprenants d'horizons divers, je plaide pour que la formation soit essentiellement dispensée "corps présent", comme disent les magistrats. Rappelons aussi que la formation doit être légalement suivie pendant le temps de travail : imaginer que le salarié va se former le soir chez lui ou le week-end n'est pas admissible.

Se pose aussi la question de l'assimilation de réunions professionnelles à de la formation. Ainsi, assister à un congrès pourra-t-il être considéré comme le suivi d'une formation? Les syndicats patronaux en seraient bien aise, mais est-ce bien sérieux? Lorsque je suis invité à Roland Garros, puis-je sérieusement prétendre avoir fait un après-midi de tennis?

De toute façon, et bien que la loi Alur n'introduise pas cette obligation, il va falloir désigner un juge de paix: l'évaluation. Elle seule permettra d'attester non pas du suivi d'une formation, qui n'est qu'un moyen, mais du résultat, c'est-à-dire de l'assimilation des savoirs. Voilà où les Athéniens vont s'atteindre. Le reste est littérature. Le reste est la porte ouverte à toutes les fumisteries, et il faut préserver à cet égard la profession de la tentation de l'optique, du facial contre le réel. Les agents immobiliers et les administrateurs de biens ne sortiraient pas grandis de faire semblant de se former. Le remède serait même pire que le mal s'il se savait que la communauté professionnelle a simulé, pour gagner sa respectabilité à bon compte.

Au demeurant, je plaide pour la même exigence envers les entreprises qui vont assurer les formations obligatoires. On voit déjà fleurir des officines de gens peu scrupuleux, qui vendent des formations censées libérer les professionnels de leurs obligations...alors que le Conseil de la transaction et de la gestion a à peine commencé à travailler à l'avis qu'il rendra et qu'a fortiori aucun texte d'application de la loi Alur n'existe sur ce sujet! Bref, le marché de la formation continue qui s'ouvre aiguise les appétits et fait naître de belles impostures. Il appartiendra au CNTGI s'il en a les moyens, ou aux CCI -appelées à délivrer les cartes professionnelles sous condition de formation-, ou encore à la Commission emploi formation de l'immobilier -instance paritaire des professions immobilières- de juger de l'honorabilité d'un société de formation ou d'un formateur. La lecture du curriculum vitae en dit beaucoup: halte aux hommes-orchestre, qui s'improvisent juri stes, fiscalistes, techniciens du bâtiment, marketeurs, sans s'être jamais formés eux-mêmes à ces disciplines ni sans les avoir jamais exercées.

Victoire à la Pyrrhus

Un dernier péril guette la formation continue: le dumping. La profession ne réalise pas encore à quel défi financier elle va devoir se colleter. La plupart des professionnels pensent que leur contribution formation obligatoire, versée à leur collecteur de branche, va suffire à neutraliser les coûts et que la formation obligatoire leur sera gracieusement dispensée au bout du compte. Erreur majeure: les fonds consolidés disponibles vont péniblement assurer 10% du financement. Autant reconnaître que se libérer de l'obligation passera par un effort volontaire des entreprises et des individus -dans le cas des travailleurs indépendants que sont les agents commerciaux-... La riposte de la profession, devant l'effort budgétaire à consentir, risque de consister à peser inconsidérément sur les prix. A ce jeu-là, je puis vous dire qu'elle a déjà gagné étant donné la période économique! Il se trouvera toujours des formateurs prêts à tout. Moi-même engagé dans cette activité, je ne cèderai pas à ce mouvement délétère. La victoire de la profession, là encore, serait à la Pyrrhus.

Au fond, le problème posé par cette nouvelle obligation de formation continue renvoie à la distinction entre mariage d'amour et mariage arrangé. Il va falloir que les professionnels croient aux vertus de la formation, et ne vivent pas cette contrainte règlementaire comme un pesant fardeau qu'on rêve de poser. Alors seulement le législateur, inspiré sur ce point par les fédérations, aura atteint son objectif: qualifier tout un corps professionnels au profit des ménages et du marché.

Henry Buzy-Cazaux