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Payer un dessous de table par un chèque sans provision ?

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Dessous de table et vente immobilière font souvent bon ménage, la pratique de ce paiement occulte d'une partie du prix ayant pour effet de permettre de réduire le montant des droits dus à l'État, et de réduire également le montant de la plus-value apparente du vendeur.

Voyez notre étude sur cette question : Le dessous de table et la vente immobilière.

Dans le cas ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de Cassation qui est reproduit ci-dessous, un dessous-de-table avait été prévu entre le vendeur et l'acheteur, mais son paiement avait été effectué par chèque (ce qui est surprenant, la nature du dessous-de-table étant plutôt d'être réglé en espèces), chèque qui s'était révélé être sans provision.

Le vendeur avait engagé une action pour être payé tout de même, et la cour d'appel lui avait donné raison.

La Cour de Cassation, appliquant les principes les plus classiques en la matière, considère que la cause illicite du paiement exclut que le vendeur puisse agir en justice pour obtenir satisfaction.

Voici cet arrêt :

"Vu les articles 1131 et 1133 du code civil ;

Attendu que l'obligation sans cause ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ; que la cause est illicite quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 26 janvier 2010), que par acte sous seing privé du 29 avril 2006, Mmes Y... et Z... ont vendu à Mme X... et M. A... une maison d'habitation située à Saint-Raphaël au prix de 270 000 euros, sous condition suspensive de l'obtention d'un prêt de 350 000 euros, 270 000 pour le prix d'acquisition et 80 000 euros pour des travaux ; qu'un chèque de 5 000 euros a été versé par les acquéreurs à titre de séquestre ; que la vente a été réitérée par acte authentique du 21 août 2006 et que les venderesses ont donné quittance du paiement du prix de 270 000 euros ; qu'un chèque de 80 000 euros, daté du 5 mai 2006, tiré sur la Caisse d'épargne, émis par Mme X... à l'ordre de Mme Z..., d'abord remis à l'agence immobilière, puis présenté à l'encaissement le 4 septembre 2006, étant revenu impayé pour défaut de provision, Mme Z... a obtenu un certificat de non-paiement qu'elle a fait signifier à Mme X... ; qu'une injonction avec interdiction d'émettre des chèques, ayant par ailleurs été adressée par la Caisse d'épargne à Mme X... , celle-ci a assigné notamment Mme Z... afin de voir constater que le chèque de 80 000 euros était sans cause et d'obtenir son annulation, subsidiairement sa restitution et le paiement de dommages-intérêts, Mme Y... est intervenue volontairement à l'instance ;

Attendu que pour condamner Mme X... à payer la somme de 80 000 euros à Mme Z..., l'arrêt retient qu'il ressort des explications et pièces fournies aux débats que la réalité d'un dessous de table à hauteur de 80 000 euros n'est ni réellement contestée ni sérieusement contestable, que Mme X... s'oppose à l'encaissement du chèque au motif de l'illicéité de sa cause résultant du caractère occulte du prix, qu'au sens des articles 1131 et 133 du code civil, le chèque, moyen de paiement de partie du prix de vente, a une cause résultant d'une obligation contractuelle dont l'objet est licite en ce qu'il porte sur une transaction immobilière, et que la cause illicite du paiement d'un prix occulte librement consentie entre les parties ne saurait être valablement invoquée par l'un des co-contractants qui par ailleurs ne poursuit pas la nullité du contrat et a obtenu livraison de la chose acquise et partiellement payée ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait expressément relevé le caractère illicite de la cause du chèque de 80 000 euros, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen unique :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 janvier 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Pau, autrement composée ;

Condamne Mme Z... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme Z... à payer la somme de 2 500 euros à Mme X... ; rejette la demande de Mmes Z... et C... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix janvier deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils pour Mme X...

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Mlle Myriam X... à payer à Mme Z... et à Mme Y... la somme de 80. 000 €, avec intérêt aux taux légal à compter du 21 août 2006, et la somme de 3. 000 € à titre de dommages et intérêts ;

AUX MOTIFS QU'en premier lieu, il convient de considérer qu'il ressort des explications et pièces fournies aux débats que la réalité d'un dessous de table à hauteur de 80. 000 € n'est ni réellement contestée ni sérieusement contestable ; qu'en effet, le versement d'un chèque de ce montant ne correspondait à aucune autre cause possible puisque le compromis de vente ne mentionne pas cette somme à titre de dépôt de garantie mais celle de 5. 000 € tiré sur la banque « SG » dont le montant a du reste été déduit du prix d'achat ; qu'en revanche, il doit être observé que le compromis prévoit le financement de l'acquisition au moyen d'un emprunt de 350. 000 € dont 270. 000 € au prix d'achat et 80. 000 € pour travaux ; que c'est du reste un prêt de 359. 000 € qui est mentionné comme ayant été consenti par la Lyonnaise de Banque aux acquéreurs dans l'acte notarié du 21 août 2006 ; qu'enfin, au regard de l'évaluation originaire du bien lors de sa mise en vente (entre 480. 000 et 469. 000 €), de la description de la maison (160 m ² sur un terrain de 1. 000 m ²) et de son emplacement à Saint-Raphaël sur la Côte d'Azur, des éléments comparatifs produits aux débats pour des biens de même nature, il apparaît que la prise en compte d'un prix global du bien au montant de 350. 000 € est plus proche de la réalité de sa valeur que le montant stipulé à l'acte notarié de 270. 000 € ; que Mlle X... n'invoque ni de justifie du paiement effectif de cette somme de 80. 000 € étant observé que chacune des parties avait intérêt, fût-ce inégalement, à frauder l'administration fiscale par ce biais, les venderesses pour minorer les droits successoraux, les acquéreurs pour minorer les droits d'enregistrement de la transaction ; qu'il n'est pas contesté que le chèque a été remis à l'agence bancaire qui l'a transmis aux venderesses après l'acte notarié, ce qui corrobore l'absence de paiement de cette somme occulte, Mme Z... déposant le chèque pour paiement le 4 septembre 2006, soit deux semaines après l'acte notarié ; que la mention contenue à cet acte de quittance, c'est-à-dire du paiement effectif du prix, ne pouvait valoir qu'à hauteur du montant mentionné, à savoir 270. 000 € et non 350. 000 €, montant réel de la transaction ; que Mlle X... s'oppose en définitive à l'encaissement du chèque au motif de l'illicéité de sa cause résultant du caractère occulte du prix ; qu'il doit être relevé que la traçabilité d'un chèque atténue le caractère occulte d'un tel paiement ; qu'il s'avère en outre qu'en l'espèce, Mmes Z... et Y... ont demandé au notaire par courrier du 4 septembre 2006 de régulariser l'acte en mentionnant le complément de prix à hauteur de 80. 000 € pour « être en conformité avec la législation fiscale » ; qu'il n'est pas justifié d'une réponse quelconque du notaire, ni d'une quelconque explication de la part de l'agence immobilière qui n'a pas été attraite à la procédure ; qu'au sens des articles 1131 et 1133 du code civil, le chèque moyen de paiement de partie du prix a une cause résultant d'une obligation contractuelle dont l'objet est licite en ce qu'il porte sur une transaction immobilière ; que la cause illicite du paiement d'un prix occulte, librement consentie entre les parties, ne saurait être valablement invoquée par l'un des cocontractants qui par ailleurs ne poursuit pas la nullité du contrat et a obtenu livraison de la chose acquise et partiellement payée ;

ALORS, D'UNE PART, QU'une reconnaissance de dette est nulle en cas de cause illicite ; qu'en estimant que Mlle X... se trouvait redevable envers Mme Z... et Mme Y... de la somme de 80. 000 € qu'elle avait reconnu leur devoir par le moyen de l'émission d'un chèque de ce montant établi lors de la signature de l'acte de vente sous seing privé, tout en relevant que cette somme avait la nature d'un « dessous de table » visant à frauder l'administration fiscale (arrêt attaqué, p. 5 § 1 et 2), ce dont il résultait nécessairement que cette reconnaissance de dette était nulle, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1131 et 1133 du code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'en présence d'un accord écrit sur la chose et le prix, la vente est parfaite selon les stipulations figurant dans l'acte ; qu'estimant qu'au vu de l'évaluation originaire du bien, de la description de la maison et de son emplacement à Saint-Raphaël, il incombait à Mlle X... de payer une somme de 80. 000 € à titre de complément au prix de 270. 000 € prévu dans l'acte authentique de vente du 21 août 2006 (arrêt attaqué, p. 5 § 1), la cour d'appel a procédé à une réfaction du prix en marge de toute volonté contractuelle clairement exprimée par les parties et a violé l'article 1134 du code civil ;

ALORS, ENFIN, QUE les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les font faites ; qu'elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ; qu'en estimant que le courrier adressé au notaire par Mmes Z... et Y..., demandant à celui-ci de « régulariser » l'acte authentique de vente en y mentionnant le complément de prix de 80. 000 € pour « être en conformité avec la législation fiscale », avait eu pour effet de rendre exigible ce complément de prix, tout en constatant que ce courrier avait été adressé au notaire le 4 septembre 2006, soit après la signature de l'acte authentique de vente en date du 21 août 2006, et sans constater que Mlle X... avait donné son accord en vue de la modification du prix mentionné dans l'acte authentique de vente (arrêt attaqué, p. 5 § 2), ce dont il résultait que le complément de prix n'avait pu entrer dans le champ contractuel, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1134 et 1165 du code civil."

Christophe Buffet