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Politique du logement : le piège des programmes nationaux

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Entre le moment où se rédige un programme et celui de sa mise en œuvre, bien des événements peuvent survenir...

La figure est imposée. Tous les candidats à l'élection présidentielle, en France comme dans les pays de régime comparable, doivent proposer un programme anticipant sur leur action future pour le cas où ils seraient élus. Le piège est double. D'abord, alors même que la Constitution ne fixe pas de mandat impératif, c'est-à-dire ne contraint pas le président élu à s'engager formellement sur la politique qu'il va mener, l'opinion entend que les promesses soient tenues. La phrase devenue célèbre d'Edgar Faure, selon laquelle les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent, à ce sens réversible: l'agrégé de droit public qu'il était savait qu'on n'était pas dans le champs de l'obligation juridique, mais dans celui du contrat moral, non moins important. Or, entre le moment où se rédige un programme et celui de sa mise en œuvre, bien des événements peuvent survenir, des compromis de gouvernement à la conscience des faibles marges de manœuvre économique une fois fait l'audit des finances publiques...

Le second piège est plus insidieux et plus récent. Depuis la décentralisation, le programme du futur Chef de l'État devrait prendre en compte la dimension territoriale, qui ne dépend de lui que dans une certaine mesure. Tous les candidats, à l'inverse, ne parlent que de politique nationale, ou ne parlent de la politique comme si elle était essentiellement nationale. Le domaine du logement est à cet égard éloquent. Le pouvoir des exécutifs locaux est considérable. Les autorisations de construire sont dans l'escarcelle des maires. La détermination de la fiscalité locale, avec les trois taxes que les droits de mutation à titre onéreux, la taxe d'habitation et la taxe foncière, plus quelques autres moins connues, est du ressort des conseils municipaux, départementaux et régionaux. Les collectivités définissent aussi les règles du jeu de l'urbanisme, avec les plans locaux de l'urbanisme et de l'habitat, communaux et bientôt intercommunaux. Beaucoup inventent des aides pour accompagner les ménages qu'ils estiment prioritaires, vers l'accession notamment. Bref, la politique du logement est largement territoriale.

"On déshabillerait Pierre pour habiller Paul"

La question se pose d'ailleurs de savoir s'il ne faudrait pas qu'elle soit plus territoriale encore. Au demeurant, le droit à expérimentation est désormais constitutionnellement acquis, ouvrant des perspectives à l'application du principe de subsidiarité. Car enfin, qui mieux que les élus de proximité connaissent la situation de leur territoire et de ceux qui y vivent? On voit bien lors de cette élection l'essoufflement de la conception nationale et de la tentation centralisatrice des Présidents de la République successifs. François Fillon, Emmanuel Macron et Marine Le Pen veulent à eux trois toucher aux droits de mutation et à la taxe d'habitation, jusqu'à émettre l'idée de supprimer ces impôts. Bien sûr, on compenserait par des fonds d'État. On déshabillerait Pierre pour habiller Paul. C'est digne des Shadocks. L'encadrement des loyers? On hésite. Entre Monsieur Macron, qui veut voir les résultats des observatoires avant d'imposer, ceux qui veulent en retourner à la mécanique de l'ALUR et de la contrainte dans toutes les agglomérations tendues, Monsieur Valls, battu par la primaire de son camp mais qui rejoint le candidat d' "En marche", qui voulait s'en remettre aux maires, on sent le vasouillage.

Et s'il fallait plutôt que le futur ou la future locataire de l'Élysée ne redéfinisse les rapports entre l'État et les collectivités pour la politique du logement? Continuera-t-on longtemps à poser sur les marchés et les populations et leur diversité un regard uniforme et pour tout dire myope? Et si l'on décentralisait vraiment la politique du logement, au point de laisser à l'État le rôle supérieur de garant suprême? Il lui appartiendrait in fine de veiller à l'équité des territoires, pour que partout les besoins des ménages soient satisfaits. En somme le principe de subsidiarité, corrigé du principe de substitution en cas de défaillance des collectivités.

Henry Buzy-Cazaux