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Relance des ventes dans le neuf : l'autre lecture

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Le chiffre est tombé il y a quelques jours, et il a, semble-t-il, réjoui autant la planète immobilière que les médias: le premier trimestre 2015 a marqué une augmentation de plus de 10% du volume des ventes de logements neufs par rapport au même trimestre de 2014. Certes, on se dit qu'il faut attendre que la tendance se confirme, et comme on ne constate vraiment la croissance du produit intérieur brut qu'après deux trimestres consécutifs de hausse, on fera le bilan qu'en juillet prochain. Mais bon, c'est déjà à prendre.

Le sujet est pourtant ailleurs. Il réside dans l'analyse de l'origine de ce résultat: il doit tout au redressement de la vente aux investisseurs locatifs grâce au dispositif de défiscalisation Pinel, du nom de l'actuelle ministre du logement. Alors que ce segment augmentait de près de 60% du trimestre à trimestre et d'une année sur l'autre, l'accession à la propriété, elle, poursuivait son érosion, à -3,3%. Ce constat mène à deux réflexions. La première est simple: Madame Pinel a bien travaillé. Elle a compris en particulier qu'on n'attrapait pas les mouches avec du vinaigre. Le Pinel est à la fois plus généreux et plus souple que le Duflot, qui le précédait, permettant notamment l'achat pour louer à des enfants ou à des parents âgés.

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La seconde réflexion est moins circonstancielle: le marché du logement neuf peut-il fonctionner sans incitation fiscale ou financière publique? Pour les investisseurs, le booster fiscal a pour effet de faire augmenter le rendement locatif de façon substantielle et de séduite le contribuable qui s'estime à juste titre pressé d'impôts et de taxes. Pour les accédants, les aides restaurent artificiellement la solvabilité, équilibrant des plans de financement qui sans cela ne seraient pas viables. Elles font ainsi oublier que les prix de sortie des logements neufs sont décallés par rapport aux revenus moyens des familles françaises. On objectera que le prêt à taux zéro existe toujours. Oui, mais il compense de plus en plus mal la distance entre les prix et les revenus, les premiers ayant en outre cru bien plus vite que les seconds depuis dix ans. D'autre part, la menace de la suppression des aides personnalisées au logement, brandie par le rapport du député Pupponi re mis la semaine dernière au gouvernement, en rajoute à la crainte que l'Etat assiste de moins en moins les accédants...

D'ailleurs, la probabilité est forte que depuis trois ans l'accession à la propriété se soit pour partie déplacée du neuf vers l'existant, structurellement moins cher, dont les prix ont su s'ajuster à la moindre solvabilité des ménages et porteur de plus-value de manière moins discutable -du fait de localisations qui ont eu le temps de faire leurs preuves-.

Marges divisées par deux en dix ans

La réponse récemment apportée par la Fédération des promoteurs immobiliers que le logement neuf rapporte plus à l'Etat qu'il ne coûte est pertinente, certes, mais elle ne récapitule pas le problème. Le rôle des finances publiques consiste-t-il à corriger un problème d'inadaptation structurelle? Incontestablement non, surtout lorsqu'on sait que l'Etat est en grande partie à l'origine de ce dérèglement. En toute logique économique, un secteur industriel ou de service doit être en mesure de produire des produits ou des services dont le coût et le prix soit absorbable par les clients potentiels. Bien sûr, l'amortisseur du crédit est là pour rapprocher l'offre et la demande en termes de solvabilité: 90% des achats de logements ou de voitures ont vocation à se faire à crédit, et cela n'a rien de pathologique. En revanche, quand même cet amortisseur, qui plus est à l'heure de taux historiquement bas, ne suffit pas, il faut s'interroger. Il faut aussi s'interroger lorsqu'on sait que les promoteurs ont divisé leurs marges par deux en dix ans et qu'ils sont au bout de l'exercice à leur niveau.

Quelle est donc la responsabilité de l'Etat? Depuis des décennies, les gouvernements successifs ont accentué la pression fiscale sur la production de logements. Ils ont, souvent il est vrai en transposant des directives européennes, alourdi les normes techniques, conduisant à un enchérissement colossal. La seule norme relative à l'adaptation systématique des logements construits à l'occupation par des personnes handicapées est cause d'une augmentation de l'ordre de 8% des prix! Mises bout à bout, les quelque 5000 normes expliquent un tiers environ du prix... De la folie pure.

La fiscalité de la plus-value sur les terrains à bâtir, de son côté, incline à thésauriser les emprises foncières potentielles et est facteur d'inflation: quand la charge foncière représentait 10 ou 15% du coût total de construction il y a une génération, elle constitue entre deux et trois fois ce poids aujourd'hui. Il faut aussi pointer du doigt, quelles qu'en soient les causes, le malthusianisme des maires: leur réticence à délivrer des permis de construire est préjudiciable et organise une rareté de l'offre.

Enfin, les recours, qui retardent les projets ou les compromettent, sont devenus une sorte de sport national. Les pénalités sur les recours malveillants et abusifs ont été renforcées, mais l'ont-elles été au point d'être dissuasives de la mauvaise foi?

Bref, combien de temps l'Etat, de quelque couleur qu'il soit, continuera-t-il à devoir prescrire des excitants pour compenser l'asthénie qu'il cause lui-même, avec l'aide des collectivités? On voit que derrière l'heureuse nouvelle de la reprise des ventes de logements neufs se cache la béance d'un questionnement douloureux, pour utiliser les mots un peu pédants -j'en conviens- des philosophes. Ils ont quand même en général le mérite de ne pas en rester à l'apparence et d'ouvrir les vrais débats.

Henry Buzy-Cazaux