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Taux d'intérêt historiquement bas : est-ce une grande nouvelle ?

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Face à des taux d'intérêt historiquement bas, Henry Buzy-Cazaux veut aujourd'hui tempérer les discours sur le crédit pas cher, estimant notamment que le soleil ne brille pas vraiment pour tout le monde.

Étonnant, cette propension du monde immobilier à monter très haut dans l'enthousiasme et à descendre très bas dans la déprime. Cette période semble, elle, bénie des dieux, avec l'annonce par François Hollande de la prolongation du Pinel, plus quelques autres mesures relatives au foncier promises par Emmanuelle Cosse, des prix de l'ancien assagis et des prix du neuf maîtrisés... et surtout des taux d'intérêt historiquement bas, selon l'expression consacrée.

Elle n'a jamais été aussi idoine : il faut remonter quarante ans en arrière pour trouver un prix de l'argent si bas. Chacun y va de son calcul, pour démontrer qu'à effort constant on peut acheter un logement mieux situé, ou plus grand, ou plus beau, ou seulement qu'on peut acheter quand on ne le pouvait plus. Bref, c'est formidable. C'est l'euphorie.

Le problème de l'euphorie, c'est qu'elle empêche le discernement. Et si derrière des taux d'intérêt extraordinairement avantageux se cachaient en fait de sombres nouvelles pour les emprunteurs, dont on ne parle pas ? Et si l'arbre cachait la forêt ? Et si la fête précédait la gueule de bois ? Car enfin, la vraie question ne consiste pas à savoir s'il fait beau mais si le soleil brille pour tout le monde. Et ce n'est pas le cas, loin s'en faut.

On parle de financer à taux bas des opérations avec un apport personnel significatif, de l'ordre de 20 à 30% du montant global, pour des emprunteurs ayant un CDI (contrat de travail à durée indéterminée). On voit déjà que les critères ont quelque chose d'exclusif. Pour mémoire, près d'un quart de la population salariée est déjà en-dehors de ce statut et près de 60% de ceux qui entrent sur le marché du travail se verront octroyer un CDD ou un stage ou assureront un intérim, quand ils n'auront pas d'emblée fait le choix d'être travailleurs indépendant, sous statut d'auto-entrepreneur en particulier. Le président d'école que je suis connaît cette réalité: l'IMSI a la fierté que 100% de ses diplômés, depuis la création de l'école il y a seize ans, trouvent un travail, bien rémunéré et correspondant à leur souhait. Certes, mais le CDI est en recul d'année en année.

Du projet de loi El Khomri on pense ce qu'on veut, mais il vit avec son temps. La flexibilité, qui est un mot pudique ou optimiste pour parler de précarisation du travail, est une donnée. Les entreprises n'ont plus la visibilité ni pour beaucoup la solidité leur permettant de s'engager pour l'éternité et elles ont besoin de ces souplesses. Au demeurant, ce qui est intéressant est qu'elles peuvent mieux rétribuer un salarié précaire et faire avec lui un long chemin. Bref, c'est une évolution structurelle, ou conjoncturelle longue, ce qui revient au même.

Face à cela, comment les scorings des banques ont-ils suivi? Ils n'ont pas suivi. Ainsi, la plupart des jeunes ou des moins jeunes candidats à l'accession ne sont-ils pas éligibles à l'endettement pour acheter un logement. Qui le dit? Pour eux, les taux à moins de 2% ont le même attrait que les voitures pour ceux qui ont perdu leur permis de conduire, ou que l'abondance de nourriture pour les gens du tiers-monde. En parler sans nuance est cruel.

Pour être complet sur l'imposture des discours sur le crédit pas cher, qui fait l'impasse sur quelques sujets de fond, il faut parler de l'assurance emprunteur. Son prix est fondé sur des risques moyens, correspondant à une population d'une quarantaine d'années. Les jeunes dont les risques de maladie sont bien moindres, les plus âgés dont les situations exigent un regard fin au cas par cas, tous ces emprunteurs sont défavorisés et paient en fait trop cher, sur la base d'un tarif rustique établi pour des risques moyens. Là non plus, les banques n'ont pas encore ajusté leur regard aux évolutions, au rallongement de la vie, aux progrès de la médecine, à l'amélioration des conditions de travail.

En clair, les taux d'intérêt ne sont qu'une donnée dans une équation complexe et il faudrait parler des conditions de crédit là où on fait le choix de n'évoquer que les taux de crédit. Choix un brin idéologique, au sens où l'idéologie sert à parer de toutes les vertus un événement qui ne les a pas toutes. Au-delà de la mise au point et de ce qu'elle a de satisfaisant pour l'esprit et la recherche de la vérité, il n'est que temps que les prêteurs modernisent leur regard sur les emprunteurs. Et là, surgit un doute: et si les banques ne le voulaient pas vraiment?

Il faut rendre hommage à l'ANACOFI, syndicat majeur des conseils en gestion de patrimoine indépendants, qui la faveur de sa convention annuelle il y a quinze jours a ouvert le débat avec le Crédit Foncier et son directeur du développement sur les vraies conditions de crédit. Le représentant de l'établissement a eu la franchise de parler des exigences de Bâle IV, après celles de Bâle III, qui obligent les banques à mettre des fonds propres abondants face aux crédits consentis.

Beaucoup ne parviendront à répondre à ces exigences qu'en consentant moins de crédits! Et finalement, le changement de structure du marché du travail ou encore la complexité de la sociologie des emprunteurs par rapport aux risques de santé pourraient bien arranger les prêteurs, en leur permettant de s'abriter derrière des causes exogènes au moment de devoir entrer dans le moule contraignant des nouvelles obligations prudentielles.

Henry Buzy-Cazaux