BFM Immo
Avis d Experts

Transition énergétique : rattraper le retard des copropriétés

BFM Immo
A l'approche de la COP 21, conférence mondiale sur le climat et la protection de la planète que Paris accueillera en novembre, voilà que la France semble bien peu exemplaire pour moderniser son parc de logements collectifs.

C'est la Fédération française du bâtiment, dressant le bilan économique de l'activité de ses adhérents, qui a tiré il y a quelques jours la sonnette d'alarme. Alors que l'entretien et la rénovation pourrait constituer la planche de salut d'un secteur affecté par la baisse des constructions neuves, particulièrement grâce au booster des travaux de rénovation énergétique des immeubles résidentiels, ce segment-là plonge plus vite encore que les autres.

Pourtant, notre pays était bien parti. Deux lois fondatrices, votées en 2009 et 2010 à l'unanimité du Parlement, une instance dédiée à faire avancer les acteurs par la conviction -le Plan Bâtiment Grenelle, devenu Plan Bâtiment Durable, présidé depuis l'origine par Philippe Pelletier-, des incitations financières et fiscales puissantes, une loi du 17 août dernier sur la transition énergétique pour la croissance verte... l'arsenal est impressionnant et les pouvoirs publics ont fourbi leurs armes. Alors d'où vient que les copropriétés françaises, on l'on disait en 2008 qu'il y aurait entre 400 et 800 milliards d'euros de travaux de cet ordre à engager dans les vingt ans qui suivaient, aient pris un tel retard et n'en aient réalisé que 15%?

L'Etat porte une part de responsabilité. En matière d'aides d'abord, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, tous bords politiques confondus, on s'est agité et on n'a pas stabilisé les dispositifs. Trois générations successives de certificats d'économie d'énergie -primes versées aux ménages par les entreprises reconnues responsables de par leur activité des dégâts faits sur la planète, et désignés comme des obligés-, avec des règles du jeu différentes, un éco PTZ collectif qui n'en finissait pas de ne pas voir le jour, un crédit d'impôt transition énergétique -CITE- dont les contours ont maintes fois évolué entre l'annonce et la sortie, la menace permanente d'une remontée du taux de TVA applicable, la liste est longue des atermoiements et des palinodies. Rien n'est pire au moment d'entraîner et de convaincre une communauté par construction hétéroclite.

En outre, la didactique est insuffisante. Où est-il dit de façon simple qu'il s'agit d'investissements et non de dépenses? Où explique-t-on que le retour sur investissement est plus proche de dix ans que de vingt ou de trente? Où parle-t-on de qualité de vie majorée? Où explique-t-on que la valeur, voire la liquidité d'un appartement est d'ores et déjà affectée pour la vente comme pour la location par le manque de vertu énergétique?

La communauté des syndics de copropriété est coupable aussi. Si certains ont compris les enjeux...et leurs intérêts, la plupart considèrent tout cela comme un peu métaphysique, loin des préoccupations des copropriétaires et donc superfétatoire et surérogatoire. L'erreur est de taille! Certes, la loi Alur a fait prendre un tournant à la profession de bien des manières et maintes dispositions lourdes doivent être digérées, à commencer par un cadre contractuel renouvelé. Sauf que le problème de fond, la difficulté à démontrer la valeur ajoutée et faire payer le service, ne sera résolu qu'en changeant de perspective. Engager les copropriétés sur la voie de la transition énergétique, c'est les projeter dans le moyen terme et les placer dans une logique patrimoniale. Vaut-il mieux convaincre quarante copropriétaires de réaliser collectivement un million de travaux et de les conseiller pour financer l'opération, en prétendant légitimement à des honoraires de suivi, ou tenter aux forceps de faire augmenter le forfait par lot du montant des photocopies, désormais non facturable de façon séparée? Trop de syndics jouent petit bras, pour parler comme Yannick Noah.

Les deux parties, professionnels de la gestion et copropriétaires, peuvent-ils se retrouver? Oui, trois fois oui. Une preuve tangible: un groupe leader organise depuis un an et demi un tour de France des villes dans lesquelles il est implanté, et à la faveur de soirées-débats avec des opérateurs majeurs du développement durable, sociétés d'audits ou énergéticiens, réunit tous les conseillers syndicaux des immeubles dont il est mandataire. Des centaines de personnes assistent avec une assiduité étonnante et une attention religieuse à ces soirées de conviction. La dernière à Lyon la semaine dernière a ainsi réuni près de quatre cents personnes. Le thème, pour sérieux qu'il soit, déplace les foules pour autant qu'on prenne la peine d'expliquer.

Faut-il donner plus de moyens humains au Plan Bâtiment Durable, pour qu'il sensibilise davantage? Peut-être. Le choix d'une équipe resserrée et d'un budget étique doit peut-être remis en question dès lors qu'on constate un retard lourd dans le domaine des copropriétés résidentielles. Les organisations professionnelles de syndics doivent sans doute plus clairement présenter le développement durable comme cardinal pour l'avenir de la profession, et non comme un sujet de plus pesant sur le quotidien des gestionnaires. Il n'est que temps de résorber la fracture culturelle entre les syndics et les clients qui savent et ceux qui ne savent pas, ou ont en tête des idées fausses sur la transition énergétique. Cela doit désormais se faire à marches forcées.

Mutatis mutandis, regardez à quelle vitesse et avec quelle détermination l'opérateur historique des télécoms, Orange, et les autres à sa suite, déploient la fibre optique dans les villes et jusque dans les immeubles: ce sont des milliards qu'il a investis techniquement et industriellement, mais aussi pour communiquer auprès du public sur les bénéfices finaux du très haut débit. Pendant ce temps, on ne vulgarise pas le développement durable dans les immeubles et on le laisse trop dans le champ des initiés. Le B to B doit faire place au B to C. La transition énergétique mérite autant d'efforts et de mobilisation d'énergie et d'argent que la transition numérique.

Henry Buzy-Cazaux