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"Logement des seniors : Bonne conscience et conscience des enjeux"

Raymond Le Roy Liberge

Raymond Le Roy Liberge - dr

Une tribune de Raymond Le Roy Liberge, président du groupe immobilier Les Provinces. Le dirigeant prend la parole sur le logement des séniors.

Alors que le président de la république annonçait son plan d’urgence pour le logement, Luc Broussy, maire de Goussainville, et surtout chargé d'une mission interministérielle sur l'adaptation de la société au vieillissement de la population, vient de faire une proposition audacieuse : imposer un quota de 20 % de logements spécifiques pour les personnes âgées dans tout programme neuf construit dans les zones propices au vieillissement (sic). Il propose aussi que, dans le patrimoine existant, les personnes âgées locataires puissent sans autorisation du propriétaire engager des travaux lourds d'adaptation, alors que la loi du 11 février 2005 pour les PMR (personnes à mobilité réduites) inclut déjà les difficultés liées à l’âge. Sont-ce de bonnes idées ?

C'est une bonne intention, à n'en pas douter, qui a inspiré l'élu. Comment ne pas s'associer à sa volonté de maintenir à domicile les personnes des 3e et 4e âges, plutôt que d'imposer le placement systématique en maison médicalisée ? Les raisons sont multiples, du manque de places dans ces établissements à leur prix inaccessibles pour beaucoup, en passant par les évidentes vertus de l'environnement personnel familier. Une bonne intention donc, mais une bien mauvaise idée.

Quand ceux qui nous gouvernent comprendront-ils que les contraintes règlementaires, pour fondées qu'elles soient, emportent des conséquences fâcheuses ?

La première est évidente : les promoteurs croulent désormais sous les obligations, techniques relatives au développement durable, à la sécurité, à l'accessibilité, au stationnement des véhicules, relatives aux logements sociaux, renforcées naguère, ou encore à la proportion de propriétaires occupants dans le cadre du dispositif Duflot, et ces contraintes enchérissent le coût de production et les prix de sortie de façon insupportable. Veut-on que le logement soit une denrée pour les riches ou permise à tous ? Les convictions de ce gouvernement semblent claires et estimables en la matière, mais le devoir des professionnels est d'attirer l'attention des décideurs publics sur les incohérences entre le cap choisi et la politique menée.

La deuxième conséquence est financière aussi. Sauf à répercuter sur le public concerné le coût des aménagements spécifiques de manière réelle et intégrale, les promoteurs vont encore devoir faire une péréquation entre tous les logements, et faire supporter aux accédants ou aux investisseurs les particularités d'une fraction des logements du programme. C'est déjà ce qui se passe avec le quota de logements sociaux : l'équilibre financier d'une opération de construction n'est ménagé que parce qu'on déshabille Pierre pour habiller Paul. Le moindre prix d'acquisition des logements sociaux entraîne un prix majoré pour les autres.

Nos élus ne peuvent continuer à charger la barque en ignorant cette banalité économique. La troisième conséquence a trait à l'organisation même de l'occupation du parc. Pourquoi imaginer que les choses ne se font jamais naturellement et que le décret vaut mieux que les logiques de marché ? On tombe dans l'absurdité à vouloir forcer la réalité, qui dessine très bien ses contours elle-même : des séniors achètent chaque jour des logements à construire (en vente en l'état futur d'achèvement), et obtienne du promoteur des aménagements, en général pour partie gracieusement, pour partie au prix de suppléments, assumés par l'acquéreur sans que cela ne pose de problème, notamment grâce à des financements ad hoc. Et cette simplicité a l'avantage de permettre l'ajustement aux besoins : dans un programme qui ne fait l'objet d'aucun intérêt de la part de ménages âgés, pour des raisons de localisation ou de profil général du programme, pourquoi leur réserver une partie de l'offre ? Peut-on s'offrir le luxe que des logements ne trouvent pas preneurs parce que la demande ne s'exprimerait pas ?

Enfin, la discrimination positive présente un inconvénient : elle fait oublier les fondamentaux. Il est inconcevable, juridiquement aussi, qu'un logement locatif, qui peut d'ailleurs indifféremment être un investissement neuf ou ancien, soit modifié par son locataire sans l'autorisation de son bailleur. Le droit de propriété en serait mis à mal, et mise à mal également la capacité d'exploitation. L'adaptation du logement va spécialiser sa destination et fermer considérablement le spectre des locataires possibles. C'est inadmissible pour le propriétaire... et pour le marché : faudra-t-il au départ de la personne âgée priver un jeune ménage de ce logement, qui ne sera pas à sa main et qui sera en quelque sorte perdu pour les locataires ordinaires ? C’est absurde.

On ne reprochera à Monsieur Broussy ni sa sensibilité à la situation des seniors, ni sa générosité, ni même sa créativité politique. Il importe, au-delà de ces qualités, qu'il ait une pleine conscience des enjeux, et que sa réflexion ne soit pas seulement animée par la bonne conscience.

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