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"On n'a pas le souvenir d'un atterrissage aussi brutal de l'immobilier locatif"

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Michel Mouillart, professeur d’économie à l’Université de Paris X, revient pour Lavieimmo.com sur la dernière édition de l’Observatoire des loyers Clameur*. En moyenne nationale, les loyers n’ont progressé que de 0,2 % en rythme annuel au cours des deux premiers mois de l’année. 2009 devrait être marquée par une très légère progression, avec des baisses dans la moitié des 680 villes étudiées. Du jamais vu en plus de dix ans. L’économiste aborde également la question du gel des loyers, souhaitée par certaines associations.

Lavieimmo.com : En septembre, vous excluiez la possibilité d’une baisse des loyers à l’échelle nationale. A la lumière des chiffres publiés la semaine dernière, maintenez-vous cette estimation ?

Michel Mouillart : Ces chiffres se contentent de confirmer le ralentissement du marché locatif mais ils ne permettent pas, pour le moment du moins, de prédire une baisse généralisée. La récession, en pesant sur le revenu et le moral des ménages, a accéléré la chute de la mobilité résidentielle des locataires, orientée à la baisse depuis déjà deux ans. Si on ajoute à cela le fait que les mois d’hiver sont structurellement les moins dynamiques de l’année, la quasi-stagnation des loyers qu’on a constatée en janvier et février n’a rien de très surprenant. D’expérience, on sait que le marché se ressaisit au printemps : à moins d’un durcissement très net de la crise économique au cours des prochains mois, les loyers devraient connaître en 2009 une hausse de 0,5 à 1 %. Soit une croissance très faible, mais une croissance malgré tout…

Lavieimmo.com : Les loyers sont en baisse dans près de 44 % des villes de l’Observatoire, soit plus du double qu’en septembre…

Michel Mouillart : Tout prête à croire que cette proportion continuera de progresser. On n’est pas, je le répète, dans une configuration de baisse générale du marché. Cependant avec une progression ramenée à 0,5 % sur douze mois en moyenne nationale, on peut raisonnablement penser que d’ici la fin de l’année, la moitié seulement des villes étudiées connaîtront encore des hausses de loyers.

Lavieimmo.com : Avez-vous le souvenir d’une telle situation ?

Michel Mouillart : L’Observatoire n’existe que depuis 1998. Autant dire que de mémoire de Clameur, la situation actuelle est inédite. Et si des études du marché locatif privé sont menées depuis une vingtaine d’années dans plusieurs grandes villes de France, on n’a pas d’exemple d’atterrissages aussi brutaux que le ralentissement actuel - pas même pendant la crise immobilière du début des années 1990.

Lavieimmo.com : Peut-on dresser le profil des villes qui baissent et de celles qui montent ? Michel Mouillart : Je pense qu’il faut raisonner marché par marché. Si on regarde les variations des loyers dans les différentes régions françaises, on constate d’importantes disparités entre la Franche-Comté et l’Auvergne d’un côté, qui enregistrent des baisses de 4 et 3 % en début d’année, et les régions Poitou-Charentes et Provence-Alpes-Côte-d’Azur de l’autre, en hausse de 3,2 et 3,3 %. Ces différences s’expliquent tout simplement par la solidité du tissu économique de chaque région : les villes touchées par des fermetures d’usines et la montée du chômage sont plus fragiles que celles qui continuent de bénéficier du tourisme, par exemple. A moyen terme, une aggravation de la crise aurait pour effet de gommer ces disparités, mais pour l’instant, certaines villes résistent.

Lavieimmo.com : Quelle est la situation à Paris ?

Michel Mouillart : Grosso modo, les loyers sont en baisse dans la moitié des arrondissements : d’un côté les quartiers plutôt populaires, au Nord et à l’Est de la ville, de l’autre les arrondissements centraux, recherchés par une clientèle plus aisée. Le niveau des loyers a tellement progressé au cours des dernières années que le coût de la mobilité résidentielle au sein du parc locatif parisien est devenu difficilement supportable pour une bonne partie des locataires des arrondissements périphériques. Pour déménager aujourd’hui après cinq ou six ans dans un même appartement, un locataire doit accepter de payer plusieurs centaines d’euros en plus tous les mois. L’effort est supportable quand on a des perspectives de promotion et d’évolution professionnelle, il l’est moins dans un contexte de crise tel que celui que nous connaissons actuellement… Contre toute attente, les quartiers les plus centraux, que d’aucun croyaient à l’abri, sont également en baisse. Je prendrais l’exemple du troisième arrondissement, qui affiche au premier trimestre une baisse de plus de 14 % en comparaison annuelle. Cela illustre le fait que Paris, qui accueille une population plus « haut de gamme » que les autres grandes villes françaises, est plus touchée par les crises financière et boursière. Deux types de situations pour une même conséquence : la mobilité résidentielle, déjà structurellement très faible, s’est encore réduite, entraînant les loyers dans son sillage.

Lavieimmo.com : Que pensez-vous du débat sur le gel des loyers ? Michel Mouillart : Les chiffres publiés la semaine dernière confirment le net ralentissement du marché locatif privé. Au cours des 2 à 3 prochaines années, la progression des loyers devrait être très inférieure à celle de l’inflation comme du revenu des ménages. C’est très satisfaisant pour les locataires… tout du moins pour ceux du parc privé. En effet, il n’existe à l’heure actuelle aucun outil d’observation du type de Clameur qui permettrait de mesurer l’évolution des loyers au sein du parc locatif social. Or, seule une connaissance de l’ensemble du parc permettrait de répondre aux inquiétudes soulevées par les partisans d’un gel des loyers. Une autre remarque s’impose. Cette volonté de geler les loyers est née avec la crise, dont les partisans d’une telle mesure entendent faire peser le poids sur les propriétaires. C’est une manière de voir les choses, mais que fait-on des mécanismes de solidarité nationale ? Doit-on leur substituer un dispositif de confiscation des petits propriétaires bailleurs ? Il ne faut pas oublier que plus de la moitié des bailleurs sont des ménages à revenu modeste. Geler les loyers reviendrait à priver cette partie de la population d’une part importante de son revenu. En quelques sortes à « faire payer les pauvres pour les pauvres »… Je ne pense pas que ce soit la solution.

Propos recueillis par Emmanuel Salbayre

*Connaître les Loyers et Analyser les Marchés sur les Espaces Urbains et Ruraux

Pour plus de renseignements sur la dernière édition de l’Observatoire Clameur cliquez ici Gel des loyers, le débat fait rage !

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