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Immobilier

Un locataire condamné pour vente ou usage de drogues risque l'expulsion

Une disposition accueillie avec beaucoup de réserve

Une disposition accueillie avec beaucoup de réserve - Mehdi Fedouach - AFP

Un amendement voté fin novembre rend possible l'expulsion d'un locataire condamné pour trafic ou usage de drogue. Une disposition accueillie avec beaucoup de réserve.

Les propriétaires vont bientôt pouvoir faire les gendarmes. Un amendement adopté fin novembre par l’Assemblée nationale les autorisera à résilier purement et simplement le bail des locataires ayant fait l'objet de condamnations pour trafic ou usage de stupéfiants. Concrètement, les dealers et les consommateurs de cannabis ou de cocaïne sanctionnés devant le tribunal correctionnel à la suite d'une interpellation pourront être expulsés. Cette mesure vise tous les occupants du logement, même ceux qui n'ont rien à se reprocher. Et son champ d'application est large puisqu'elle concerne non seulement le logement loué, mais également "l'immeuble ou le groupe d'immeubles" dans lequel les faits se sont déroulés.

Une nouvelle disposition qui surprend peu les juristes. "Les bailleurs avaient déjà la possibilité d'expulser leurs locataires pour ces faits en prouvant l'existence de troubles de voisinage, mais cette fois, ils peuvent le faire automatiquement en cas de condamnation", explique Maître Nathalie Roze, avocate en droit pénal et droit immobilier. "C'est une double peine pour ces locataires dont la sanction pénale peut être lourde pour ce type de condamnation, car le spectre d'une possible résiliation de bail pèse sur eux une fois que leur peine est purgée", ajoute la spécialiste. "En fait, le législateur s'est rendu compte qu'il y avait dans certains cas des récidives et que le trafic pouvait reprendre avec de nouvelles interpellations à la clé", poursuit-t-elle.

Le trafic de stupéfiants constitue, avec les dégradations et les incivilités, l’une des causes majeures des problèmes de troubles de voisinage que subissent les locataires. "Les bailleurs se trouvent souvent démunis pour agir à l’encontre de ces fauteurs de troubles et les locataires en place ne comprennent pas l’inaction du bailleur. C’est pourquoi, il est proposé que les bailleurs puissent arguer de la condamnation pour trafic de produits stupéfiants des auteurs des troubles comme motif de résiliation du contrat de location", soulignent les auteurs de cet amendement accueilli avec réserve.

Un signal clair aux bailleurs et aux trafiquants de drogue

Dans un communiqué publié la semaine dernière, l’association Droit au logement (DAL) a fait part de sa très vive inquiétude, notamment pour les ménages "qui subiront de plein fouet la sanction de l’expulsion (…), sans même savoir qu’un des occupants a été condamné!". La fédération dénonce également le "caractère disproportionné" de cette disposition, qui est donc "contraire à des principes fondamentaux du droit, car elle s’appliquerait à des innocents, hors l’autorité du juge". La DAL s’indigne aussi du fait que l’expulsion peut être laissée à l’appréciation d’un bailleur privé ou social, "dans le contexte de crise du logement que nous traversons".

De son côté, le syndicat de la magistrature pointe du doigt le pouvoir quasi-répressif donné au bailleur. "C'est même contraire au droit au logement et à la constitution", pense sa secrétaire nationale Mathilde Zylberberg, dont les propos sont rapportés par Le Figaro. La députée socialiste de Paris Annick Lepetit, cosignataire de l'amendement, estime quant à elle qu'avec ce texte qui "permettrait de simplifier les démarches" et "inciterait" les bailleurs à agir, un signal clair est envoyé aux bailleurs et aux trafiquants de drogue "qui pourrissent la vie de certains immeubles", peut-on lire dans le quotidien.

Reste que les "petits" consommateurs échappent donc aux mailles du filet, si ces derniers n'ont jamais eu affaire à la justice. Cette mesure risque en tout cas de concerner beaucoup de monde, dans un pays qui compte plus de 5 millions de consommateurs réguliers de stupéfiants, selon la dernière édition de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Par ailleurs, 56.700 condamnations pour une infraction à la législation sur les stupéfiants, dont 82% pour usage illicite et détention, ont été recensées l’an passé dans l’Hexagone.

Julien Mouret