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"Décision publique et incertitudes : Le cas du blocage des loyers"

François Gagnon

François Gagnon - DR

Tribune à François Gagnon, PDG d'ERA Europe et ERA France, qui s'exprime sur les blocages de loyers.

Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, a bloqué par décret les loyers de relocation dans certaines agglomérations. Les critères de sélection des villes concernées ont été présentés de façon claire : étaient visées par la décision celles dans lesquelles les loyers avaient cru deux fois plus vite que l'indice de référence (IRL) au cours des dix années précédentes, et qui en outre affichaient un prix moyen au m² supérieur à 11,10 €.

Je ne discuterai pas du bien-fondé de ces critères. Je trouve que le premier relève du bon sens, et que le problème majeur résulte en effet du décrochage entre le pouvoir d'achat des ménages et le niveau des loyers. Quant au second, il est singulier à force d'être précis au dixième d'euro près...

C'est sur une autre difficulté que je voudrais insister, mise en lumière par les hésitations et les revirements du gouvernement dans le choix des agglomérations. Parties 43 dans la liste règlementaire de base, elles arrivèrent 38 dans le décret définitif*. Personne ne s'en est ouvertement étonné, avec sans doute le sentiment que c'était toujours ça de gagné et qu'il valait mieux se taire. La question n'est pas là : soit les moyens d'observation des loyers locaux utilisés par la ministre et ses services sont fiables, soit ils ne le sont pas.

Comment comprendre cet étrange changement ? Le lobbying des maires des villes en question ? On peut même penser qu'un maire trouve avantage à ce que sa ville affiche la préoccupation de l'accessibilité des loyers aux classes moyennes. Pour autant, faire partie des villes où les loyers sont bloqués altère l'image d'une commune aux yeux non pas des administrés, fussent-ils propriétaires, mais aux yeux des investisseurs potentiels, et donc des promoteurs-constructeurs. Admettons donc que certains maires aient pu intervenir...mais certains pour être classés et d'autres pour être déclassés !

Je pense plutôt qu'il faut mettre en cause le bricolage qui a permis d'établir la liste. Par définition du bricolage, il donne lieu à des ajustements, sur la base de constats fragiles et incertains. Sait-on comment le gouvernement a opéré sa sélection ? Il a emprunté à deux bases de données, Clameur, observatoire des loyers privés alimenté par les administrateurs de biens et les bailleurs, et les caisses d'allocation familiales. Selon les villes, la proportion des données issues de Clameur et des données publiques a différé de façon importante, en fonction de la sociologie des locataires occupants.

Une illustration ? La ville du Havre est restée dans la liste définitive, quand celle de Rouen en disparaissait. Pourtant, les professionnels de la gestion vous diront que les loyers n'y ont pas augmenté à une vitesse pathologique depuis dix ans et que le loyer moyen est bien en-dessous de la barre fatidique retenue, ce qui ne semble pas certain pour Rouen. Une erreur en somme. Le gouvernement a voulu prendre une mesure d'urgence sur des bases de connaissances chancelantes. C'est gênant.

Quant à une lecture plus politique de cette situation, il pourrait être tentant de croire que celle des deux villes dont le maire appartient à la majorité a bénéficié d'une sorte de clémence, quand l'autre n'en bénéficiait pas, mais je ne me risquerai pas dans cette voie.

Le gouvernement a pleinement conscience de la fragilité de la méthodologie. Comment va-t-il mettre en place, dans la future loi de la fin l'année, le mécanisme promis du miroir des loyers à l'allemande, qui permettra à un locataire estimant que son loyer excède de beaucoup la moyenne constatée d'en réclamer la réduction ? Les observatoires disponibles ne donnent pas les moyens d'appréhender assez finement les réalités de marché. Il importe désormais de construire cet observatoire incontestable. Comment y parvenir ? Sans me substituer aux statisticiens pour ce qui est de la méthode, j’indiquerai de privilégier l'initiative privée sous contrôle de l'Etat à la mise en place dispendieuse d'un outil public, et tout faire pour fédérer les sources. Sur ces points, ce sont l'expérience et les convictions philosophiques qui me conduisent à faire ces recommandations de sagesse.

Quant au risque de voir fleurir des observatoires, au pluriel, et que l'un conteste l'autre, il me semble que sur un sujet aussi sérieux la rivalité entre organisations professionnelles ou entre enseignes d'administrateurs de biens n'est pas de mise. Que l'Etat et les acteurs privés fassent preuve de responsabilité dans cette matière grave. Et de grâce, en 2012, qu'on ne se contente plus de l'incertitude au moment de prendre des décisions essentielles.

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