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"Des risques de l'encadrement des loyers", par François Gagnon

François Gagnon, président d'Era France

François Gagnon, président d'Era France - dr

Une tribune du président des réseaux Era Europe et Era France, qui voit dans l'encadrement des loyers promis par François Hollande et détaillé ce matin par la ministre du Logement Cécile Duflot, « un risque majeur pour le parc locatif privé ».

Rien de surprenant à cela: le candidat François Hollande l'avait annoncé, il encadrerait les loyers des logements en cas de victoire à l'élection présidentielle. D'ailleurs, après y avoir été fermement opposé, son compétiteur, le Président sortant, avait fini par rallier la même approche et faire la même promesse. Cécile Duflot, bien logiquement, vient d'inscrire cet acte politique au nombre de ses priorités, et les professionnels de la gestion et de la location n'ont pas tardé à réagir...

Face à un marché qui, à certains endroits, est devenu difficile d'accès pour les ménages, la tentation d'administrer et de poser un couvercle règlementaire refait surface, au point que les élus libéraux eux-mêmes y cèdent, croyant ainsi apaiser les tensions sur les prix de location.

Je suis de ceux qui voient dans ce choix politique un risque majeur pour le parc locatif privé, et je veux expliquer pourquoi.

On rappellera utilement aussi à ce stade que les quelque 6,5 millions de logements locatifs privés sont pour 90 % la propriété d'individus et de ménages issus des classes moyennes: le bailleur type a un patrimoine de 1,5 logement.

Les périls du projet d'encadrer les loyers sont multiples. Les plus lourds sont relatifs aux investisseurs, que cette intention oublie totalement. On néglige que ce sont des opérateurs économiques comme les autres, en attente légitime de rendement et de profitabilité. Qui pourrait accepter d'immobiliser un capital, ou plutôt une capacité de remboursement pour la plupart, sans contrepartie financière correcte? L'investissement locatif résidentiel a une rentabilité avant impôt entre 1% et 3,5% selon les villes et les types de bien. Corrigé de la fiscalité, par définition variable selon les personnes, ces taux peuvent s'inscrire en négatif, en tout cas se stabiliser à des niveaux très bas. Dans ces conditions, toute érosion vient mettre à mal l'équilibre des opérations, et par là même la pérennité de l'investissement.

La question du désinvestissement et de l'attrition du parc locatif privé ne sont pas des sujets théoriques.

D'ailleurs, que s'est-il passé ces vingt dernières années avec les investisseurs institutionnels? Plus ancrés sur la préoccupation du compte d'exploitation que les propriétaires individuels, ils ont considéré que l'intérêt du logement avait disparu, et ils ont cédé leur parc résidentiel, acquis dans la plupart des cas par des propriétaires occupants et donc perdu pour les locataires. Ainsi, leur part dans le parc total s'est réduite à peau de chagrin, de 15%, et jusqu'à 25% dans les grandes villes, à moins de 3% aujourd'hui!

Au demeurant, l'investissement locatif n'est pas un investissement ordinaire, comme peut l'être l'achat d'une action d'entreprise, ou l'engagement dans un fond d'innovation: il lui est associé des contraintes et des aléas spécifiques, qui en font un acte civique, non seulement économique. Les bailleurs ont tous l'expérience des retards de paiement du fait des difficultés de la conjoncture, des moratoires consentis, des impayés durables et parfois perdus, de la vacance parce qu'il faut rénover le bien, avec les pertes d'exploitation liées. Bref, le bailleur rend un service social, qui lui fait mériter plus encore un retour sur investissement digne.

Et puis, il y a la question purement économique. Des penseurs incontestables, tels Friedman et Stigler, tous deux prix Nobel après-guerre, ont mis en garde dès 1946 contre les dangers paralysants d'une économie administrée avec excès et arbitraire. Nous voilà dans un pays qui a besoin de 500 000 nouveaux logements par an...et qui va péniblement en produire 320000 cette année! Peut-on s'offrir le luxe de mesures stérilisantes?

L'investisseur, plus encore s'il est un particulier, a besoin d'un certain degré de liberté. La contrainte tue l'appétence à investir.

Au rang des objections, il faut d'ailleurs dire que le marché sait se réguler: depuis trois ans, la plupart des villes françaises ont des loyers baissiers ou stabilisés, simplement parce que la solvabilité des locataires a imposé la modération ou que l'offre est supérieure à la demande. Ailleurs, dans certaines grandes agglomérations, l'insuffisance d'offre crée en effet des tensions, sans pour autant rendre les prix hors de mesure. Quant au cas particulier de Paris, on oublie qu'il est traité depuis 1989 de façon ininterrompue par un dispositif règlementaire de maîtrise au renouvellement du bail, et qu’il a toujours fait l'objet d'une considération politique à part.

On ne peut non plus exclure que la contrainte règlementaire sur la fixation des loyers entraîne des pratiques indélicates, et pour tout dire des dessous de table. On aurait alors atteint l'objectif inverse de celui qu'on s'était assigné, en inventant des barrières à l'entrée pour les plus fragiles et en créant un marché locatif censitaire.

Au bout du compte, les périls de l'encadrement condamnent la mesure. Néanmoins, le besoin de tempérer les loyers et d'abonder l'offre locative privée est entier. Comment faire? Sans conteste en améliorant la condition fiscale du propriétaire investisseur, par une meilleure reconnaissance de ses charges d'exploitation surtout.

Sans doute aussi par un rééquilibrage juridique entre les droits et devoirs du bailleur et preneur, malmené depuis trente ans au détriment du premier. Enfin, très simplement, en stabilisant les règles du jeu pour donner de la visibilité et de la confiance aux propriétaires et à ceux qui veulent investir.

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