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Prix immobilier

Une baisse des prix immobiliers est possible, pas assurée...

Le scénario de la baisse forte et rapide n'est pas le seul retenu par Jacques Friggit

Le scénario de la baisse forte et rapide n'est pas le seul retenu par Jacques Friggit - dr

Selon l’économiste Jacques Friggit, chargé de mission au Conseil général de l’Environnement et du Développement durable, les chances de voir les prix de l’immobilier en France baisser fortement et rapidement dans un avenir proche existent. Gare, cependant, aux conclusions hâtives…

Et si la chute de l’immobilier avait bien lieu ? Et si, après le faux départ de 2008-2009, les prix connaissaient effectivement un ajustement aussi brutal que la hausse de la décennie passée a été forte ? Malgré la Fnaim et les Notaires, qui confirment trimestre après trimestre l’envolée des valeurs et tablent, au mieux, sur un atterrissage en douceur des prix, cette perspective continue d’alimenter l’espoir de nombreux candidats à l’accession. Le sujet déchaîne d’ailleurs régulièrement les passions sur les forums immobiliers, où les « baissiers » se rangent généralement derrière les travaux de Jacques Friggit, économiste spécialisé dans l’immobilier et chargé de mission au Conseil général de l’Environnement et du Développement durable. Il faut dire que parmi les deux scenarii décrits par Jacques Friggit, l’un évoque une possible chute de 30 à 35 % des prix d’ici 5 à 8 ans. Soit, sans conteste, le scénario de baisse le plus spectaculaire à ce jour.

Mais Jacques Friggit est-il bien compris ? Face à l’engouement qu’ils suscitent, nous avons souhaité examiner ses travaux de plus près.

Une surévaluation de 70 %

Jacques Friggit fonde son analyse sur un suivi de l’évolution depuis 1965 de l’indice du prix des logements par rapport à divers paramètres, et en particulier le revenu par ménage. De 1965 à 2000, malgré de grandes variations des conditions de financement, les deux grandeurs ont progressé à un rythme comparable, l’indice des prix évoluant dans un « tunnel » autour du revenu – à l’exception notable de la période 1987-1995, au cours de laquelle les prix se sont envolés sur un tiers du territoire environ, à Paris et en Île-de-France, dans les Alpes Maritimes et en Rhône Alpes, notamment. Mais depuis 2002, c’est sur l’ensemble du territoire que les prix s’emballent. A tel point, et en dépit d’une accalmie passagère en 2009, que l’indice dépasse actuellement le tunnel de 70 %.

Les éléments qui n’expliquent pas la hausse des prix…

Avant de se demander comment la situation va évoluer, Jacques Friggit s’interroge sur les raisons de cette envolée. Au passage, il écarte quelques idées reçues, à commencer par l’explication, pourtant intuitive, selon laquelle la pénurie de logements aurait un effet direct sur les prix.

  • En s’intéressant à la notion d’élasticité du prix des logements par rapport à la taille du parc et notamment en comparant le cas français à ce qui a pu être observé au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, Jacques Friggit calcule qu’« une augmentation de 1 % du nombre de logements semble engendrer « toutes choses égales par ailleurs » une diminution de l’ordre de 1 à 2 % du prix des logements, ce qui est peu » ;
  • Ecartés, également, les arguments démographiques, comme la tendance au desserrement des ménages – « le nombre de personnes par ménage a régulièrement diminué depuis 1965, alors même que l’indice du prix des logements croissait, jusqu’en 2000 comme le revenu par ménage » - ou le vieillissement de la population. L’économiste démontre ainsi que « les ménages sont acheteurs nets de logements avant un âge charnière voisin de 56 ans, et vendeurs nets au-delà », sous-entendant que ce type d’argument, s’il devait être utilisé, tendrait en faveur d’une baisse des prix à moyen terme plutôt que de leur hausse.

… et ceux qui l’expliquent un peu plus

Trois facteurs peuvent en revanche expliquer une grande partie – sinon la totalité – de la hausse. Jacques Friggit retient notamment les conditions de financement.

  • Si le lien entre prix des logements et taux d’intérêt n’est pas aussi direct que l’intuition le suggère, la hausse des prix a bien été pour partie engendrée par la baisse des taux d’intérêt à long terme nets d’inflation. Ces derniers sont actuellement inférieurs de près de deux points au niveau de 3 % qui constitue leur niveau moyen sur longue période, et autour duquel ils s’étaient maintenus – malgré d’amples fluctuations – de 1965 à 2000. Néanmoins, cet effet doit être relativisé. « Toutes choses égales par ailleurs, une baisse de taux de 1 % se traduit par une augmentation du capital emprunté de 8 %, et une hausse du montant possible de l’achat de 6 % », poursuit Jacques Friggit. Une baisse de taux de deux voire trois points n’explique donc « qu’une faible part » de la surélévation constatée.
  • L’allongement de la durée des prêts depuis 1999 joue un rôle du même ordre : l’économiste estime qu’il a pu entraîner une augmentation de 12 à 15 % du montant de l’achat.
  • Reste l’arbitrage entre l’immobilier et les autres types de placements, notamment en obligations et en actions. Depuis 2000, les loyers ont globalement augmenté au même rythme que les revenus. L’envolée des prix a donc fortement réduit les rendements locatifs. Certes, la faiblesse des taux d’intérêt, et donc de l’espérance de rendement des obligations pourrait justifier un report vers la pierre. Mais l’argument ne tient plus pour les marchés d’actions, dont le prix est actuellement faible. « Seule la « myopie » des investisseurs pourrait justifier l’argument de l’arbitrage », estime Jacques Friggit. Une sorte de « mémoire courte » de ces mêmes investisseurs, qui ne garderaient à l’esprit que l’évolution récente des marchés, et privilégieraient un investissement locatif par crainte d’un nouveau « krach » boursier. Cette même « myopie » permettrait d’ailleurs d’expliquer pourquoi la hausse des prix a été plus forte sur le segment des appartements, généralement préférés aux maisons par les investisseurs. Elle pourrait également justifier le fait que la hausse est plus forte dans les départements à faible proportion de résidences principales occupées par leur propriétaires, et donc à forte proportion d’investissements locatifs et de résidences secondaires - cas fréquent en région Paca, par exemple, où le décalage entre les prix et le revenu est l’un des plus flagrants de France.

Une hausse durable semble exclue

Les arguments « structurels » (démographie, pénurie de logements…) écartés, Jacques Friggit considère que les effets des facteurs « conjoncturels » ne sauraient être que limités dans le temps, à l’image des taux d’intérêt, qui devraient revenir vers leur niveau de long terme par rapport à l’inflation. Même chose pour l’allongement de la durée des prêts, qui, s’il joue bien un rôle à court terme dans la hausse des prix, devrait voir son effet amoindri avec les années, notamment parce que « les annuités supplémentaires engendrées par l’allongement de la durée des prêts viennent réduire le capital disponible pour l’achat des logements suivants ». L’économiste écarte donc la possibilité d’un écart durable entre la croissance de l’indice des prix et celle du revenu disponible. Il exclut également hypothèse d’un « changement de palier », selon laquelle l’indice de prix continuerait de progresser dans un « tunnel » parallèle au revenu par ménage supérieur à celui qu’on connaît depuis 1965. La question, à ce stade de l’analyse n’est donc pas de savoir si le retour au sein du « tunnel » aura lieu, mais bien quand il se produira.

Deux scenarii, dont un de forte baisse

Deux scénarii principaux sont envisagés, « qui encadrent une multitude de scenarii intermédiaires », explique Jacques Friggit. Selon le premier, qualifié de « rapide », l’indice de prix reculerait de 30 à 35 % d’ici 2018, voire 2015. Le second, plus « lent », verrait le niveau des prix se stabiliser en monnaie nominale au cours des quinze à vingt prochaines années, pendant que le revenu disponible, lui, continuerait de croître. « Le scénario A est plus probable que le scénario B, qui ne peut cependant être écarté », insiste l’économiste. Avec, cependant, une inconnue de taille : l’évolution des taux d’intérêt, dont la faiblesse actuelle réduit la probabilité de voir le scénario A se déclencher - du moins tant que la « myopie » des investisseurs n’aura pas inversé son effet.

Les plus pressés devront patienter, le grand soir de l’immobilier n’est peut-être pas pour tout de suite…

Emmanuel Salbayre