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Balcon, jardin, terrasse... Les conséquences financières du statut de partie commune à jouissance privative

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[AVIS D'EXPERT] Dans les copropriétés, les jardins et balcons sont généralement des parties communes. Avec des conséquences juridiques et financières non négligeables. Décryptage avec nos experts Jean-Philippe Mariani, avocat spécialiste dans le droit de la copropriété, et Bruno Lehnisch, cadre juridique.

La crise sanitaire et l’essor du télétravail ont ravivé chez beaucoup le désir de maisons et d’espaces verts. Hélas, les opportunités sont rares dans les aires urbaines densément peuplées. Les acquéreurs se tournent alors vers des biens en copropriété dotés d’un espace extérieur (balcon, terrasse ou jardin).

Mais ces espaces sont-ils en réalité des parties communes à jouissance privative ou des parties privatives à part entière? Y a-t-il une différence vénale significative entre ces deux situations juridiques? Que faut-il privilégier en tant qu’acquéreur et à quels frais s’expose-t-on en cas de travaux lourds sur ces espaces? Tour d'horizon.

1. En copropriété, un espace extérieur est toujours une partie commune à jouissance privative

=> FAUX

Il s’agit d’une idée reçue très répandue. C’est pourtant inexact ! Pour y voir plus clair, il faut rappeler la définition d’une partie commune à jouissance privative (voir notre article publié le 1er mars).

Les "parties communes à jouissance privative" (ou PCJP) ont été consacrées par la loi de 2019, dite Elan. Le législateur a défini ces espaces de copropriété comme des "parties communes affectées à l'usage et à l'utilité exclusifs d'un lot" ; présentes dans de nombreuses résidences (jardins, cours, balcons, toits-terrasses…), elles contiennent le plus souvent des aménagements personnels (mobilier, plantes, jeux d’enfants, éléments de décoration…). Certaines PCJP sont accessibles par des parties privatives (appartements), d'autres par des parties communes (escalier, palier…).

Intuitivement, on aurait tendance à penser qu’en copropriété les espaces extérieurs affectés à votre bien sont nécessairement des parties communes à jouissance privative.

Il n’en est rien. L’article 3 de la loi du 10 juillet 1965, qui régit la copropriété en France, dispose que les jardins, balcons et terrasses sont présumés parties communes "dans le silence ou la contradiction des titres". Autrement dit, un espace extérieur en copropriété est présumé être une partie commune mais cette présomption peut être contredite par une disposition explicite du règlement de copropriété (RCP). Schématiquement, on peut dire que le règlement est plus fort que la loi.

Deux arrêts récents rappellent qu’un espace extérieur peut être qualifié par le RCP de partie privative à part entière, qu’il s’agisse d’un balcon (Cass. 3e civ., 7 janv. 2021, n° 19-19.459) ou d’un jardin (CA Poitiers, 1re ch., 30 mars 2021, n° 19/01144).

2. En copropriété, un jardin en jouissance privative a la même valeur qu’une partie privative classique

=> FAUX

La nature ambivalente des PCJP, à mi-chemin entre le privé et le collectif, est naturellement source de conflit. À la demande du sénateur Yves Détraigne, le ministère de la Justice a récemment apporté d’opportunes précisions sur ces espaces "mixtes" puisque la Chancellerie estime qu’ils sont protégés par le droit au respect de la vie privée (réponse du ministère de la Justice publiée dans le JO Sénat du 27/08/2020 - page 3802).

Pour autant, ces espaces demeurent des parties communes appartenant indivisément à tous les copropriétaires ; elles obéissent donc au régime de la loi de 1965 sur la copropriété, laquelle soumet à l’autorisation de l’assemblée générale "tous les travaux affectant les parties communes". Si des travaux légers sont possibles sans autorisation (installation d’une palissade par exemple), tel n’est pas le cas pour des travaux plus conséquents, tels qu’une véranda ou une piscine.

Il en résulte que du point de vue d’acquéreurs potentiels une partie commune à jouissance privative est moins attractive qu’une partie privative classique, surtout quand on sait que les titulaires de droits privatifs font malheureusement parfois l’objet, au sein de la copropriété, d’actes de malveillance, voire de jalousie, comme des affaires récentes l’ont montré.

3. Un jardin en jouissance privative peut avoir une valeur 10% inférieure à celle d’un authentique jardin privatif

=> VRAI

Compte tenu de ce qui précède, on peut supposer que la valeur financière d’un bien avec un jardin en jouissance privative est inférieure à celle d’un jardin en pleine propriété.

Nous avons récemment commenté un arrêt de cour d’appel confirmant cette hypothèse. Les juges admettent qu’un jardin en jouissance privative peut avoir une valeur vénale 10% inférieure à celle d’un authentique jardin privatif, ce qui représentait dans cette affaire 18.000 €.

4. Le caractère de "partie commune" peut présenter des avantages pour le copropriétaire concerné

=> VRAI

Avoir un jardin en simple jouissance et non en pleine propriété peut faire fuir certains acquéreurs pour les raisons indiquées plus haut.

Pourtant, gardons à l’esprit que le caractère de "partie commune" peut présenter des avantages pour le copropriétaire concerné. En effet, ces espaces demeurent des parties communes appartenant indivisément à tous les copropriétaires. Tous les travaux lourds seront donc pris en charge par l’ensemble de la copropriété et non par le seul copropriétaire qui en a la jouissance. Prenons un exemple : les jardins en copropriété, qui se trouvent souvent au-dessus du parking de la résidence, peuvent nécessiter des travaux d’étanchéité. S’ils constituent des parties communes, la charge financière de ces travaux coûteux incombera à toute la copropriété…

L’arrêt précité de la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 7 janv. 2021, n° 19-19.459) montre à quel point les copropriétaires concernés peuvent, en cas de travaux à financer, revendiquer cette qualification de partie commune dans le but, précisément, de faire partager par toute la copropriété les frais de rénovation de "leur" espace…

Jean-Philippe Mariani, avocat spécialiste dans le droit de la copropriété, et Bruno Lehnisch, cadre juridique

Bruno Lehnisch