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David Semhoun

C'est à votre commune de prouver que votre local est à usage d'habitation

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L'utilisation d'un local, à des fins commerciales ou d'habitation, fait souvent l'objet de litiges, notamment depuis l'explosion des locations Airbnb. La Cour de cassation a rappelé que c'est à l'administration de prouver qu'un local est à usage d'habitation.

Par un arrêt rendu le 7 novembre 2019 (Civ. 3ème, 7 nov. 2019, n° 18-17.800) et deux autres postérieurs, du 28 novembre 2019, (Civ. 3ème, 28 nov. 2019, n° 18-23.769 et Civ. 3ème, 28 nov. 2019, n° 18-24.157), la Cour de cassation est venue rappeler que l’administration, en l’occurrence la commune, lorsqu’elle l’invoque, doit rapporter la preuve qu’un local est à usage d’habitation.

Ces trois arrêts font écho et reviennent sur un arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 5 avril de la même année (CE, 5 avr. 2019, n° 410039), lequel avait retenu qu'en l'absence d'autorisation de changement d'affectation ou de travaux postérieure, un local est réputé être à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sans qu'il y ait lieu de rechercher si cet usage était fondé en droit à cette date. Explications.

I. Rappels sur la notion d’usage au sens du Code de la construction et de l’habitation

Il est souvent malaisé de distinguer les notions de destination et d’usage. Pour aller au plus simple : la notion de destination d’un immeuble renvoie à la raison pour laquelle il a été construit, là où l’usage renvoie à son utilisation effective. L’usage est plus simple que la destination (divisée en cinq catégories puis en sous-destinations). Il n’en est que de deux types pour l'usage: Habitation et Autres qu’habitation.

Ainsi, l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation pose deux types d’ensembles de locaux : Habitation et Autres qu’habitation. Le passage du premier au second nécessite une autorisation qui peut être conditionnée à la réalisation d’une compensation, c’est-à-dire la transformation en locaux à usage d’habitation, des locaux affectés à un usage autre qu’habitation (cela s’observe dans la commune de Paris).

L’usage s’apprécie local par local et non sur l’ensemble du bâtiment. Les dispositions légales et réglementaires en vigueur tendent à limiter la faculté des propriétaires de modifier l’usage des logements, indépendamment du droit de l’urbanisme.

Le changement d’usage est conféré à titre personnel, temporaire et incessible ; sauf dans le cadre du changement par compensation qui permet un changement d’usage réel, définitif, et de fait cessible (par la cession des locaux ou de l’immeuble concerné).

Cette autorisation s’applique dans les communes de plus de 200.000 habitants, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, et dans les communes qui l’ont demandé, à l’exception des zones franches urbaines où le contrôle de l’usage n’est pas applicable.

L’article L. 631-7 du Code de commerce liste les locaux dont l’usage doit être préservé et qui sont dès lors assujettis aux contrôles, en disposant : "Constituent des locaux destinés à l'habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1 [du CCH] […]".

Or, s’il est souvent facile de donner l’usage d’un bâtiment, en cas de doute ou de désaccord, la preuve est compliquée. Ce contrôle, dans les communes visées par l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, est renforcé par l’émergence, ces dix dernières années des locations de type Airbnb. Les communes, souhaitant renforcer les locaux à usage d’habitation, exerce un contrôle de plus en plus acéré, aidé par des dispositions législatives de plus en plus coercitives.

A ce jour, seul l’alinéa 3 de l’article L. 631-7 précité apporte une présomption et rappelle que toute preuve est admise. "Pour l'application de la présente section, un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés".

Il faut se référer :

- A l’usage réputé de l’immeuble ou du local au 1er janvier 1970.

- Aux travaux postérieurs qui ont eu pour effet de modifier l’usage (et la destination).

Toutefois, ce texte ne règle pas toutes les problématiques et les contentieux subsistent. C’est dans ces conditions que s’est notamment posé l’arrêt du Conseil d’Etat du 5 avril dernier.

II. L’arrêt du Conseil d’Etat du 5 avril 2019

En l’espèce, le propriétaire d’un bien immobilier situé à Neuilly-sur-Seine, à usage de garage et de remise, avait conclu une promesse de vente de celui-ci. Après la signature de la promesse, la commune dont dépend le bien a indiqué que celui-ci était à usage d’habitation. Apprenant cela, le bénéficiaire de la promesse a renoncé à son acquisition et le promettant a intenté une action recherchant la responsabilité de la commune.

La cour administrative d’appel de Versailles avait accédé à sa demande, retenant, notamment, sur le fondement de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, que le local était affecté à un autre usage qu’habitation, au 1er janvier 1970. Elle rejetait la demande de la commune et écartait son double argument consistant à dire que le bien était à usage d’habitation initialement et que le changement d’usage n’avait fait l’objet d’aucune démarche administrative.

Le Conseil d’Etat, saisi de l’affaire, a tranché différemment en considérant que la cour avait méconnu la portée des dispositions de l’article précité. En effet, retient-il, aux termes de l'article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation, en l'absence d'autorisation de changement d'affectation ou de travaux postérieure, un local est réputé être à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sans qu'il y ait lieu de rechercher si cet usage était fondé en droit à cette date.

En revanche, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'attacher pareilles conséquences au constat, au 1er janvier 1970, de l'affectation d'un local à un autre usage que l'habitation.

En d’autres termes, le Conseil d’Etat appréciait cet article comme prévoyant la présomption d’habitation, à défaut de preuve contraire, c’est-à-dire, notamment d’absence d’autorisation de changement d’usage ou de travaux entraînant un tel changement. Ce qui permet de penser, d’une part, qu’il faut s’assurer de la régularité d’un changement d’usage et, d’autre part, que pour ce faire, l’on est fondé à aller rechercher postérieurement, mais également antérieurement au 1er janvier 1970, toute preuve tendant à démontrer l’usage réel, en droit, du local ou de l’immeuble considéré.

III. L’arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 2019

Dans cette affaire, la cause de l’action est inversée. Ce n’est plus le propriétaire du bien mais la commune qui assigne. La commune de Paris, en effet, soutenant qu'un local d'habitation était affecté à un autre usage, a assigné le propriétaire d’un bien et la société locataire, aux fins de les voir condamner au paiement d'amendes civiles et obtenir le retour du bien à son usage d'habitation.

La cour d’appel de Paris avait donné raison aux défendeurs, et son arrêt avait fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Elle reprochait à la commune de n’avoir pas rapporté la preuve de l’usage d’habitation.

Quel était l’argumentaire de la commune ? Il s’appuyait sur plusieurs éléments :

D’une part, la commune produit une déclaration H2 du 8 février 1972 (relative à la révision des évaluations servant de base à certains impôts directs locaux et portant sur l'immeuble litigieux), et qui présentait le local comme un studio.

A cet argument, les défendeurs répondaient que cette déclaration portait sur toute sa première page, la mention "annulée". La commune étant dans l’impossibilité de fournir la moindre explication sur la raison d’une telle mention, les défendeurs considèrent qu’elle est de nature à faire perdre à cette pièce toute valeur probante. La commune répondait que cela pouvait être "le résultat de la prise en compte d'un changement de locataire dont le nom est porté sur un document informatique ".

Cette explication n’a convaincu ni les juges du fond ni la Cour de cassation qui les a approuvés dans leur raisonnement. D’autre part, elle avance qu'il résultait du règlement de copropriété de l’immeuble en date du 23 mai 1970, de l'acte d'acquisition des lots et de l'acte en vertu duquel ces lots lui avaient été transmis, que les lots étaient désignés comme un studio.

A cet argument, il lui est répondu que s'il résulte bien de ces documents qu'à une date approchant 1970, le lot litigieux était désigné dans les actes de transmission comme une chambre ou un studio, il n'est pas pour autant établi qu'en 1970 ce lot était affecté à un tel usage.

Ce, d’autant plus qu’un rapport d'enquête de la direction du logement et de l'habitat de la commune du 27 avril 2015 relève que le local est constitué d'une pièce d'environ 13m2, utilisée en réserve et chambre froide du restaurant du rez-de-chaussée et précise : "Il convient de signaler que cette pièce exiguë et dépourvue de commodités offre peu d'intérêt pour l'habitation".

En outre, il est démontré que les divers baux et cessions de fonds de commerce successifs ne sont pas des baux mixtes (c’est-à-dire à la fois pour un usage d’habitation et commercial) mais ont été contractés uniquement pour un usage commercial.

En conséquence, sur la base de ces éléments, la solution de la cour d’appel, qui en avait déduit que la commune de Paris ne rapportait pas la preuve qui lui incombe que le lot n°3 était affecté à l'usage d'habitation au 1er janvier 1970, est approuvée par la Cour de cassation.

IV. Portée de l’arrêt du Conseil d’Etat du 5 avril 2019 et distinction avec l’arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 2019

Dans l’affaire qu’a eu à connaître le Conseil d’Etat étaient les suivantes : le local litigieux avait, de fait, un usage autre que d’habitation et c’est l’indication de la commune de Neuilly-sur-Seine selon laquelle le bien était à usage d’habitation qui a empêché la vente.

Le propriétaire du bien avançait qu’antérieurement à 1970, le bien était à usage commercial et que lors de la révision foncière de 1970, il était également listé comme étant à usage commercial. Aucun changement d’usage n’était intervenu depuis lors. Ces faits fondaient sa demande.

Le Conseil d’Etat avait annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel en ce qu’elle a rejeté l’argument de la commune qui reprochait l’absence de changement légal et effectif de l’usage du bien initialement affecté à l’usage d’habitation. La commune avait commis une erreur de droit (en s’attachant aux seuls faits avancés par le demandeur).

A contrario, l’affaire portée devant la Cour de cassation le 7 novembre 2019 ne concernait pas la validité légale du changement d’usage ayant conduit à l’usage au 1er janvier 1970, mais sur la seule preuve de l’usage à ladite date.

V. Les arrêts de la Cour de cassation du 28 novembre 2019

Dans deux affaires, la commune de Paris a assigné en la forme des référés la propriétaire d’un appartement, en paiement d’une amende civile sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de la construction et de l’habitation, pour avoir loué ce local de manière répétée sur de courtes durées à une clientèle de passage, en contravention avec les dispositions de l’article L. 631-7 du même code. La propriétaire louait le bien en meublé de tourisme, à la façon des locations Airbnb.

Dans le premier arrêt (portant le numéro 18-24.157), la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir retenu que les locaux faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970. Ces locaux sont réputés avoir l’usage pour lequel les travaux sont autorisés. Les productions de pièces (notamment la déclaration H2 déposée le 21 octobre 1980) ne prouvaient pas que l’appartement en cause était à usage d’habitation au 1er janvier 1970. Toute preuve, en effet, de l’usage postérieur au 1er janvier 1970 (en l’espèce le 21 octobre 1980) ne saurait prospérer pour répondre aux critères de l’article L. 631-7 précité. Enfin, ajoute-t-elle, l’existence de travaux qui avaient été réalisés postérieurement à cette date et dont il n’était pas soutenu qu’ils avaient fait l’objet d’une autorisation administrative, est inopérante.

Dans le second arrêt (portant le numéro 18-23.769), elle rappelle que sont réputés à usage d'habitation les locaux affectés à cet usage au 1er janvier 1970. Ensuite, elle énonce que la cour d’appel a, par une appréciation de la portée des éléments de preuve soumis à son examen, retenu, souverainement, que l'affectation de ce bien à l'usage d'habitation au 1er janvier 1970 n'était pas établie par la commune. L’appréciation faite par la Cour de cassation semble plus littérale et plus stricte de l’alinéa 3 de l’article L. 631-7, que ne le fait le Conseil d’Etat. Elle retient, pratiquement, que de ce texte ne découle pas une présomption automatique de l’usage d’habitation au 1er janvier 1970. Le local étant, en effet, réputé et non présumé. Un local n’est à usage d’habitation que s’il était affecté à un tel usage à cette date. Et pour ce faire, il convient d’en établir la preuve, certes, par tout mode de preuve.

VI. Portée des arrêts de la Cour de cassation en date des 7 novembre et 28 novembre 2019

On conclura de ces trois arrêts, d’une part, que la commune qui se prévaut d’un changement irrégulier de l’usage doit en rapporter la preuve ; d’autre part, toute preuve datée postérieurement au 1er janvier 1970 ne saurait prospérer ; enfin, que les travaux réalisés postérieurement à cette date et qui n’ont fait l’objet d’aucune autorisation sont impropres à démontrer l’usage d’habitation.

La Cour de cassation propose ici une lecture plus adéquate de l’article L. 631-7 du Code de la construction ayant une incidence non seulement sur la charge de la preuve qui en découle, mais sur le fond même de la règle qu’il édicte.

David Semhoun