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Copropriété : Eloge du compte bancaire séparé

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Entre les organisations de syndics et les associations de copropriétaires, la polémique fait rage en ce qui concerne le choix entre compte unique (celui du syndic) ou compte séparé (celui ouvert au nom du syndicat).

Ce « libre-propos » vise à vous éclairer sur les enjeux et incidences de ce choix.

Compte unique : une mise sous tutelle

Parmi les curiosités du fonctionnement de la copropriété qui alimentent régulièrement nos chroniques, le débat sur l’utilisation d’un compte bancaire séparé occupe une place de choix. Alors que la loi de 1965 prévoit que les fonds du SDC (syndicat des copropriétaires) soient déposés sur un compte bancaire ouvert à son nom, le syndic intervient souvent pour faire voter en assemblée générale, aux copropriétaires mal informés, une dérogation pour l’utilisation d’un compte unique, celui du syndic.

L’usage du compte bancaire unique est préjudiciable à l’ensemble des copropriétés, les « saines » comme celles qui sont en situation de fragilité.

Après les incohérences de structure juridique et l’absence de papiers (pas d’immatriculation), cet usage dérogatoire de la loi, privant la copropriété de compte bancaire, s’apparente à une mise sous tutelle complète du SDC par le syndic.

Transparence et surveillance de la trésorerie

La trésorerie d’une copropriété « saine » est structurellement positive. D’une part les appels de fonds sont lancés en début de chaque trimestre sur la base du budget prévisionnel et d’autre part, les fournisseurs sont le plus souvent payés à 30 jours « à service fait ». C’est la même logique pour les appels sur travaux, lancés largement avant le règlement des prestataires. En cas d’excédent temporaire du compte séparé, il est facile de placer le surplus sur un simple livret A (plafond actuel de 76 500 €) dont les intérêts profitent au SDC.La disponibilité d’un accès internet (en consultation) permet au conseil syndical d’assister le syndic poursurveiller la trésorerie.

A l’inverse, une trésorerie tendue est le signe d’un début de fragilité dont doivent s’inquiéter tant le syndic que le conseil syndical, invité à participer aux démarches de recouvrement. L’expérience montre que les copropriétaires, réfractaires à payer « au syndic, ce voleur », pour des motifs souvent personnels, règlent plus facilement leurs charges sur un compte séparé, après avoir été informés de l’incidence de leur comportement sur le fonctionnement de la copropriété.

Contribution au dispositif d’alerte

La faiblesse de la trésorerie est le premier symptôme d’un glissement de la copropriété vers la spirale négative de la dégradation patrimoniale et sociale.

Le compte bancaire séparé agit comme un dispositif d’alerte, permettant d’éviter que la défaillance de quelques uns n’entraine la défaillance collective. Chacun sait qu’un incendie est plus facile à maîtriser s’il est découvert à temps.

La position de certains syndics prétendant compenser le découvert des uns par la trésorerie des autres est illégale : la loi interdit au syndic de payer les factures d’un SDC s’il n’a pas les fonds nécessaires. C’est aussi une forme de « non assistance à copropriété en danger » voire une complicité avec les défaillants pyromanes. En masquant la réalité, le syndic laisse s’aggraver une situation qui sera découverte plus tard, souvent trop tard.

Étanchéité : une véritable garantie financière

Le syndic, dépositaire des fonds du SDC contracte une assurance « garantie financière » pour couvrir le SDC de l’éventuelle défaillance de son cabinet.

Cela prend tout son sens lorsque le syndic « jongle » sur ses comptes bancaires avec les trésoreries de plusieurs SDC. En effet la défaillance de certains SDC clients et / ou des erreurs de gestion internes peuvent mettre le cabinet en cessation de paiement. A noter que cette garantie ne joue que si le syndic a effectivement payé sa cotisation jusqu’au terme de son mandat ! L’expérience montre, hélas, que ce n’est pas toujours le cas, mais le SDC n’en est pas informé !

Lorsque le SDC n’utilise que des comptes ouverts à son nom, le risque est bien moindre puisque les défaillances des autres ne peuvent affecter sa trésorerie, totalement étanche. La « garantie financière » pourra alorsêtre remplacée par une « garantie de non détournement de fonds » du mandataire porteurd’une délégation de signature, ce qui relève d’une simple forme de garantie responsabilité civile.

En corollaire, lors d’un changement de syndic, le transfert des fonds du SDC, cause de turbulences passagères, et parfois de facturations douteuses, devient, avec le compte séparé, une simple formalité, limitée au transfert de la délégation de signature. La continuité des règlements et prélèvements est assurée.

Opacité des comptes et des relations client - fournisseur

La loi impose aux prestataires externes d’établir leurs factures au nom du syndicat, ce qui entre progressivement dans les faits. Toutefois, de nombreux syndics ont l’habitude de régler en une seule opération, à partir de leur compte, plusieurs factures de SDC différents concernant le même prestataire. Ces pratiques faussent la véritable relation client / fournisseur, les prestataires et assureurs considèrent le syndic comme « leur client ». De plus cette jonglerie interdit la traçabilité réelle de l’origine et de la destination des flux financiers. Ceux qui ont pratiqué des contrôles approfondis de la comptabilité de SDC savent que seul le compte séparé, avec règlement des fournisseurs par virement, permet d’opérer un véritable rapprochement bancaire, validé par l’existence d’une pièce comptable externe : le relevé.

Conclusion : rétablir la confiance

La nécessité de compte bancaire séparé pour chaque copropriété est une évidence pour tous les amateurs éclairés. Curieusement cette évidence n’échappe qu’aux professionnels (les syndics).

Ce positionnement introverti suffit à justifier la mauvaise image de la profession, largement diffusée par les médias.

Pourtant, la copropriété, face à ses nouveaux enjeux économiques, énergétiques et sociaux a vraiment besoin de professionnels avec qui elle pourra travailler en confiance et transparence. Nous espérons que la profession va enfin « descendre de son vélo pour regarder comment elle pédale » et mettre en place les conditions d’un rétablissement de la confiance avec ses clients. C’est une composante essentielle de la réussite du plan proposé par Dominique BRAYE, Président de l’Anah, dans son rapport : Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés.

Favoriser l’accès à la co-propriété c’est bien. Organiser les moyens de l’entretenir c’est mieux !

Pierre Olivier