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Copropriété : un statut de « sans papiers »

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Lorsque, venant de l’entreprise, on s’intéresse au mode de gestion des copropriétés, l’une des premières curiosités est l’absence d’identification externe. La loi de 1965 a donné une personnalité civile à cette structure hybride mais n’a pas mis en place de fichier ou registre conférant un caractère d’identification et d’unicité à chaque entité. La copropriété est seulement définie à travers le dépôt de son règlement de copropriété, établi par le notaire, auprès du bureau des hypothèques.

Chaque individu se voit attribuer dès sa naissance un numéro d’inscription au répertoire des personnes physiques géré par l’INSEE à partir des registres d‘état civil tenus par les communes. De même chaque entité commerciale, professionnelle ou civile reçoit un n° SIREN unique, également géré par l’INSEE, parallèlement à l’inscription sur les registres des chambres de Commerce (RCS) ou des chambres de Métiers (RM). Ces enregistrements, sont à l’origine de la délivrance de papiers caractérisant leurs détenteurs : carte nationale d’identité pour les personnes physiques ou extrait Kbis pour les personnes morales. La copropriété qui draine souvent des flux financiers bien plus importants que ceux de TPE ou SCI, ne bénéficie pas des mêmes dispositions. Seules les copropriétés gérant du personnel reçoivent un numéro de SIRET, utilisé uniquement pour leurs déclarations de charges sociales. La copropriété, cet OGM (Organisme Génétiquement Malformé) selon sa structure juridique, est donc une personne civile sans papiers. Parmi tous les désagréments de ce statut, l’avantage de la copropriété est de ne pouvoir être reconduite à la frontière puisque toujours attachée au domaine foncier.

Un manque de référentiel copropriété

En l’absence d’identifiants et de registre(s), il est impossible de faire un recensement exhaustif et véritablement traçable des copropriétés. Chaque organisation essaie de collecter des données pour constituer des fichiers répondant à la finalité de sa mission, par exemple : La DGI (Direction Générale des Impôts) entretient son fichier FILOCOM, (Fichier des Logements par Communes), agrégation de données fiscales et foncières. FILOCOM fournit des informations fiables sur le logement, les propriétaires et leur patrimoine mais la dimension copropriété avec sa structure et ses acteurs, n’est pas réellement prise en compte. L’ANAH, de son côté, publie le résultat de ses études sur le logement, études très pertinentes, mais essentiellement axées sur la dimension sociale de l’habitat notamment dans les ensembles fragiles ou critiques. Les organisations et fédérations de syndics publient leurs propres données élaborées à partir des remontées d’informations de leurs membres, mais cela ne présente ni caractère d’exhaustivité (hausse du nombre de syndics non professionnels ou coopératifs), ni garantie de fiabilité, du fait de pratiques de gestion hétérogènes. Enfin les fichiers des adhérents des associations ne sont pas publiés et ne peuvent être recoupés avec les autres structures existantes, faute d’identifiants communs. Tous les chiffres annoncés sur la volumétrie et la caractérisation des copropriétés doivent donc être analysés avec réserve. Nous avons même rencontré des copropriétaires qui ignoraient que leur ensemble immobilier était placé sur le régime de la copropriété et n’avaient pas de syndic, malgré l’existence d’un règlement de copropriété établi et déposé par le notaire, il y a plus de 30 ans. Ces structures là sont-elles comptées ? Par qui ?

Difficultés de marketing et de communication

Dans les techniques de communication et de marketing, on distingue généralement deux approches : le B to B (Business to Business : communication entre professionnels) et le B to C (Business to Consumers : communication entre professionnels et consommateurs). Aucune de ces techniques ne convient en copropriété comme en témoignent les échecs de nos tentatives de diffusion de propositions de conseil aux copropriétés : • Faute de référentiel et de caractérisation des copropriétés et de leurs responsables, le ciblage n’est pas possible et obère une adaptation de la démarche B to B, • Les démarches B to C auprès de copropriétaires ou conseillers syndicaux sont tout aussi stériles car la très large majorité des individus n’estiment pas avoir la possibilité et la légitimité d’engager leur structure, actes qu’ils considèrent comme la chasse gardée du syndic. Le syndic est pratiquement le seul axe d’approche de la copropriété. La copropriété apparaît donc comme un sans papiers mineur avec qui on ne peut échanger qu’à travers son tuteur : le syndic. Si les opérateurs des grands fournisseurs (ascenseurs, chauffage, énergie,…) ont bien compris et mis à profit ces « flux privés » pour créer des réseaux privilégiés, ce passage obligé par le syndic est plus gênant pour certaines approches de conseil, à titre d’exemple : • Comment faire la promotion du compte bancaire séparé, 1ère étape primordiale de la transparence des comptes (et de la confiance envers le syndic), alors que cette pratique est déconseillée par la grande majorité des syndics ? • Comment dynamiser la gestion des études et travaux en copropriété, alors que nombre de syndics préfèrent la simplicité de la technique des « 3 devis », avec honoraires travaux ?

Un intérêt pourtant général

La mise à l’écart des copropriétés en ce qui concerne l’accès aux réseaux d’information et techniques de communication modernes est l’un des facteurs de leur considérable retard en matière de gestion et d’entretien. Pour s’en rendre compte il suffit de constater l’énorme décalage entre les avancées des structures de logement social et celles des copropriétés privées (théoriquement plus favorisées) quant à la prise en compte de la rénovation énergétique ! L’immatriculation est l’une des recommandations du rapport « Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés » transmis par Dominique BRAYE, Président de l’ANAH, au gouvernement en janvier 2012. Elle vise à reconnaître la copropriété comme une personne morale à part entière et à fédérer les efforts de l’état, des collectivités territoriales et de l’ANAH pour améliorer la connaissance du parc de copropriétés. Ce référencement permettrait aussi aux organisations de syndics de lever des doutes qui subsistent quant à la traçabilité et à la fiabilité de leurs éléments statistiques, contribuant ainsi à rétablir la confiance avec les copropriétaires. Enfin les associations, les entreprises et organismes qui agissent pour l’amélioration de la gestion des copropriétés trouveront, à travers ce répertoire national caractérisant les copropriétés, le vecteur de développement de leurs activités respectives. Tous ensemble demandons la régularisation massive de ces copropriétés sans papiers !

Favoriser l’accès à la co-propriété c’est bien. Organiser les moyens de l’entretenir c’est mieux !

Pierre Olivier