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Pierre-Yves Rossignol

Dommages sur les commerces lors de manifestations: qui va payer la facture?

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La responsabilité de l’Etat peut être mise en œuvre dans le cadre des dommages commis lors de manifestations. Mais chaque préjudice invoqué doit être analysé avec attention.

L’importance des dégradations commises dans différentes villes de France depuis plusieurs mois, en parallèle du mouvement des gilets jaunes, suscite de nombreuses questions. Celle de l'indemnisation est plus angoissante en particulier pour les entreprises dont les activités ont été fortement perturbées par les manifestations (commerces, cafés et restaurants situés sur les allées empruntées par les manifestants).

Quelles sont les mesures d'accompagnement mises en place?

Des mesures d'accompagnement ont déjà été prises en décembre 2018 en faveur des professionnels mis en difficulté en raison du mouvement des gilets jaunes et des mesures exceptionnelles d'étalement des échéances fiscales et sociales annoncées par le ministre de l'Economie et des Finances :

En matière fiscale, les entreprises ayant des difficultés de paiement peuvent ainsi solliciter jusqu'au 30 avril 2019 :
- un plan d'étalement du règlement de leur dette fiscale ;
- ou une remise d'impôt (sur l'impôt sur les bénéfices ou sur la contribution économiquae territoriale par exemple).

Il a été demandé aux directions des finances publiques (DDFIP) de traiter avec célérité les demandes de remboursement de crédits de TVA et de CICE des entreprises impactées lors du mouvement des "gilets jaunes".

De quels recours disposent les commerces?

Bien entendu les entreprises peuvent engager les recours adéquats à l’encontre de leurs assureurs, dans le cadre des polices "dommages" et "pertes d’exploitation".

Cependant il n’est pas impossible que les entreprises situées dans des lieux particulièrement exposés, se trouvent insuffisamment assurées, ou voient leurs polices résiliées après plusieurs sinistres par leur assureur !

Il est alors possible d’agir en responsabilité à l’encontre de l’Etat. Les collectivités territoriales peuvent également agir en responsabilité sans faute à l’encontre de l'État, et les assureurs eux-mêmes dans le cadre d'une action récursoire des assurances des entreprises ou des collectivités envers l'État.

La responsabilité de l'État du fait des attroupements est une responsabilité "objective" ou "sans faute" : il n’est donc pas nécessaire d’établir une faute.

Ce régime résulte des termes de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983 qui figurent désormais à l'article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure et qui prévoient que : "l'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens".

La jurisprudence est cependant relativement stricte et exige la réunion de critères précis : les dommages doivent ainsi résulter de délits, commis à force ouverte ou par violence. Ceux-ci doivent pouvoir être imputés de manière directe et certaine à un attroupement ou un rassemblement précisément identifié. Enfin il faut une absence de préméditation ou, autrement dit, un caractère spontané des agissements. Les manifestations des gilets jaunes semblent satisfaire aux exigences de la jurisprudence du Conseil d’Etat.

Certaines préfectures ont d’ailleurs mis en place des formulaires permettant de transmettre des demandes d’indemnisation. Il est possible de solliciter l’indemnisation des pertes d’exploitation. Néanmoins l’indemnisation des dommages ne pourra intervenir que si les critères habituels retenus par le régime de la responsabilité administrative, sont réunis.

Ainsi le demandeur devra établir l'existence du lien direct et certain entre le préjudice subi (les "dégâts et dommages") et le fait générateur du dommage (les "crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence"). Le caractère intentionnel du délit peut être difficile à rapporter notamment lorsque les dommages sont le fait de casseurs agissant séparément de la manifestation.

En conclusion : l’action en responsabilité de l’Etat du fait des attroupement peut permettre d’obtenir l’indemnisation des dommages subis lors des manifestations. Quant à la question : qui paiera finalement ? Même si la loi "casseurs" prévoit la possibilité pour l'État d'engager une action récursoire contre les auteurs de dommages dans les conditions de droit commun de la responsabilité civile, il ne faut pas se leurrer sur les capacités des auteurs à faire face aux condamnations prononcées, le cas échéant, à leur encontre.

C’est bien le contribuable, une fois de plus, qui paiera l’essentiel de la facture.

Pierre-Yves Rossignol