BFM Immo
Pierre-Yves Rossignol

Effondrement d'immeubles objets d'arrêtés de péril: d'où viennent les blocages?

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L'effondrement de plusieurs immeubles à Marseille remet au centre des débats le rôle des arrêtés de péril et les conséquences juridiques qui en découlent. Décryptage.

L’actualité récente montre que des catastrophes peuvent arriver, en plein centre-ville, causant morts et blessés, alors même que des arrêtés ont été adoptés pour qu’il soit procédé à l’évacuation, puis la démolition, et enfin la reconstruction des immeubles en question.

Quels sont les mécanismes juridiques en cause et comment les municipalités peuvent-elles se trouver face à des situations de blocage qui mettent en cause la vie des personnes ?

Rappelons qu’un arrêté de péril est pris quand un immeuble présente des risques pour la sécurité des personnes – la procédure est toujours engagée contre le propriétaire des lieux. En quoi consiste un arrêté de péril et quels en sont les effets pour les propriétaires ? La loi du 21 juin 1898 a prévu que ce pouvoir de police ne pouvait être mis en œuvre que si un intérêt général l'exigeait, car il est porté atteinte au droit de propriété (CE, 21 avr. 1943, Renard : Rec. CE 1943, p. 425). Si donc la chute d'un bâtiment n'est susceptible de causer aucun trouble pour l'ordre public, l'administration n'aurait pas le droit d'intervenir.

Arrêté de péril ordinaire ou imminent: quels sont les procédures suivies?

Les procédures d’un arrêté de péril, qu’il soit ordinaire ou imminent, sont relativement similaires et relativement rapides. Une fois le maire informé des dangers menaçant le bâtiment, il doit notifier au propriétaire qu’une procédure de péril ordinaire ou imminente va être engagée. Pour un immeuble en copropriété, cette notification est adressée au syndic de copropriété, qui se doit d’en informer les copropriétaires concernés.

En cas d’arrêté de péril ordinaire, le propriétaire du bâtiment doit communiquer au maire ses observations, par lettre recommandée avec accusé de réception, dans le mois suivant la notification. Dans le cas d’un immeuble en copropriété, le syndic dispose d’un délai de deux mois. Le maire prend alors un arrêté de péril mettant en demeure le propriétaire d'effectuer les travaux nécessaires dans un délai d'au minimum 1 mois.

Le maire peut assortir l'arrêté d'une interdiction temporaire ou définitive d'habiter les lieux si l'état de solidité du logement ou une des parties ne permet pas de garantir la sécurité des occupants.

En cas de péril imminent, un expert doit être nommé en référé pour se prononcer sur l’état de solidité de l’immeuble, à travers la remise d’un rapport au maire et la proposition de mesures techniques adaptées. Lorsque le rapport de l'expert conclut à un péril grave et immédiat, le maire prend un arrêté de péril mettant en demeure, dans un délai qu'il fixe, le propriétaire de prendre des mesures.

Le maire peut prescrire la démolition partielle du logement afin de supprimer des éléments dangereux, par exemple la partie d'un mur menaçant de s'écrouler. En principe, le maire ne peut prescrire la démolition de la totalité d'un logement, sauf lorsqu'il présente un danger d'une exceptionnelle gravité.

Le pouvoir d'ordonner l'évacuation en cas de mise en danger de la sécurité des occupants de l'immeuble est désormais reconnu au maire qui peut le cas échéant assortir son arrêté de péril de l'ordre d'évacuer avec interdiction d'habiter ou d'utiliser les locaux temporairement ou définitivement (CCH, art. L. 511-2, al. 3 et 4).

Recours judiciaire à l’encontre des décisions municipales

Les premiers délais pouvant sérieusement retarder la réalisation des travaux vont venir des procédures judiciaires : lorsqu'un propriétaire reçoit notification d'un arrêté de péril imminent et qu'il estime qu'il n'y a pas urgence, ou que les mesures qu'il comporte sont excessives et dépassent le caractère provisoire, il peut demander au tribunal administratif l'annulation de cet arrêté (CE, 1er avr. 1961, Lemaître : AJDA 1961, p. 547.

Pourtant le jugement du tribunal administratif est rendu en premier et dernier ressort sans possibilité d'appel (CJA, art. R. 811-1), il ne peut être contesté que par la voie du pourvoi en cassation devant le Conseil d'État.

Relogement des évacués

Le relogement peut être une source de difficultés importantes pour les communes, en raison de la difficulté à trouver les ressources nécessaires pour reloger les évacués. Avant l'ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 il appartenait à l'autorité municipale d'assurer le relogement des personnes évacuées d'un immeuble menaçant ruine, au besoin sur réquisition opérée en vue du relogement de cette catégorie de bénéficiaires (CE, 12 janv. 1951, Cie Auxiliaire pour l'industrie et le commerce : Rec. CE 1951, p. 18).

Le maire dispose cependant du pouvoir de réquisitionner un logement pour permettre l'exécution du jugement du tribunal administratif prescrivant la démolition d'un immeuble menaçant ruine.

Désormais c’est en principe au propriétaire qu'incombe l'obligation de procurer un relogement ou un hébergement aux expulsés et ceci sans préjudice des actions dont il peut disposer contre ceux-ci si l'état d'insalubrité ou de péril leur serait en tout ou en partie imputable.

Une législation particulièrement sévère pour les personnes privées a été mise en place : c’est la lutte contre "l’habitat indigne". Cependant les personnes privées seront souvent dans une situation encore plus difficile que les municipalités pour reloger les évacués. La plupart du temps, il faudra que l’autorité publique se substitue à eux – ce qui sera à nouveau source de pertes de temps importantes.

Que se passe-t-il en cas de non-exécution des travaux?

En cas de mise en demeure de faire cesser le péril par des travaux de démolition de l'édifice et de refus du propriétaire de les exécuter par ses propres moyens et de faire procéder à cette destruction pour quelque raison que ce soit, le maire doit prendre la décision motivée d'y faire procéder d'office par la commune.

Il doit alors solliciter du juge administratif des référés cette autorisation. Lorsque les mesures prescrites par l'arrêté n'ont pas été exécutées dans les délais, le propriétaire est mis en demeure par le maire de les réaliser dans un délai maximal d'un mois.

Le propriétaire peut également faire l'objet de poursuites pénales : les sanctions pénales sont prévues par l’article L.511-6 (un an d’emprisonnement et jusqu’à 100.000 euros d’amendes) ainsi que par les articles L.521-4 et L.111-6-1 du code de la construction et de l’habitation, qui sont propres aux actions de démolition qui auraient pour but de conduire les occupants à quitter les lieux.

Le maire peut aussi, sans attendre l'expiration du délai d'un mois, appliquer une astreinte d'au maximum 1000 € par jour de retard à l'encontre du propriétaire.

Si, malgré la mise en demeure prévue par l'article L. 511-2 du Code de la construction et de l'habitation de faire cesser le péril, par des travaux autres que la démolition de l'édifice, le propriétaire n'a pas exécuté cette injonction du maire, celui-ci est en droit d'y pourvoir par des travaux réalisés d'office par la commune aux frais du propriétaire.

S’il y a péril d'urgence (CCH, art. L. 511-3, al 2), le maire peut faire exécuter d'office des mesures provisoires sans autorisation du tribunal administratif, qui sera saisi selon la procédure normale des mesures définitives qui peuvent être nécessaires.

Si le maire use de son pouvoir de police municipale en présence d'un péril imminent les travaux d'extrême urgence indispensable s'ils sont exécutés d'office par la commune ne sont pas susceptibles d'être mis aux frais du propriétaire. Dans les autres cas le recouvrement des travaux avancés par la mairie bénéficiera des privilèges du trésor : des hypothèques peuvent être prises et la vente forcée des biens ordonnée.

Alors pourquoi autant de retard à l’exécution de certains arrêtés de péril?

Il paraît clair que les municipalités disposent de moyens d’actions rapides, efficaces voire implacables. Comment justifier les retards à l’origine de drames humains ? Il ne faut pas négliger les difficultés rencontrées par les personnes publiques pour faire respecter les arrêtés de péril qui sont pris lorsque les logements sont insalubres ou dangereux (voir ainsi le rapport de février 2018 du député Hubert Wulfranc sur la proposition de loi visant à lutter contre les marchands de sommeil - N°587).

La jurisprudence révèle que les délais laissés aux propriétaires pour procéder aux travaux de démolition s’étendent parfois pendant des années – sans doute certaines municipalités hésitent-elles à prendre des mesures trop vigoureuses à l’encontre de leurs administrés…

Plus long encore est le chemin à parcourir pour voir sanctionner les propriétaires d’immeuble qui se sont montrés défaillants dans leurs obligations – le rapport cite des procédures pénales ayant duré plus de 11 années.

Il peut parfois exister des aléas dans le recouvrement des sommes engagées : si l’arrêté de péril vient à être annulé par le tribunal administratif, la procédure engagée à l’encontre du propriétaire n'a plus de base légale avec l'annulation de l'arrêté de péril par le tribunal administratif. Dans un arrêt du 5 juillet 2018, la Cour de cassation explique ainsi "que la commune n'agit pour le compte et aux frais du propriétaire que lorsqu'elle fait régulièrement usage des pouvoirs d'exécution d'office qui lui sont reconnus et que, dès lors, l'irrégularité de la procédure résultant de l'illégalité de l'arrêté de péril fait obstacle à ce que soit mis à la charge du propriétaire le coût des travaux ordonnés par cet arrêté et exécutés d'office par la commune" (Cass. Civ. 3éme, arrêt du 5 juillet 2018, Commune de Marmande, arrêt n° 12-27823).

Ensuite les communes éprouvent sans doute des difficultés budgétaires – certaines mauvaises langues diront aussi qu’elles gèrent leurs priorités et que certaines dépenses de prestige mettent en avant de nouveaux quartiers plutôt que les anciens, à rénover, qui sont alors délaissés…

Pierre-Yves Rossignol