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Emmanuelle Cosse, l'autre nom du réalisme en matière de politique du logement ?

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La nouvelle ministre du Logement passée au crible par Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services Immobiliers.

Que n'a-t-on entendu sur Emmanuelle Cosse à son arrivée au gouvernement! Elle était le clone de Cécile Duflot, et Dieu sait que dans la bouche d'un professionnel immobilier, voire d'un élu de la majorité, le constat de filiation génétique n'était pas un compliment... Elle était incompétente en matière de politique du logement, lestée par ses convictions vertes, comme chacun sait incompatibles avec la construction, et par son sexe -a-t-on déjà vu une ministre à la hauteur pour s'occuper des vrais dossiers?-.

On a aussi argué du fait qu'à une encâblure de la présidentielle, elle ne pourrait rien faire et manquerait du temps de l'action engagée et efficace. Notre nouvelle ministre semble trouver la troisième voie, entre une prédécesseure adorable mais politiquement bien discrète, et un pénultième prédécesseure qui prenait beaucoup de place, se la frayât-elle à coup de machette. Elle semble simplement réaliste.

Deux illustrations, l'une peut-être provisoire, l'autre acquise. Parlons de ce qui paraît acquis. Madame Cosse a hérité de deux commissions mandatées en même temps sur la question foncière et la nécessité de mobiliser les terrains privés pour dynamiser la construction de logements. L'une, confiée à Daniel Goldberg, député de Seine-Saint Denis, qui fut un excellent rapporteur du projet de loi ALUR en son temps, l'autre à Dominique Figeat, grand commis de l'Etat reconnu dans la communauté immobilière comme un expert des politiques publiques de l'habitat.

Les deux commissions, appelées à rendre deux rapports, avaient tout pour se télescoper et il a fallu à Madame Cosse de la diplomatie pour que cela ne se passe pas. Elle a œuvré à la coordination des deux missions et a retiré des travaux qui lui ont été rendus le meilleur, en plein accord avec les deux rapporteurs concernés. On a entendu aucun couac, et sur un sujet aussi sérieux, c'était nécessaire.

Ne pas casser la croissance immobilière

On sait même déjà ce qu'elle retient en première approche de ce qui lui a été proposé. L'information sur la disponibilité des terrains, leur constructibilité, leur prix sera rendu accessible aux acteurs professionnels et aux particuliers, en vue d'une authentique transparence foncière.

L'État aidera aussi les collectivités, singulièrement les intercommunalités, à mettre en place une vraie politique foncière, pour sortir de l'impéritie et de la myopie qui prévalent encore trop souvent. Enfin, les outils de contractualisation entre la sphère publique, État et collectivités, et les opérateurs privés seront favorisés et d'autres pourront être créés. On pense notamment au Projet urbain partenarial, à ce jour très peu utilisé.

Les préconisations fiscales, que Daniel Goldberg avaient formulées avec audace, seront examinées... avec l'idée de ne pas casser la croissance immobilière qui se constate. On se rappelle qu'il conseillait une actualisation des valeurs cadastrales sur dix ans, et pour les terrains le recours à des valeurs de marché, pour asseoir le calcul de la taxe foncière pesant sur les propriétaires.

L'enjeu était de conduire les détenteurs de terrains à les céder plutôt que de les thésauriser, en revalorisant la taxe associée à la propriété. Cette décision aurait aussi un effet vertueux sur les finances des collectivités locales, en leur donnant des moyens d'action pour le logement.

Quid de la loi Alur ?

On voit aussi Emmanuelle Cosse s'interroger sur les parties de la loi ALUR qui ont fait l'objet du fameux détricotage et ne pas se précipiter. Exhumera-t-elle la GUL? Étendra-t-elle l'encadrement des loyers? Sur ces deux sujets, elle pourrait plutôt s'orienter vers l'invention, soufflée par la FNAIM, d'un bail solidaire, qui couplerait un loyer privé modéré avec une protection publique contre les impayés...

Au demeurant, la FNAIM du Grand Paris et la Ville de Paris, avec le bail Multiloc, ont créé un précédent intéressant. Il faut encore que les administrateurs de biens jouent le jeu et on entend que six mois après le lancement le succès se fait attendre et que les bailleurs convertis à la démarche solidaire seraient rares. Si Madame Cosse va au bout des choses, elle aura eu le mérite du réalisme sans état d'âme, là où beaucoup d'autres n'ont pas agi: alors à la tête de la FNAIM, j'ai contribué à cette proposition, allant jusqu'à travailler à son équilibre budgétaire avec un ancien directeur du service de la législation fiscale de Bercy, en 2008.

Le scénario a depuis été livré à cent décideurs politiques différents, avec le même insuccès, ou disons le même succès d'estime, histoire de ne pas déprimer. Oui, il y a huit ans. Sept ans de réflexion pour Marylin Monroe et le mariage, une de plus peut-être pour le bail solidaire: les vrais sujets prennent du temps.

Pour la mobilisation foncière, Emmanuelle Cosse a annoncé après avoir lu les rapports Goldberg et Figeat, que le concept de bail réel solidaire serait exploité, qui permet de produire des logements accessibles. On sent bien que la logique d'une coopération entre le privé et le public autour de l'intérêt général de maîtriser les coûts et les prix est à l'œuvre et qu'elle fait souffler un vent de réalisme sur le gouvernement et sur le parlement.

Henry Buzy-Cazaux