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Immatriculation des copropriétés : le danger de la publicité des informations

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Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services Immobiliers, revient sur un amendement passé inaperçu.

L'amendement est passé inaperçu, et pourtant il est porteur de gros enjeux. Souvenez-vous: la loi Alur, dont on n'en finit pas de découvrir les dispositions au gré de leur mise en œuvre, imposait que toutes les copropriétés de France et de Navarre soient immatriculées, avec l'enregistrement d'un certain nombre d'informations juridiques, économiques et techniques les concernant. Un échéancier est prévu par le texte, les copropriétés de 200 lots et plus devant être enregistrées avant la fin de l'année 2017, celles entre 50 et 200 lots au cours de 2017, les autres ensuite.

Les syndics, emmenés par la Fnaim qui en revendique la paternité, ont obtenu qu'un amendement à l'Alur introduit dans la loi Égalité et citoyenneté précise qu'il s'agit de lots principaux, à l'exclusion des caves et garages notamment, qui comptent stricto sensu pour des lots au plan juridique. La disposition a son importance, y compris pour alléger la douleur du syndic, répréhensible s'il n'immatricule pas dans les délais: un immeuble de 70 appartements avec autant de caves et de garages eût été dans la nasse dès 2016, et voilà qu'il ne devra être immatriculé qu'en 2017. C'est toujours ça de pris pour les syndics, qui cherchent légitimement de l'oxygène face aux bouleversements de leurs pratiques induites par les évolutions réglementaires récentes.

L'amendement en question est réaliste et il assouplit utilement la contrainte d'immatriculation. Celui-là n'est donc pas inquiétant. C'est un second amendement relatif à l'immatriculation des copropriétés, signé du même député, fin connaisseur du secteur, qui est plus délicat et dont les conséquences pourraient n'être pas si heureuses que prévu. Cet amendement prévoit que les données issues de l'immatriculation des copropriétés soient consultables largement, non seulement par les collectivités locales ou les établissements publics intéressés par la connaissance du patrimoine immobilier des territoires, mais encore par des tiers privés. La disposition exclut la divulgation des données de nature financière, mais inclut les coordonnées de la copropriété, ses éléments techniques et les coordonnées du syndic. L'enjeu présenté par le Député Goldberg consistait à faciliter le règlement de sinistres entre copropriétés mitoyennes. Je confesse ne pas bien comprendre quels cas étaient visés par le parlementaire.

Quels risques ?

En revanche, ne faut-il pas craindre que l'accès à l'ensemble des données juridiques et physiques, à l'exception des informations financières, n'ouvre la porte à des démarches commerciales intenses, dans un univers devenu plus concurrentiel que jamais avec l'obligation de mise en concurrence de la loi Alur ? Il faut être clair: on risque de passer de considérations statistiques nobles -oui, notre connaissance des copropriétés est insuffisante à tous égards et la décision publique, en particulier pour prévenir la dégradation et les difficultés, en est empêchée- à des considérations moins nobles, mercantiles. Le marché de la copropriété, pour la gérer, pour l'entretenir, pour l'équiper, pour ma financer, pour l'assurer est considérable, et les enjeux économiques y sont de première importance. Qui plus est, prévaut chez les copropriétaires le sentiment qu'il y a des économies à faire en permanence.

Le risque est que la copropriété devienne un espace commercial sauvage, que la publicité des informations sur les immeubles va favoriser. La pente des copropriétaires, que les syndics ne sont pas parvenus à éduquer à cet égard, consiste à préférer le moins disant au mieux disant. On pourrait bien ainsi se retrouver avec un développement du dumping et à la clé une dégradation de la qualité des services. L'intention du parlement serait alors dévoyée: la volonté des pouvoirs publics d'éviter la disqualification des copropriétés fragiles ou encore de favoriser la réhabilitation des services serait loin d'être satisfaite. Certes, cette tendance est déjà à l'œuvre et le péril est simplement celui de l'accélération et de la catalyse de ce processus.

Henry Buzy-Cazaux