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Avis d Experts

Immobilier et devoir de vacances

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Pas de trêve estivale cette année pour la communauté immobilière. On savait que le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, aidé de son secrétaire d'État, Julien Denormandie, préparait le grand projet de loi chargé de réaliser l'essentiel des promesses de campagne du candidat Macron en matière de politique du logement. Ce texte doit être déposé au plus tard en octobre sur le bureau des Assemblées. Rien n'a filtré sur le contenu du projet de loi à ce jour.

Le ministre de la cohésion des territoires a commencé, sans se précipiter, à auditionner les grandes voix du secteur, sachant que beaucoup ne l'ont pas été. A sa décharge, l'épisode des trente-quatre jours et la succession de Richard Ferrand démissionnaire du gouvernement a fait perdre un précieux mois à l'action de l'actuel ministre en termes de relations avec les acteurs de l'immobilier. Néanmoins, les fédérations professionnelles et les associations ont senti que la méthode changeait. Entre les syndicats majeurs qui n'ont pas obtenu de rendez-vous aussi rapidement que par le passé, ceux qui ont été reçus dans des rendez-vous collectifs, ceux qui n'ont pas eu de réponse ou ont été déroutés vers un conseiller, les responsables du secteur ne sont pas sentis considérés comme par le passé, fût-ce naguère. Tous, du moins côté professionnels, considéraient Cécile Duflot comme exemplaire du pire... Ils voulaient dire qu'elle avait pu être brutale ou idéologie et en tout cas un peu trop libre par rapport aux avis autorisés. En revanche, ses interlocuteurs savaient ce qu'elle avait en tête. C'était clair. Rien de pire pour un lobbyiste que d'être dans l'ignorance des intentions des décideurs publics et c'est aujourd'hui la situation.

Alors quel est le calcul? Certes, on peut toujours mettre sur le compte de l'inexpérience de l'exercice du pouvoir certaines pratiques hétérodoxes, mais Jacques Mézard est chevronné, lui. C'est donc un choix. Le choix de ne pas se lier et de pouvoir réformer sans rendre de compte. On sent déjà que la réforme sera budgétaire et qu'elle a peu de chances de plaire aux syndicats de promoteurs, de constructeurs, d'entreprises tous corps d'État ou d'agents immobiliers... Elle ne plaira pas davantage aux consommateurs, qui ont pris des habitudes d'assistance et d'accompagnement de longue date. Elle risque de bousculer aussi les principes juridiques acquis, par exemple en confisquant dans certains cas la prérogative de délivrance des permis de construire aux maires. En tout cas, le gouvernement prouve qu'il va au bout de sa logique: se tenant à distance respectueuse des lobbies, il vient de lancer un appel à contributions pour préparer le projet de loi, à l'aide d'une plateforme numérique, ouverte à tous les acteurs du logement, de l'aménagement et de la construction. Les propositions sont à rendre au plus tard le 10 septembre prochain.

Ce procédé de consultation est inhabituel. Il confirme que le gouvernement n'entend pas faire comme ses prédécesseurs et recevoir à la queue leu leu les corps intermédiaires. Il est vrai que les fédérations et associations ont sans doute négligé de moderniser leur propre méthode d'influence: ils ont dû du mal à créer des collectives, à harmoniser leurs messages et ont trop offert le spectacle de la désunion quand ce n'était pas celui de la mésentente. Ils ont peut-être aussi manqué d'arguments économiques chiffrés. Pour autant, ils ont beaucoup progressé et corrigé ces défauts au cours des dernières années. Il n'est pas possible de les mettre au rang de contributeurs ordinaires. En outre, ils jouent un rôle précieux a posteriori, en expliquant et en faisant admettre des décisions parfois indigestes pour leurs membres. Ne pas créer avec ces institutions le lien de confiance le plus dense serait une erreur.

Les devoirs de vacances sont utiles. L'ancien instituteur auteur de ces lignes ne dira pas l'inverse. Pour autant, ils ne remplacent pas le face-à-face pédagogique. Il sera fâcheux que le gouvernement procède à cette consultation numérique pour solde de tout compte et oublie de fonder une authentique complicité avec les corps intermédiaires. On peut penser par exemple que la mesure de restriction des 5€ sur les APL pour tous les ménages bénéficiaires, si mal accueillie et d'un faible rapport, n'eût pas été prise si une concertation avec les acteurs directement concernés avait eu lieu préalablement. Car aussi intelligents que soient nos nouveaux gouvernants, il ne doivent pas oublier que la question du logement est complexe et que deux avis, sinon trois ou quatre valent mieux qu'un. Ils s'égareraient également à croire que la rationalisation budgétaire sans discernement ne portera pas préjudice à l'activité et aux emplois.

A ce jeu-là, le logement pourrait bien mourir guéri, avec un budget allégé de 10% et une vigueur économique réduite de 20 ou de 30%. Tiens, puisque le ministre nous donne des devoirs de vacances au nom de la démocratie participative, je lui donne une équation à résoudre au nom de notre responsabilité collective pour le logement: comment réduire de 4 milliards les aides publiques au logement -plus de 40 milliards aujourd'hui- sans que les rentrées fiscales pour l'État ne baissent d'autant, en prenant aussi en compte le coût social de la possible destruction de postes dans les entreprises de la filière? J'ai toujours été un enseignant indulgent: je donne jusqu'au début octobre, date de reprise de la session parlementaire, pour ramasser les copies. Pour être honnête, cela me laissera le temps de faire l'exercice moi-même et de préparer le corrigé...

Henry Buzy-Cazaux