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Avis d Experts

Immobilier et numérique : couple infernal ou alliance naturelle ?

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Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité a ouvert lors du Congrès de l'immobilier le 15 décembre dernier un chantier législatif majeur. Il consiste à proposer les évolutions juridiques rendues nécessaires par l'avènement du numérique en matière de transaction immobilière. Pourquoi ce dossier? Sans doute parce que des inquiétudes se font jour au sein de la communauté professionnelle lorsqu'elle voit arriver de nouveaux entrants, dont le modèle est fondé sur le recours au numérique. On pressent que Airbnb est dans le viseur. On peut aussi penser aux réseaux d'agents commerciaux mandataires.

On pressent aussi qu'à la clé d'une réflexion publique sur un phénomène économique, il y a ma volonté, fût-elle non avouée, de règlementer. A qui sert l'Etat sinon à règlementer ? D'ailleurs, face à ces acteurs nouveaux et dont la croissance est active, on entend d'ici quelques voix s'élever: "Que fait la police ?" Quels sont les arguments des contempteurs ? Ces entreprises ne respecteraient pas la loi Hoguet du 2 janvier 1970, d'ordre public, et par conséquent mettraient en péril le consommateur. Il est clair que le législateur de 1970, suivi en cela par celui de 2014 avec la loi Alur -qui a revu à la hausse les exigences pesant sur les agents immobiliers- n'a rien voulu d'autre que le bonheur du consommateur et sa sécurité.

Deux considérations, inversées: qui ne respecte pas quoi ? Et tout est-il respectable dans la loi ?

Les pateformes collaboratives, Airbnb en tête, s'abstraient de la loi Hoguet. Elles sont sur le versant de l'édition virtuelle, pas sur celui de la transaction. C'est du moins leur point de vue. Au demeurant, ce n'est pas d'hier, et on peut se demander si PAP (De particulier à particulier) ou ses comparables, tel Entreparticuliers.com ne sont pas des agents immobiliers, mettant bel et bien en relation les parties à une transaction. On voit pourtant que répondre aux conditions d'aptitude, de garantie financière et de moralité ne leur servirait de rien. Plus exactement, en quoi cela garantirait-il à l'internaute plus de sécurité ? Le vrai sujet n'est-il pas la sincérité des annonces, qui renvoit au droit de la publicité ?

Quant aux réseaux de mandataires, les Capifrance, OptimHome, IAD ou autre Mégagence, leur situation est toute différente. Ils fonctionnent sur le mode d'une grande agence immobilière, avec une tête de réseau, basée au siège, titulaire de la carte professionnelle attestant qu'ils respectent les dispositions de la loi Hoguet. Le seul grief qu'il reste à leur endroit est relatif à la carte professionnelle. Le modèle d'agence quand la loi Hoguet a été promulguée était artisanal ou familial. Les agences les plus importantes ouvraient une, deux ou trois succursales, dans une zone de chalandise réduite. Pas de groupe régionaux ni nationaux, pas de réseaux. L'idée du législateur était que le porteur de la carte puisse contrôler le fonctionnement de tous les points de vente par un déplacement physique. Soit.

Quel sens cette obligation a-t-elle à l'heure de la dématérialisation des relations, alors que vous pouvez à distance accompagner un collaborateur salarié ou un négociateur non salarié, le former, l'informer, le guider dans une démarche ? Quel sens même avec l'avion et le TGV ? On met moins de temps entre Paris et Tours par le rail qu'entre Boulogne et Montreuil en voiture aux mauvaises heures! Et même, la seule existence du statut d'agent commercial, inventé par la profession d'agent immobilier pour gagner en flexibilité et en souplesse, plus actuelle que jamais alors que les personnes ont soif d'indépendance, cette seule existence donc ne périme-t-elle pas le principe de la carte professionnelle tel qu'on le connaît ? Comment exiger d'un dirigeant de réseau, qu'il soit succursaliste ou qu'il rassemble des agents commerciaux, d'être physiquement proche d'eux ? C'est absurde. Ce point est à revoir dans la règlementation...ou dans la lecture que les préfectures naguère, les Chambres de commerce et d'industrie désormais font de la règlementation. La loi Hoguet elle-même ne comporte aucune notion de territorialisation.

Bref, on peut se demander ce qui peut sortir du chapeau du gouvernement en cette matière... Le sujet est délicat. Mais au fond, ne faut-il pas partir du début? Rappelons que la loi Hoguet était une loi de police, jugée nécessaire parce que des agents immobiliers indélicats à la fin des années 60 avaient abusé des clients et détourné des indemnités d'immobilisation versées à la faveur d'achats de logements. Où sont les préjudices aujourd'hui? Airbnb fait-il du mal? Les réseaux de mandataires affichent des taux de satisfaction de leurs clients insolents... Où est le problème?

A ouvrir la boîte de Pandore, on risque d'aller vers un allègement des obligations et un assouplissement du cadre, plutôt que l'inverse. L'époque est bien plus à la dérégulation qu'à la surrégulation.

Henry Buzy-Cazaux