BFM Immo
Avis d Experts

La construction repart-elle vraiment ?

BFM Immo
C'est à y perdre son latin, du moins pour les générations qui en auront eu: alors qu'on entendait les diagnostics les plus terribles sur la construction de logements neufs, voilà que le gouvernement révèle des statistiques de délivrance des permis de construire en progrès.

+3,7% au deuxième trimestre 2015 par rapport au même trimestre de 2014. Voici même que le leader français de la construction de maisons individuelles, Maisons France Confort, divulgue des chiffres en progrès de 18,4% en nombre d'opérations par rapport au mois de juin de l'année précédente, avec une reprise avérée sur la durée: au deuxième trimestre, les ventes de MFC ont progressé de 26% en nombre. Certes, on peut penser que les performances du leader témoignent d'un dynamisme particulier: il n'en est rien puisque les chiffres de l'ensemble de la profession sont encore meilleurs, avec une progression de 21% en nombre de ventes si l'on compare juin 2014 et juin 2015.

Il faut se garder de triompher. Dans le collectif d'abord, c'est-à-dire dans la construction d'immeubles entiers par les promoteurs, plusieurs indicateurs doivent être regardés. Les octrois de permis de construire constituent un indicateur avancé dans la chronologie, mais il n'est que faiblement probant: il témoigne que les opérateurs de la construction anticipent une augmentation de la demande et en cela, il est important. Pour autant, cet indicateur est affecté de deux faiblesses. Tout d'abord, il révèle que les maires sont plus prompts à délivrer les permis de construire qu'il y a un an, et on sait qu'il y a un an ils étaient historiquement frileux. Les observateurs s'étonnaient même que la période post-électorale n'ait pas entraîné une détente à cet égard, comme on le notait d'habitude au lendemain d'élections municipales. En somme, à vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Ensuite, les promoteurs ont depuis la réforme de 2014 trois ans - et non plus deux - pour exploiter un permis de constuire et rien ne dit que les permis demandés, fussent-ils accordés, soient utilisés et donnent lieu à des mises en chantier. L'opinion ignore ces détails...

Cet indicateur est aujourd'hui d'autant plus fragile que le redressement du moral des promoteurs repose sur un événement spécifique, le succès du dispositif Pinel auprès des investisseurs particuliers. Pourquoi cette bonne nouvelle ne suffit-elle pas à augurer de lendemains qui chantent? Parce que l'effet rattrapage explique en grande partie le succès du Pinel: le Duflot n'avait pas séduit, essentiellement pour des raisons psychologiques, alors que le nom de la ministre évoquait des dispositions présentées par la communauté professionnelle comme hostiles aux investisseurs. En année n+1, le Pinel pourrait bien, mécaniquement, avoir moins de succès: on estime qu'il faut entre trois et cinq ans pour qu'un ménage investisseur reconstitue sa capacité d'investissement.

Un indicateur, plus avancé de tous, serait de nature à nous rassurer vraiment sur les perspectives commerciales perçues par les promoteurs, les achats de terrains en vue de la construction. Or, d'évidence, les professionnels ne reconstituent pas encore leur stock foncier et s'emploient plutôt à utiliser celui qu'ils ont déjà.

L'accession dans le collectif, elle, n'est pas repartie. Alors d'où vient qu'elle le soit dans l'individuel? De deux causes essentiellement: le recalibrage du prêt à taux zéro et la resolvabilisation liée à la maison individuelle. Le nouveau PTZ accentue l'effort de l'Etat au profit des acquéreurs dans les zones moins tendues que la version précédente, et sur ces territoires moins denses le produit-phare est bel et bien la maison individuelle. Par surcroît, et les statistiques le démontrent, le prix moyen de la maison individuelle commandée par les ménages a baissé, en grande partie par la réduction de la superficie du terrain, mais aussi par celle de la superficie de la maison elle-même . En clair, la maison individuelle neuve offre des capacités de réduction de la facture structurellement plus importantes que l'appartement et les ménages en jouent.

Enfin, deux considérations supplémentaires nous conduisent à la prudence. La hausse des taux annoncée ces derniers mois et désormais sensible a poussé les Français à acheter des logements. C'est l'inverse de l'effet rattrapage: on se hâte et on précipite des choix, ce qui ne veut pas dire que le rythme des ventes constaté durera. Il est même certain dans le neuf, où une baisse des prix ne peut compenser une hausse des taux comme dans l'ancien, que l'enchérissement du crédit va faire disparaître des milliers d'opérations dans les prochains mois.

Et puis on assiste à un phénomène qu'on se cache, parce qu'il n'est pas glorieux. Les acteurs économiques sont en train de sous-dimensionner et tout redémarrage de l'activité les dépasse! Les banques sont incapables de respecter les mêmes délais d'examen et de montage des dossiers tellement elles ont depuis des années allégé leurs effectifs. Idem pour les études notariales. Ces éléments, qui semblaient micro-économiques, sont en fait des embarras macro-économiques. Ils mettent de la viscosité dans le marché et le ralentissent. Ils compromettent purement et simplement une reprise franche. Sans doute faudrait-il ajouter, pour que le diagnostic soit complet, que l'appareil de production lui-même s'est sous-dimensionné depuis trois ou quatre ans, à force de licenciements dans le bâtiment, et que sa capacité à produire 450.000 ou 500.000 logements par an est peu probable, du moins dans le respect de la qualité.

On voit bien qu'il faut relativiser les heureuses nouvelles qui nous parviennent, non par esprit chagrin, mais pour éviter les fausses joies et ne pas relâcher trop tôt notre vigilance économique et politique.

Henry Buzy-Cazaux