BFM Immo
David Semhoun

Le propriétaire doit-il indemniser l'entreprise qui loue ses bureaux en cas d'éviction en fin de bail?

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En cas de non-renouvellement d'un bail commercial, le calcul de l'indemnité d'éviction va dépendre du coût du préjudice pour le locataire. Mais pour les bureaux, les règles sont un peu plus spécifiques. Explications de notre expert David Semhoun, avocat en droit immobilier au barreau de Paris.

Le bail commercial à usage exclusif de bureaux fait l’objet d’un renouvellement un peu à part dans la mesure où la fixation de son loyer renouvelé échappe à la règle du plafonnement. Il est en effet fixé à la valeur locative en l’application, notamment, de l’article R. 145-11 du Code de commerce. Dans cette affaire, la cour d’appel de Paris reprend sa jurisprudence antérieure en la matière et rappelle que, de ce fait, la valeur de droit au bail commercial est nulle.

Dans ce dossier, un bail commercial portant sur des locaux à usage de bureaux avait été conclu pour une durée de neuf années. L'activité autorisée aux termes dudit bail est la suivante: "entreprise de conception et d'aménagement de surfaces d'expositions". Approchant de l’échéance contractuelle, le bailleur fait délivrer par acte d'huissier un congé avec refus de renouvellement et offre de paiement d'une indemnité d'éviction.

S’en suit alors la saisine du juge des référés du tribunal (alors) de grande instance aux fins de faire désigner un expert judiciaire avec pour mission de donner son avis sur le montant de l'indemnité d'éviction éventuellement due par le bailleur. Entre-temps le preneur restitue les lieux pour avoir trouvé de nouveaux locaux et s’y être installé. L'expert ainsi désigné dépose son rapport, concluant, d'une part, que l'éviction avait entraîné le transfert de l'activité de la société locataire dans des locaux de remplacement, d'autre part, que l'indemnité d'éviction due à l'intéressée pouvait être estimée à un certain montant. La société locataire assigne alors son ancien bailleur devant le tribunal, au fond, afin de le condamner au paiement de l’indemnité d’éviction fixée par l’expert.

Une jurisprudence qui a changé

Dans cette espèce, au vu du déménagement déjà entrepris par le locataire, les deux parties, bailleresse et locataire, ne contestent pas que l'indemnité d'éviction doit prendre la forme d'une indemnité dite de transfert, égale à la valeur du droit au bail. Cette question de la valorisation du droit au bail a suscité des décisions allant dans des sens parfois contraires.

A l’origine, une vague de décisions estimaient que le preneur à bail commercial de locaux à usage de bureaux disposait d'un droit au bail valorisable. Ces décisions, principalement rendues par la cour d’appel de Paris, considéraient, de fait, que le loyer du bail renouvelé était systématiquement inférieur à la valeur locative de marché correspondant à des locaux neufs. De ce fait, la valorisation du droit au bail du locataire était retenue.

Cette solution a perduré jusqu’à un arrêt rendu par la même cour d’appel de Paris, suivant un arrêt du 27 janvier 2016, aux termes duquel les juges du fond ont rappelé que "s'agissant de locaux à usage exclusif de bureaux dont le loyer de renouvellement aurait dû être fixé à la valeur locative déterminée en considération de locaux équivalents, dans des conditions excluant tout plafonnement, il n'existe pas de différentiel à capitaliser ni de valeur de droit au bail. L'indemnité principale d'éviction est donc nulle".

Des loyers de marché pour les bureaux

La cour d'appel de Paris rappelle, dans cet arrêt du 24 juin 2020, sa jurisprudence précédente en rappelant que du fait que le loyer de renouvellement de bureaux est fixé à la valeur locative, en application des articles L. 145-36 et R. 145-11 du Code de commerce, la valeur de droit au bail est nulle. Pour rappel, l’usage exclusif de bureau emporte l’application de l'article R. 145-11 du Code de commerce qui dispose que le prix du bail des locaux à usage exclusif de bureaux est fixé par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.

Cette indemnité s'apprécie, en effet, différemment selon que l'éviction entraîne ou non la perte du fonds. Dans le premier cas, il s'agit d'une indemnité dite de "remplacement". Dans le second cas, de "déplacement". C’est pour cette raison que l’indemnité d’éviction est, pour les cas de locaux à usage de bureaux, vidée de sa partie principale, et que seule demeurent les indemnités accessoires. Il n’est ici question que de déplacement et non de remplacement d’un fonds disparu. Le fonds, en l’état, n’existe pas.

Ces indemnités accessoires correspondant aux frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi qu’aux frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

A partir de là, il incombe au preneur de démontrer la réalité des frais entreprises, lesquels peuvent être suffisamment larges pour faire augmenter l’addition pour le bailleur. Il peut s’agir des travaux d’aménagement nécessaires à la réinstallation, les frais de licenciement de certains des membres du personnel. Dans tous les cas, il appartiendra au locataire d’en démontrer la réalité et le montant lors de l’expertise afin que ces frais soient pris en compte lors du rendu du rapport définitif de l’expert.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, chambre 3, 24 juin 2020, n° 18/19270

David Semhoun