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Le spéculateur immobilier doit-il laisser place à l'investisseur ?

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Le média pour lequel j’ai plaisir de rédiger cette présente, pose la subtile question de la présence ou non des spéculateurs dans l’immobilier, en lieu et place des investisseurs. Cette question est, à plusieurs titres, pertinente dans la mesure où elle nous oblige à nous interroger sur la définition de la spéculation d’une part, sur la compréhension et la portée de la notion d’investissement d’autre part et enfin, elle nous invite à réfléchir sur le fait de savoir si oui ou non la propriété immobilière est efficace en France.

Une approche plus usitée dans les marchés strictement financiers que dans l’immobilier…

La spéculation, outre son étymologie qui désigne une réflexion intellectuelle portant sur des objets abstraits, se définit comme l’action d’appréhender les évolutions d’un marché ou d’une classe d’actifs patrimoniaux, afin d’effectuer son acquisition au cours le plus bas pour le revendre, de telle façon qu’une marge s’en suive. Cette anticipation peut se faire avec ou sans la contrepartie au moment de l’achat, on appelle cela dans le secteur financier une vente à découvert ou un achat à découvert. La vente à découvert est un mode de fonctionnement périlleux, qui a d’ailleurs été l’une des causes de l’irrationalité des marchés financiers, et l’achat à découvert est simplement un fonctionnement contraire à l’esprit du bon père de famille, et qui consiste à acquérir des actifs en vue de les revendre à court terme, sans affect, sans attachement au projet économique, en considérant l’activité sous jacente comme un « dé de casino »…

L’investissement dans sa dimension immobilière : rendement et plus value

On le voit bien, cette approche est plus usitée dans les marchés strictement financiers que dans l’immobilier, même s’il y a fort peu de temps, certains individus ont souhaité rapprocher le régime économique de ces deux différentes classes d’actifs patrimoniaux.

Mais il nous faut définir la notion d’investissement parfaitement avant de tenter une synthèse. L’investissement, selon Karl Marx, est le fait de risquer son capital dans un projet en faisant intervenir une force de travail humaine, en vue d’en tirer un bénéfice que celui-ci qualifiait de valeur ajoutée.

Le fait que « l’historien-économiste-philosophe » déplorait que le capital produise de la valeur ajoutée en aliénant la valeur travail n’entrant pas dans mon propos du jour, je me bornerai à analyser le principe de l’investissement dans le cadre strictement immobilier.

Dans la dimension immobilière, l’investissement correspond à la situation d’un épargnant (personne physique ou personne morale) ayant décidé de placer, pour une durée supérieure à 6 ans, ses liquidités ou la contrepartie d’un contrat de prêt dans un bien immobilier correspondant aux critères par lui requis.

En règle générale, la contrepartie de cet investissement est de deux ordres : le rendement de l’investissement, à savoir les revenus tirés de l’acquisition de ce bien après avoir supporté les coûts ponctuels ou périodiques de l’acquisition, et/ou la plus-value que l’épargnant projette de réaliser au moment de la revente si les conditions économiques, juridiques et fiscales le lui permettent.

En effet, la plus-value nette en cas de revente d’un bien immobilier est assujettie à de nombreuses conditions qu’il serait difficile de recenser exhaustivement, et dans lesquelles figurent sans conteste : l’état du marché immobilier au moment de la revente, l’état du marché du crédit au moment de la revente, l’état du marché financier au moment de la revente, l’état de la conjoncture politique au moment de la revente, la fiscalité au moment de la revente, l’éventuelle santé économique de certains pays pour lesquels l’appétence au marché immobilier français est élevée…etc. La liste est loin d’être exhaustive.

Une valeur refuge qui a connu une progression de 100 % depuis 10 ans

En tout état de cause, et malgré tous ces critères, le marché immobilier a connu une progression de 100 % depuis 10 ans. Considéré comme une valeur refuge, il est en outre l’un des seuls actifs patrimoniaux octroyant une notion de satisfaction d’ordre affective (personne ne s’est jamais pâmé sur la beauté de ses sicav…). Par ailleurs, il participe de façon pérenne, notoire et parfois spectaculaire à l’histoire d’une localisation dont il dépend. Cependant, les biens immobiliers comportent un inconvénient. Par définition, ils ne sont pas délocalisables et payent, de ce fait, un très lourd tribut fiscal.

41 impôts, droits et taxes divers !

Ainsi, l'Union nationale de la propriété immobilière a dressé une liste de 41 impôts, droits et taxes divers qui frappent la pierre aux différents stades d’acquisition, de détention ou de vente :

  • 1. Impôt sur le revenu
  • 2. Taxe foncière sur les propriétés bâties
  • 3. Taxe foncière sur les propriétés non bâties
  • 4. Taxe d'habitation
  • 5. Impôt de Solidarité sur la Fortune
  • 6. Plus-values immobilières
  • 7. Contribution Sociale Généralisée
  • 8. Contribution au Remboursement de la Dette Sociale
  • 9. Taxe d'enlèvement des ordures ménagères
  • 10. Taxe sur la Valeur Ajoutée
  • 11. Prélèvement sur la valeur locative
  • 12. Contribution économique territoriale
  • 13. Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises
  • 14. Contribution foncière des entreprises
  • 15. Contribution sur les revenus locatifs
  • 16. Droit de mutation à titre onéreux des immeubles
  • 17. Droits sur les cessions de droits sociaux
  • 18. Droit de partage
  • 19. Droits fixes
  • 20. Droits de timbre
  • 21. Droits de succession et de donation
  • 22. Prélèvements sur les profits immobiliers réalisés par des contribuables non domiciliés en France
  • 23. Taxe locale d'équipement (et taxe complémentaire en Ile-de-France)
  • 24. Versement pour dépassement du plafond légal de densité
  • 25. Redevance pour création de bureaux en Ile-de-France
  • 26. Taxe départementale des espaces naturels sensibles
  • 27. Participation pour non-réalisation d'aires de stationnement
  • 28. Taxe départementale pour le financement des CAUE
  • 29. Taxe spéciale d'équipement de la Savoie
  • 30. Taxe sur les logements vacants
  • 31. Taxe sur le chiffre d'affaire des exploitants agricoles
  • 32. Taxe de balayage
  • 33. Taxes spéciales d'équipement
  • 34. Taxe pour frais de chambres d'agriculture
  • 35. Taxes pour frais de chambres de commerce et d'industrie
  • 36. Frais de gestion de la fiscalité locale
  • 37. Droits sur les baux et locations verbales
  • 38. Droits sur les cessions de fonds de commerce et opérations assimilées
  • 39. Taxe additionnelle des EPCI
  • 40. Taxe au profit des offices fonciers régionaux
  • 41. Taxe forfaitaire sur les plus-values immobilières liées à la réalisation d’une infrastructure de transport

Nul n’est besoin de faire un commentaire trop élaboré de cet état de fait véritable « bégaiement fiscal », il explique à lui seul le paradoxe que les Exécutifs de tous bords politiques ne sont jamais parvenus à saisir ; compte tenu de ce qui précède, rares sont les épargnants ayant l’appétence pour l’acquisition locative dans le neuf, sauf la présence d’avantages fiscaux qui finalement a pour principal effet de réduire l’intensité de « l’incendie fiscal » touchant l’immobilier.

Le pur spéculateur agissant dans un intérêt « court-termiste » s’écarte naturellement de l’environnement immobilier

A la lumière de cette démonstration, l’on peut surtout se poser la question de savoir si l’intérêt du spéculateur « court-termiste » est réellement probant. En effet, dans une période où le taux de rendement de l’immobilier, bien que toujours supérieur au taux des placements administrés, a néanmoins tendance à se réduire (ce taux soutient le marché en solvabilisant les acquéreurs pour une période dont nul ne peut certifier qu’elle dépassera l’année).

La valorisation des actifs immobiliers ne peut raisonnablement s’envisager aujourd’hui que sur le long terme, conformément aux fondamentaux même de ce type d’investissements. Ainsi, il parait naturel aujourd’hui que le pur spéculateur agissant dans un intérêt « court-termiste » s’écarte de l’environnement immobilier ou adapte son comportement, sous réserve que le législateur ne vienne pas, une fois de plus, bouleverser les règles du jeu en inversant le principe de l’encouragement fiscal pour détention de longue durée… pour choisir de favoriser la détention courte… Cette hypothèse mise à part, tout permet d’envisager que l’écosystème immobilier engendrera « biologiquement » le comportement de l’investisseur en l’obligeant à adopter une approche vertueuse dont Karl Marx se serait félicité.

Mathieu Toulza-Dubonnet