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Les baux dérogatoires depuis la loi Pinel

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Initialement fixée à deux années, la volonté législative de porter à trois années la durée maximum du bail dérogatoire avait pour but de coller à la première possibilité de sortie triennale d’un bail commercial, mais aussi vraisemblablement d’éviter que la pratique de la renonciation au bénéfice du statut des baux commerciaux perdure.

La Loi n°2014-624 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (dite "Loi Pinel") a été votée il y a maintenant un peu plus de trois ans.

Trois ans … tout comme la durée maximum autorisée par le nouvel article L. 145-5 du Code de commerce dans son premier alinéa au titre des baux dérogatoires : "Les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l’expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux (…)".

D’autres dispositions ont été ajoutées par la Loi Pinel à l’article L. 145-5 (essentiellement en matière d’état des lieux lors de la prise de possession, de restitution des locaux et de délai de "grâce" d’un mois) mais celles rappelées ci-dessus sont les principales.

Initialement fixée à deux années, la volonté législative de porter à trois années la durée maximum du bail dérogatoire (initial ou "successifs") avait pour but de coller (en tout cas en terme de durée maximum) à la première possibilité de sortie triennale d’un bail commercial, mais aussi vraisemblablement d’éviter que la pratique de la renonciation au bénéfice du statut des baux commerciaux perdure.

On rappelle en effet que l’article L. 145-5 prévoit dans son deuxième alinéa que "Si, à l’expiration de cette durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre" (autrement dit, il s’opère un nouveau bail commercial régie par les dispositions des articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce).

Pour éviter l’écueil du nouveau bail soumit au statut, il était donc fréquent dans le cadre de la précédente législation, que le preneur renonce au bénéfice du statut des baux commerciaux pour continuer d’exploiter les lieux de manière totalement indépendante par rapport aux règles fixées par ce statut, y compris donc en terme de durée.

Dès lors que cette renonciation intervenait postérieurement au moment où le preneur avait acquis le droit au bénéfice du statut et que cette renonciation était expresse, non équivoque et donnée en parfaite connaissance de cause, la jurisprudence y donnait droit et l’on pouvait donc allègrement dépasser la durée de deux ans (à l’époque).

Oui mais voilà, le texte a été modifié et la volonté législative a précisément pour but de condamner cette pratique, la phrase qui suit ayant été intégrée par la Loi Pinel au nouvel article L. 145-5 : "… A l’expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux (…)".

La renonciation au droit au bénéfice du statut ne parait plus possible dans le cadre du régime instauré par la Loi Pinel et nous n’avons pas connaissance de jurisprudence de Cour d’Appel et de dernier ressort se prononçant sur la question (dans le cadre de la nouvelle rédaction).

C’est dommage diront (encore) certains de se passer d’une souplesse qui bénéficiait aussi aux preneurs (en tout cas à certains d’entre eux) puisque leur permettant de se démarquer d’un certain nombre de règles assez strictes du statut.

Des solutions peuvent néanmoins exister dans différentes circonstances pour se démarquer du statut mais elles sont plus compliquées et demandent une grande attention par rapport aux éléments factuels de chaque espèce : par exemple, baux civils (en fonction ou non de l’exploitation d’un fonds de commerce), baux professionnels, conventions d’occupation précaire (avec ses critères restrictifs), conventions de prestation de services, exploitation dans des locaux différents etc.

Dans l’attente de la position de Cour de Cassation, il paraît nécessaire de rester prudent sur le sujet … ou bien très créatif.

Christophe Sciot-Siegrist