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Loi Pinel et application immédiate aux baux en cours

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Commentaires sur la réponse de Madame la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie en en date du 31 mai 2016 au sujet de la loi Pinel (question N° 93154) prévoyant l’application immédiate de la faculté de résiliation triennale du preneur aux baux de neuf ans actuellement en cours.

Aux termes d’une réponse ministérielle en date du 31 mai 2016, Madame la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie a considéré que sont réputées non écrites, les clauses qui figurent dans les baux commerciaux conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel (Loi n° 2014-624 du 18 juin 2014) et qui interdisent la résiliation du bail par le preneur à l'expiration d'une période triennale.

Cette réponse ministérielle n’était pas forcément attendue par le marché immobilier et très franchement, elle est quelque peu passée inaperçue. Elle traite néanmoins d’un sujet important. A ce titre, il convient de rappeler que le nouvel article L145-4 du Code de commerce prévoit quatre types d’exception à la faculté généralisée de résiliation triennale du preneur : les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux construits en vue d’une seule utilisation, les baux des locaux à usage exclusif de bureaux et les baux de certains locaux de stockage.

Si le bail ne relève pas de ces exceptions, les clauses interdisant la résiliation triennale par le preneur du bail sont réputées non écrites. Oui mais … l’article 2 du Code civil prévoit que la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif. Donc, quid de la situation des baux en cours (en ce compris ceux conclus avant le 1er septembre 2014), d’autant plus que la Loi Pinel ne prévoyait pas de disposition transitoire spécifique à ce titre ?

La réponse ministérielle susvisée prend le parti de l’application immédiate aux baux en cours du nouvel article L145-4 du Code de commerce sur la base des motifs principaux suivant :

- en se fondant sur le caractère d’ordre public de l’article L.145-4 du Code de commerce, et - en application de la théorie des effets légaux des contrats.

Le bien-fondé de cette décision paraît cependant sujet à discussion et ce, à différents égards.

Tout d’abord en termes normatifs, une réponse ministérielle n’a pas, en principe, de valeur juridique (sauf en matière fiscale) et est toujours "sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux". La question est donc de savoir si la jurisprudence suivra ou non cette voie? Or on peut s’interroger car si le législateur avait voulu inclure les nouvelles dispositions de l’article L145-4 du Code de commerce parmi celles de la Loi Pinel faisant l’objet d’une application immédiate (les dispositions relatives à l’état des lieux de sortie ou au droit de préemption du preneur par exemple), il l’aurait fait.

Dans le même ordre d’idée, il avait été souligné par Madame Sylvia Pinel à l’occasion des débats parlementaires que l’objet de cette loi "n’était pas de porter atteinte à l’équilibre des contrats déjà conclus"… et de rappeler que l’engagement ferme du preneur aura généralement été consenti en "contrepartie" de concession(s) de la part du bailleur (franchise de loyer, participation aux travaux, les deux …). Par conséquent remettre en cause la durée ferme aurait pour effet mécanique de créer un déséquilibre manifeste.

Déséquilibre manifeste que pourraient invoquer les bailleurs, notamment au vu du nouvel article 1195 du Code civil (issu de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats) sur l’imprévision et un "changement de circonstances imprévisibles"… rendant "l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque…". Même si cet article ne devrait pas trouver à s’appliquer aux contrats en cours, son "esprit" pourrait très bien être invoqué pour renforcer les circonstances factuelles d’une espèce.

La réponse ministérielle susvisée suppose également de considérer que les nouvelles dispositions de l’article L145-4 du Code de commerce relèvent d’un ordre public "impérieux". Mais tel n’est pas le cas en l’espèce puisque s’agissant d’un ordre public de protection (ainsi qu’il est repris dans la réponse ministérielle en question).

Enfin, cette décision revient à considérer que la durée ferme des baux serait un effet légal du contrat. Or, la théorie jurisprudentielle des effets légaux des contrats est fondée sur le principe selon lequel seuls les effets légaux des contrats, qui échappent à la volonté des co-contractants, sont régis par la loi nouvelle. Dans notre cas, les parties (et non la loi) ont décidé de prévoir une période ferme de neuf ans pour le bail et ce, vraisemblablement, en "contrepartie" des concessions du bailleur évoquées ci-dessus.

Il n’est donc pas certain que cette interprétation perdure car différents arguments contraires existent et une fois encore, il faudra attendre la position de la jurisprudence pour y voir plus clair.

Décidément, on en sort pas.

Christophe Sciot-Siegrist