BFM Immo
Avis d Experts

Loyer binaire : du nouveau dans la jurisprudence "Théatre Saint Georges"

BFM Immo
Par deux décisions de principe rendues le 3 novembre 2016 (Cass. 3° civ. n°15-16.826 et n°15-16.827), la Cour de Cassation vient d’apporter un bémol à sa jurisprudence « Théâtre Saint-Georges » du 10 mars 1993 (Cass. 3° civ. 10-3-93 n°91-13.418).

Au nom de la liberté des parties (article 1134 du Code Civil devenu, depuis la réforme du droit des obligations, l’article 1103 du même code), la Cour suprême a décidé que dans le cadre d’un loyer « binaire », le recours au juge des loyers commerciaux pour fixer la valeur locative est non seulement valable (sous réserve que le contrat prévoit un tel recours) mais encore qu’un tel recours emporte application des règles du statut et en particulier de celles prévues à l’article L. 145-33 du Code de commerce !

Pour rappel, un loyer « binaire » comporte une partie fixe (un « loyer minimal garanti ») augmenté d’une partie variable (la « clause-recettes » calculée sur le chiffre d’affaires réalisé). On retrouve principalement ce type de loyer dans le cadre de baux de centres commerciaux et d’immeubles avec commerces.

Depuis l’arrêt « Théâtre Saint-Georges »,, la Cour de cassation considérait par principe que la détermination du loyer « binaire », pour tous les renouvellements éventuels de baux commerciaux, relevait de la seule convention des parties. Etaient donc exclues les règles issues du statut des baux commerciaux en termes de fixation de la valeur locative, ainsi que la compétence du juge des loyers commerciaux pour trancher tout désaccord.

La pratique, pour parer à toute situation de blocage, consistait à insérer des clauses prévoyant, par exemple, que la partie fixe du loyer serait fixée à la valeur locative (ou bien selon une méthode spécifique pour déterminer le loyer de renouvellement), le recours à l’arbitrage, voir même le recours au juge etc.

Mais même lorsque les parties prévoyaient le recours au juge des loyers pour fixer la partie fixe du loyer de renouvellement, non seulement certaines juridictions se déclaraient incompétentes, mais surtout la partie variable du loyer échappait à l’analyse, avec le risque donc d’avoir une valeur locative « finale » (loyer fixe et loyer variable additionnel) au-delà de la valeur réelle de celle-ci.

Cette analyse semble maintenant terminée, tout du moins lorsque les parties prévoient dans leur bail commercial le recours au juge des loyers commerciaux.

En l’espèce les baux disposaient, en cas de renouvellement, que : « le loyer de base sera fixé selon la valeur locative telle que déterminée par les articles 23 à 23-5 du décret du 30 septembre 1953 ou tout autre texte qui lui serait substitué » et qu’à « défaut d’accord le loyer de base sera fixé judiciairement selon les modalités prévues à cet effet par la législation en vigueur ».

La Cour d’appel avait retenu l’argument des locataires et contesté la compétence du juge des loyers commerciaux.

Arrêts cassés (deux fois donc) par la Cour de cassation aux visas des articles 1134 du Code civil et L. 145-33 du Code de commerce, qui décide que le juge des loyers commerciaux, saisi d'une telle demande, prévue par les stipulations du bail, peut se prononcer sur la fixation du loyer à la valeur locative, mais surtout (c’est là l’apport majeur de ces deux jurisprudences) que « le juge statue alors selon les critères de l’article L. 145-33 précité, notamment au regard de l’obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, en appréciant l’abattement qui en découle ».

Plus prosaïquement, le juge applique le statut des baux commerciaux comme si le loyer était un loyer unitaire et tient compte des critères de l’article L. 145-33, dont notamment celui de des « obligations respectives des parties » (et partant, de ce qui figure à l’article R. 145-8 al 1) pour lui permettre de déduire de la partie fixe du loyer, celle correspondant au pourcentage du chiffre d’affaires et déterminer ainsi un loyer « global » correspondant à la valeur locative des locaux.

Outre les questions générées par l’étendue de l’abattement sur la part variable, et sans vouloir trop anticiper cependant, on ne peut que rappeler que les dispositions prévues en matière de loyer de renouvellement peuvent, en l’état, faire l’objet de dérogations par les parties. Les rédacteurs de baux commerciaux vont donc veiller à couvrir ces points par des rédactions appropriées.

On pourrait ainsi et par exemple voir fleurir des clauses par lesquelles la portée de la partie variable est réduite comme n’autorisant pas sa déduction de la partie fixe du loyer, ou même que l’addition de la partie variable et de la partie fixe peut dépasser la valeur locative.

A suivre donc …

Christophe Sciot-Siegrist