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Marché immobilier résidentiel : les grandes manœuvres

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Si l'on écoute les discours professionnels depuis la parution de l'avant-projet de loi Alur inspiré par Cécile Duflot, le marché immobilier de la transaction est asthénique. Ses ressorts ont été cassés par la complexité juridique accrue d'une vente, par le dégoût des investisseurs du fait du déséquilibre des rapports locatifs ou encore par la baisse des aides aux accédants à la propriété. Les chiffres de 2014, l'année où le projet de loi a été voté et où les dispositions ont été promulguées, l'année aussi où les fondamentaux économiques du pays se sont dégradés et avec eux le budget de l'Etat et sa capacité à se mobiliser pour le logement, ont pourtant été bons, avec 720.000 ventes enregistrées dans l'existant.

En clair, ce marché, essentiellement de besoin, est plus robuste qu'on le croît. Il faut aussi distinguer dans l'univers immobilier les discours objectifs de ceux qui ressortissent à l'influence publique et au lobbying: on y crie souvent au loup pour qu'on vous alloue un berger de plus ou une clotûre plus solide...et le danger ne s'avère pas. Il faut dire que la faiblesse des taux d'intérêt a constitué un amortisseur efficace. Il faut surtout dire que, là encore contre beaucoup d'oracles professionnels, la variable d'ajustement majeure des prix a joué et que les ménages, par ailleurs désolvabilisés, s'en sont trouvés resolvabilisés.

Enfin, un autre phénomène explique que les diagnostics du marché de l'ancien soient moins bons que la santé effective du patient: la contamination du neuf sur l'ancien. Sans conteste, les ventes de logements neufs ont accusé une baisse qui confine à l'effondrement, et les observateurs les plus honnêtes ne sauraient considérer la bouffée d'oxygène du dispositif fiscal Pinel comme une guérison. L'accession continue de marquer le pas, et les promoteurs se gardent de relancer des opérations. Les raisons qui pénalisent le marché du neuf et la production n'ont au fond rien à voir avec les ressorts de l'ancien et de la revente. En particulier, l'un peut compter sur l'élasticité des prix quand l'autre ne peut les faire varier à la baisse que marginalement, corseté par le coût du foncier et le poids des normes. Or, il est difficile à un acteur majeur du marché existant de se déclarer en pleine forme alors que son confrère du neuf est en pleine asphyxie...peut-être m? ?me au sein du même groupe. Solidarité, oui, et difficulté à articuler deux messages opposés face aux pouvoirs publics. Qui plus est, un ministre pourrait bien se servir de cette incohérence et considérer que l'un dans l'autre la situation n'appelle pas d'action exceptionnelle.

Ce qui peut surprendre aussi, alors que la communauté immobilière témoigne sans cesse de ses réserves et tient des propos inquiets sur le manque de vigueur du marché résidentiel, est la multiplication des acteurs. Le mot cache deux réalités. D'abord, des opérateurs significarifs de l'administration de biens, tels que Foncia ou Citya, décident de se diversifier plus franchement vers la transaction et l'affirment publiquement. Le réseau émanant du Crédit Agricole Square Habitat, qui avait repositionné sa croissance externe sur la gestion, estime essentiel de s'ancrer en même temps sur la transaction, aux termes d'un équilibre mieux senti. Ensuite, de nouveaux entrants apparaissent et se renforcent: les réseaux de mandataires en immobilier se multiplient, parfois à l'initiative d'enseignes d'agents immobiliers déjà établies. Ils se consolident entre eux. Enfin, les acteurs "vitrés" (exerçant en agences) se rapprochent des acteurs de la dématérialisation, instaurant une véritable consanguinité: Foncia a ainsi acquis il y a un an Efficity, à la fois outil d'expertise et réseau d'agents commerciaux de l'immobilier, et d'autres mariages sont en préparation.

Dans ce contexte entrepreneurial actif, qui se régénère, des acteurs marginaux en apparence ont tout lieu de s'interroger sur leur place et accentuation de leurs parts de marché. Les notaires, les avocats, les architectes existent depuis longtemps dans le domaine de la transaction. Leur poids est mal connu. Ils ne semblent d'ailleurs pas attachés à qu'il soit connu, pour ne pas éveiller ou aviver les craintes des institutions installées d'agents immobiliers, telle la Fnaim. Ils ne veulent pas non plus brouiller leur image, assise sur le métier central, qui les identifie socialement et politiquement.

Il ne fait pas de doute que ce qui se passe est historique. Le marché des transactions sur les biens d'habitation se professionnalise plus que jamais. Il faut entendre que la moitié qui se conclut aujourd'hui de gré à gré, sans intermédiaire, excite les convoitises, à juste titre: la France détient le record de transactions de particulier à particulier rapporté au marché global. Le recours au digital et la complexité règlementaire majorée, dans un secteur toujours plus protecteur du consommateur, constitue des atouts pour les professionnels. Derrière les discours sombres sur le marché, les plus organisés ne s'y trompent pas et avancent. Pour preuve, un grand chantier vient de s'ouvrir, celui de la création par les ténors de l'immobilier d'habitation traditionnel en France d'un portail d'annonces collectif. Qu'il aboutisse ou pas, il atteste que ce marché fait l'objet de toutes les attentions. Pour mieux le conquérir ou le tenir, des hommes -oui, il n'y a pas de femme à la tête des entreprises en question- qui ont d'habitude bien du mal à collaborer mettent un mouchoir sur les considérations égoïstes et imaginent un outil de place.

Il reste que les ménages décideront s'ils font une confiance nouvelle aux professionnels ou s'ils continuent à estimer pouvoir se passer d'eux. Au fond, les transactions de gré à gré ne génèrent pas de contentieux spécifique. Dans le même temps, la détermination du prix est un exercice de plus en plus délicat, dans une ambiance volatile, et un professionnel rassure à cet égard. Quant à l'aspect juridique, en France, l'institution du notaire, passage obligé pour l'acte définitif, a fini par faire oublier que l'avant-contrat est déterminant: les professionnels qui réhabiliteront l'avant-contrat, outil clé, mériteront bien du public. Les réseaux de mandataires qui ont passé des accords avec les notaires l'ont compris. Les agents immobiliers qui prennent la peine de rédiger promesses et compromis, moins d'un tiers d'entre eux, l'ont compris. Les avocats qui usent de l'acte sous signature juridique et le promeuvent l'ont compris.

C'est pourtant ailleurs, sans doute, que la bataille va se livrer, sur le terrain du service. Nous vivons dans une société de service et les ménages ne s'en passent que s'ils ne voient pas distinctement la valeur ajoutée des services proposés. Dans le cas inverse, au prix d'efforts, ils achètent le service. La question du tarif de l'accompagnement de la transaction est évidemment centrale, alors qu'elle ne l'était pas naguère encore. Néanmois, elle est seconde par rapport à celle de la prégnance du service apporté et de la valeur ajoutée réelle et perçue. Et puis, ceux qui gagneront devront avoir deux autres forces, aujourd'hui prisées des familles: la proximité physique, dont le numérique n'abolira jamais la nécessité pour une transaction immobilière, et l'image.

S'agissant de l'image, le nuancier devrait évoluer: la loi Alur, lorsque les agents immobiliers auront cessé de tenir sur elle des propos de rejet et auront mesuré qu'elle sert leur besoin de respectabilité -notamment par la formation et la discipline-, pourrait remettre en selle ces acteurs historiques. Les marques vont compter aussi: les leaders de l'administration de biens l'emporteront-ils sur un réseau issu de la banque? Au demeurant, les investissements publicitaires faits ou pas par tel ou tel acteur pour favoriser la présence à l'esprit et se présenter sous un jour flatteur, l'aptitude à exploiter les réseaux sociaux et le marketing viral, seront déterminants aussi.

Bref, l'époque est formidable. Une pensée de Pierre Dac résume bien ce qui se passe: "Il vaut mieux penser le changement que changer le pansement." Tout porte à croire que les acteurs de la transaction ont cette sagesse.

Henry Buzy-Cazaux