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Réforme du prêt à taux zéro dans l'ancien : de quoi parle-t-on?

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La ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, au côté du ministre du budget, a annoncé cette semaine une importante réforme du prêt à taux zéro. L'enjeu est de relancer la primo-accession, dont le PTZ est le catalyseur majeur depuis vingt ans, inventé par Pierre-André Périssol en 1995 alors qu'il tenait le portefeuille aujourd'hui confié à Sylvia Pinel. En réalité, cette réforme n'était pas une surprise: le Président de la République lui-même l'avait éventée le 29 octobre dernier à la faveur d'un discours prononcé à Nancy. Il a seulement appartenu aux deux ministres de préciser les contours du nouveau dispositif.

S'agissant du PTZ pour l'achat de logements neufs, il gagne en agilité sur tous les tableaux : la quotité qu'il peut financer monte à 40%, les différés de remboursement s'allongent, les durées d'emprunt aussi, ainsi que le revenu des ménages éligibles. Rien à dire: c'est beaucoup mieux... et beaucoup plus cher pour le budget de l'Etat, qui n'en sera sollicité que dans deux ans. Politiquement, le coup est habile: les marges de manœuvre de la fin du quinquennat n'en seront pas économiquement affectées, et si le locataire de l'Elysée se retrouvait en situation de l'assumer, qui le lui reprocherait au nom du soutien à l'accession à la propriété? Quant aux effets pervers, le PTZ n'en a pas dans le neuf : on voit mal les promoteurs, face à un marché de l'accession asthénique, en profiter pour accentuer leurs marges ou laisser filer les coûts de production.

C'est sur l'ancien qu'il faut s'attarder. Presque étonnamment, la communauté professionnelle des agents immobiliers a applaudi comme un seul homme à la partie de la réforme qui la concernait, c'est-à-dire l'ouverture du PTZ à l'achat de logements existants sous condition de travaux, non plus seulement dans les zones rurales, mais sur tout le territoire. Il est majeur de savoir de quoi on parle et de mesurer la contrainte : l'enveloppe de travaux, qui est prise en compte dans l'assiette du financement, doit représenter au moins 25% du montant de l'opération totale, soit un tiers du prix du bien à rénover lui-même. En clair, pour un logement de 210.000 euros, il faudrait commander et attester de 70.000 euros de travaux. On voit bien que les appartements ou les maisons visées sont en mauvais état et nécessitent une réhabilitation lourde pour être rendus habitables.

Seulement quelques centaines d'opérations ?

Le nom consacré de ces opérations couplées d'achat et de rénovation est "acquisition-amélioration", et il existait avant même le PTZ, à l'époque de son ancêtre, le PAP (prêt d'accession à la propriété), qui pouvait financer ce type d'opérations. On considérait alors ces situations de financement comme peu nombreuses, et on avait conscience, sans même avoir à la stipuler par voie règlementaire, qu'il n'avait de réalité que dans les communes rurales. En effet, le patrimoine y est souvent délaissé, pour des raisons évidentes, liées à l'exode. On peut ajouter aujourd'hui que le mouvement inverse, celui des néo-ruraux, pour réduit qu'il soit, vient mettre le patrimoine des territoires ruraux et son besoin d'entretien sous les feux de la rampe. De combien d'opérations parle-t-on ? Quelques centaines ? Ces biens sont en concurrence avec le produit-phare de la primo-accession en zone rurale ou rurbaine, la maison individuelle neuve, et la concurrence est pour le moins inégale.

Et dans les zones denses ou intermédiaires ? Où sont donc ces appartements, puisqu'on parle de villes et par conséquent de copropriétés, tellement dégradés qu'il faille y engager un tiers de leur prix en travaux? Sont-ils dans les portefeuilles des agents immobiliers ? On peut en douter. Les professionnels de la transaction vendent essentiellement des logements en bon état d'usage et à rénover, mais rarement à réhabiliter - la différence d'importance des travaux est considérable: le premier concept renvoie à l'apparence et au confort, le second à l'habitabilité, sinon à la décence. Pourquoi? Pour deux raisons. D'abord parce qu'il y en a peu dans les villes, qui ont pour la plupart travailler à la requalification de leur patrimoine collectif privé, en particulier par des OPAH (opérations programmées d'amélioration de l'habitat), mobilisant des aides des collectivités et de l'Etat.

Mandats de vente de biens dégradés

Ensuite, et ce point peut évoluer, les agents immobiliers ne sont pas familiers de l'ingénierie financière indispensable dans cette affaire: il va leur falloir prendre des mandats de vente de biens dégradés et être capables d'estimer les travaux indispensables et de les chiffrer, pour orienter les choix des primo-accédants. Quand lira-t-on dans les vitrines d'annonces "Logement éligible au PTZ dans l'ancien"?

Cela dit, lorsqu'on ajoute le constat physique que ce type de biens n'est pas légion dans le patrimoine de nos villes et que les acteurs professionnels ne sont pas rompus à aller les dénicher, cette réforme du PTZ dans l'ancien avec travaux n'est-elle pas... optique ? Ne parle-t-on d'un marché extrêmement étroit? Les pouvoirs publics ne donnent-ils pas à bon compte le sentiment d'une action puissante et engageante pour le budget de l'Etat, alors que les opérations concernées seront peu nombreuses?

Henry Buzy-Cazaux