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Tapage nocturne, perte d'ensoleillement... Ce que dit le droit sur les troubles de voisinage

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[AVIS D'EXPERT] Que vous soyez en copropriété ou dans une maison individuelle, vous avez le droit de vivre paisiblement dans votre logement. C'est là qu'intervient la notion de trouble de voisinage. Décryptage avec nos experts Jean-Philippe Mariani, avocat spécialiste dans le droit de la copropriété, et Bruno Lehnisch, cadre juridique.

Alors que les beaux jours reviennent, vous êtes nombreux à profiter de vos jardins et à y convier vos proches. Las, vous constatez que les arbres de vos voisins obstruent le passage de la lumière du soleil. Êtes-vous fondés à en prendre ombrage et à en réclamer l’élagage voire l’abattage? Deux arrêts récents de cour d’appel montrent que la réponse diffère selon les situations.

Vous voulez enfin tout comprendre sur le trouble anormal de voisinage? On vous aide à démêler le vrai du faux en 5 questions. Et à y voir plus clair sur la notion de "perte d’ensoleillement"…

1. Le "trouble anormal de voisinage" n’est défini par aucune loi

=> VRAI

Contrairement à ce qu’on entend parfois, le "trouble anormal de voisinage" n’est défini par aucun texte. Il s’agit en réalité d’une notion créée par la justice. Cette dernière s’est appuyée sur l’article 544 du Code civil: "la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements". Il en résulte que "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ou encore excédant les inconvénients normaux du voisinage" (Cass. 2e civ., 19 nov. 1986, n° 84-16.37).

De même, la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 précise, en son article 4, que "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". Autrement dit, les droits de chacun s’arrêtent là où commencent ceux des autres.

2. Le "trouble normal de voisinage" n’existe pas

=> FAUX

Compte tenu des explications ci-dessus, il faut distinguer "troubles normaux" et "troubles anormaux" de voisinage. En effet, les troubles normaux de voisinage ne sont pas répréhensibles. Par exemple tondre sa pelouse en journée ou avoir une discussion animée à table constituent un trouble normal qui doit être "supporté" par le voisinage.

En revanche, en cas de troubles anormaux, vous êtes en droit de demander à votre voisin de faire cesser le trouble. Le caractère anormal du trouble se manifeste lorsque le trouble dépasse la normalité de ce que vous êtes en droit d’attendre.

3. Le "trouble anormal de voisinage" ne concerne que le tapage nocturne

=> FAUX

On entend parfois que le "trouble anormal de voisinage" ne concerne que les différentes nuisances sonores causées par les cris et chants de vos voisins, singulièrement la nuit, autrement dit le fameux "tapage nocturne".

C’est triplement faux. D’abord, un trouble sonore de voisinage peut être considéré comme anormal même s’il est provoqué en journée, et ce en fonction de trois critères: la répétition du bruit, son l’intensité ou sa durée.

Ensuite, le trouble anormal de voisinage n’est pas limité aux cris ou chants de vos voisins. Il peut résulter également d’une chose (un lave-linge, une télévision, une radio, une piano...) ou d’un animal (ses aboiements) leur appartenant.

Enfin - et surtout - la "notion de trouble de voisinage" peut concerner des nuisances autres que sonores. Citons en particulier :
- les nuisances olfactives, telles que les émanations de la cuisine d’un restaurant ;
- les nuisances visuelles : gêne générée par une installation, une plantation, une construction...

4. Les arbres de mon voisin me gênent : c’est un « trouble anormal de voisinage »

=> tout dépend de la situation

Deux arrêts récents de cour d’appel montrent que la réponse n’est pas uniforme. En cas de contentieux, les juges apprécient au cas par cas.

Ainsi, la cour d’appel de Paris a donné tort à un voisin qui se plaignait de perte d’ensoleillement. Cette dernière était établie mais les juges ont ainsi motivé leur décision : "Dès lors que les terrains des deux parties se trouvent dans un milieu volontairement arboré contribuant au charme de l’habitat dans la commune de Bièvres où l’appelante a choisi de s’installer, les désagréments provoqués par la diminution de l’ensoleillement sont le corollaire prévisible et ordinaire de la présence de ces grands arbres préexistants" (CA Paris, pôle 4 - ch. 2, 10 févr. 2021, n° 18/00358).

A l’inverse, le trouble de voisinage peut être caractérisé lorsque cette perte d’ensoleillement dépasse certaines limites, surtout si elle s’aggrave au fil des ans et de la croissance des arbres. La cour d’appel de Colmar a ainsi condamné un propriétaire à 5.000 € de dommages et intérêt pour trouble anormal de voisinage. Ce dernier avait duré 4 ans, jusqu’à l’abattage des arbres litigieux qui culminaient alors à 12 mètres de haut: "La perte d’ensoleillement résultant de la très haute taille et du nombre des arbres situés en limite de propriété (…) est étayée par les attestations produites soulignant l’ombre créée par les arbres sur le jardin, de plus en plus importante et de plus en plus tôt l’après-midi". (CA Colmar, ch. 2 a, 18 févr. 2021, n° 18/01544).

5. Pas de trouble anormal si mes arbres se trouvent à plus de 2 mètres de mon voisin

=> FAUX

Contrairement à ce qu’on entend souvent, le trouble anormal de voisinage fondé sur la perte d’ensoleillement peut exister même si les arbres se trouvent loin de la limite de propriété.

Le trouble de voisinage est donc indépendant des règles du code civil selon lesquelles :
- il est interdit de planter des arbres trop proches des limites séparatives (article 671 du code civil) ;
- un propriétaire doit couper les branches qui avancent sur la propriété de son voisin (article 673 du même code).

Autrement dit, un propriétaire respectueux des deux obligations ci-dessus peut quand même créer un trouble anormal de voisinage lorsque ses arbres génèrent une perte notable d’ensoleillement pour son voisin.

Dans un prochain "avis d’expert", nous verrons qu’en cas de trouble de voisinage, la voie de la conciliation est toujours préférable. C’est à la fois une préconisation de "bon sens" et, depuis le 1er janvier 2020, une démarche procédurale obligatoire avant tout procès.

Jean-Philippe Mariani, avocat spécialiste dans le droit de la copropriété, et Bruno Lehnisch, cadre juridique

Bruno Lehnisch