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Yann Moix contre Emmanuelle Cosse dans ONPC : à quoi un éditorialiste sert-il ?

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Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services Immobiliers, revient sur l'émission de Laurent Ruquier "On n'est pas couchés" diffusée samedi 29 octobre, au cours de laquelle la ministre du Logement a été visiblement malmenée par Yann Moix.

Ce qui s'est passé samedi 29 octobre à la télévision entre Yann Moix, éditorialiste, auteur à succès, et Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable, invitée sur le plateau de l'émission de Laurent Ruquier "On n'est pas couchés", est grave. En deux mots, il l'a interpelée sur sa réaction face aux mises en cause de son conjoint, Denis Baupin, député écologiste de Paris, pour harcèlement sexuel envers plusieurs femmes, lui demandant si elle n'avait d'autre argument à opposer aux plaignantes que la théorie du complot politique. Il avait négligé qu'interrogée par Jean-Pierre Elkabach sur le sujet, elle n'avait fait que répondre à l'hypothèse formulée par le journaliste. Pour le reste, elle a rappelé, chez Elkabach comme chez Ruquier, que la justice avait été saisie et suivait son cours. Yann Moix a en outre souligné que Denis Baupin n'était qu' "quatrième ou cinquième couteau" et qu'un complot était peu probable à l'encontre d'un homme si peu important dans le paysage politique.

Monsieur Moix a commis trois erreurs. La première a été soulignée par Nicolas Bedos lui-même, qui a pris des accents de redresseur de torts qui étaient la marque de fabrique de son père. Il a reproché à son camarade médiatique d'interroger "comme un flic", avec une violence destructrice, sans égards pour la peine d'une femme, d'un être humain. Rien à rajouter. Sauf que le même comportement dans un commissariat, dans le secret d'un bureau, eût été moins dur. On ne frappe pas quelqu'un que la situation éprouve déjà suffisamment, certes, mais le caractère public de la démarche ajoute l'exposition et le voyeurisme et rend abject ce qui n'eût été qu'indigne. L'humiliation culminait. Le contempteur a ajouté a l'ignominie la petitesse quand il s'est agi de qualifier le mari: il compterait pour quantité négligeable dans le paysage. Mais un élu vaut un élu.

L'impression a prévalu que, dans le système de valeurs de cet ancien Prix Goncourt et ancien Prix Renaudot, il y avait une hiérarchie entre les députés connus et les autres. Ça m'a fait penser à mon professeur de philosophie de classe préparatoire dans un grand lycée parisien, qui avait mis publiquement plus bas que terre une camarade ayant eu le malheur de citer dans sa copie un philosophe de second plan: "Les petits, on ne les cite pas, Mademoiselle." La morgue hautaine de l'intelligentsia. Qui juge, qui s'épuise à juger, qui s'exténue dans le jugement et en oublie qu'un être vaut un être. Qui oublie en outre qu'un être aimé les vaut tous, parce que c'est comme ça.

La troisième erreur est la plus grave, parce qu'elle attente à la mission du chroniqueur. D'Emmanuelle Cosse aujourd'hui, on peut franchement mieux faire que de lancer des allégations familiales: elle conduit correctement, habilement, avec compétence, un ministère qui a des résultats, et elle le fait avec élégance et justesse: invoquant la relance du logement, qui porte la croissance aussi faible soit-elle, elle a invoqué l'action de ses prédécesseures au même poste tout en citant la sienne. Elle n'est pas tombée dans l'imposture qui consiste à faire accroire qu'on sauve le marché en quelques semaines et à omettre que le logement fonctionne avec des mouvements lents selon des cycles longs. Elle n'a pas non plus prétendu que la partie était gagnée. On aurait pu penser que l'échange sur la politique du logement allait durer plus que celui sur l'affaire Baupin, mais non.

Un marché qui décolle, des centaines de ménages supplémentaires logés et resolvabilisés par des aides publiques bien calibrées et sauvées des griffes de Bercy, et non seulement par la baisse des taux et celle des prix, des emplois durables créés dans le pays, une mobilisation du foncier public, la moralisation des aides personnelles au logement en prenant en compte le patrimoine détenu par les allocataires, une organisation modernisée des professionnels immobiliers, mais aussi le choix critiquable d'étendre l'encadrement des loyers, la rénovation énergétique des copropriétés qui prend du retard ou encore une Commission de contrôle des agents immobiliers et des administrateurs de biens qui ne voit pas le jour ou enfin des normes de construction qui ne se simplifient pas, tout cela n'a pas eu l'air de passionner Monsieur Moix. Pourtant, cela intéresse nos concitoyens. Peut-être plus que l'affaire Baupin.

Et puis, si Madame Cosse avait quelque responsabilité dans l'affaire qui porte le nom de son mari, on pourrait comprendre. Mais elle est en toute hypothèse plus responsable des décisions qui touchent le logement que du comportement de son conjoint, qu'il soit louable ou qu'il soit condamnable. Alors c'est dommage de ne pas l'avoir fait parler davantage du logement. Un chroniqueur brillant sert-il à ravaler ses interlocuteurs ou à tirer d'eux le plus important? Quelle gloire y a-t-il à abaisser, à prendre en défaut, à coincer, à pousser un visage au bord des larmes? Tiens, une indélicatesse en justifie une autre: Monsieur Moix, qui défendait là la cause des femmes abaissées par les agressions machistes, aurait-il frappé si fort avec les mots face à un homme? Singulièrement face à un homme qui ne s'embarrasserait pas de principes et passerait sans états d'âme de la dispute entre gens bien élevés à la convocation au petit matin sur le Champs de Mars, comme à la grande époque?

En énième couteau de l'immobilier, porteur d'une haute idée de la fonction de journaliste, obscur chroniqueur à mes heures, je voulais écrire cela. Pas une leçon -l'ex enseignant que je suis aurait pu y succomber-, non, parce que je ne suis pas toujours glorieux et que je ne suis pas titré pour distribuer les indulgences. Un billet d'humeur. Même pas une chronique ni une anti-chronique. Un prurit du cœur et de l'esprit.

Henry Buzy-Cazaux