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Résidentialiser les bureaux pour résoudre la crise du logement

60 000 logements pourraient être construits dans bureaux vides

60 000 logements pourraient être construits dans bureaux vides - dr

Les économistes d’Immogroup Consulting estiment que 60 000 logements environ pourraient être construits en Île-de-France dans les quatre prochaines années dans des bâtiments tertiaires inoccupés.

Le ministère du Logement se tromperait-il de cible ? Dans sa dernière note de recherche (1), publiée cette semaine, le cabinet d’expertise Immogroup Consulting conseille à Cécile Duflot de laisser l’Eglise et les propriétaires de logements vacants de côté pour concentrer son attention sur « les millions de m² » d’immobilier d’entreprise actuellement vacants en Île-de-France, dont la « résidentialisation » pourrait aider à résorber la crise du logement qui frappe la région.

L’idée d’une reconversion des locaux tertiaires (bureaux ou entrepôts) inoccupés n’est pas neuve. Chère aux associations de défense des mal-logés, elle est régulièrement remise sur le devant de la scène par le collectif Jeudi noir, dont les occupations d’immeubles vides bénéficient généralement d’une large couverture médiatique. On se souvient notamment du squat du 22 avenue Matignon, dans le 8e arrondissement de Paris, qui s’était étalé sur plusieurs semaines début 2011 et avait valu aux « galériens du logement » le soutien appuyé de plusieurs personnalités politiques de l’opposition d’alors face à l’assureur AXA, propriétaire des lieux. Quelques mois plus tard, le député PS Christophe Caresche suggérait dans une proposition de loi finalement rejetée par l’Assemblée nationale, de taxer les bureaux laissés vides plus d’un an d’affilée, tandis qu’Europe Ecologie Les Verts (EELV), le parti de Cécile Duflot, l’actuelle ministre du Logement, promettait dans son programme pour la présidentielle d’aider à « la reconversion de bureaux en logements […] dans toutes les grandes villes ».

Rentabilité fiscale

Si, au cours des derniers mois, les associations n’ont pas manqué de déplorer le manque d’action du nouveau gouvernement sur le sujet, le rappel à l’ordre le plus virulent vient aujourd’hui d’Immogroup. Le cabinet connaît bien la question, puisqu’il lui a consacré pas moins de quatre études en près de trois ans. Début 2011 (2), Jean-Michel Ciuch et Evelyne Colombani, respectivement directeur général et directrice adjointe du cabinet, dénonçaient, déjà, « l’influence de l’immobilier d’entreprise dans le développement et l’aggravation des difficultés auxquelles est confronté le marché résidentiel  », principalement en Île-de-France. En cause, la préférence accordée depuis une dizaine d’années par les élus et les investisseurs à l’immobilier d’entreprise au détriment du logement, en raison d’une « rentabilité fiscale et financière attendue […] bien plus alléchant ». Les deux économistes calculaient alors, qu’au cours des années 2000, le parc francilien de bureaux avait crû « en moyenne de près de 1,9 % par an et celui des entrepôts de 7 % par an, quand le parc de logements [n’avait] guère progressé annuellement de plus de 0,9 % ». Des progressions déconnectées des besoins sur chaque segment, comme le prouvent, d’un côté, la forte baisse des prix de vente et loyers en immobilier professionnel neuf, signe d’une offre surabondate, et, à l’inverse, la nette hausse des prix et loyers résidentiels.

La nouvelle étude enfonce le clou, chiffres à l’appui. Colombani et Ciuch, qui affirment avoir compilé plusieurs « sources statistiques diverses, sérieuses et officielles, comme les chiffres du Grecam [société d´études et de conseil spécialisée dans l´immobilier, ndlr], du Capem [Centre d’analyses et de prévisions immobilières, ndlr], des notaires, de l’Insee ou encore de CB Richard Ellis », calculent ainsi que l’offre totale certaine et annoncée dédiée aux locaux de bureaux, d’activité et d’entrepôts excède les 10 millions de m² aujourd’hui et pourrait dépasser les 15 millions de m² dans quatre ans. Soit, à cet horizon, l’équivalent de 190 000 logements. « Bien entendu, une partie de cette offre finira par être louée ou vendue, explique Jean-Michel Ciuch. Par ailleurs, certains locaux sont impropres à l’habitation et ne peuvent pas être reconvertis ». En tenant compte de cela, les économistes estiment que l’excédent de m² en immobilier d’entreprise dans la région représentera « un gisement potentiel optimal d’au-moins 60 000 à 65 000 équivalents logements sous 4 ans ».

Niche fiscale

Soit une manne qu’il convient d’exploiter, poursuivent les économistes, en instaurant une série de « mesures fortes ». Immogroup suggère tout d’abord l’instauration systématique d’un quota de logements dans un certain nombre de projets d’immobilier d’entreprise, dont le non-respect de serait sanctionné par l’impôt. « Le gouvernement impose bien des quotas de logements sociaux dans les opérations de promotion de logements, on peut très bien imaginer la même chose avec des logements dans des programmes tertiaires », explique Jean-Michel Ciuch. Une autre proposition concerne l’imposition d’une mixité minimale logements-immobilier d’entreprise dans le patrimoine des investisseurs institutionnels – ceux-là même dont le ministère du Logement n’a eu de cesse de répéter au cours des derniers mois qu’ils étaient indispensables à la résolution de la crise du logement. Le retour de ces investisseurs pourrait en outre être favorisé par « la refonte des relations bailleurs-locataires », avec un assouplissement de l’encadrement des loyers au sein des programmes mixtes, ou via une exonération des plus-values immobilières. « Les pouvoirs publics ont accepté de maintenir les niches fiscales outre-mer et pour les résidences de service, je ne vois pas pourquoi ils ne feraient pas la même chose pour ceux qui défendraient une grande cause nationale comme la lutte contre le mal-logement », conclut l’économiste.

(1)Le scandale de l’immobilier d’entreprise dans un contexte de crise du logement (2) Crise du logement : la mise en accusation de l’immobilier d’entreprise

Emmanuel Salbayre