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Télétravail, crise sanitaire... Quel avenir pour les tours de bureaux de La Défense?

La Défense va devoir prendre en compte le télétravail

La Défense va devoir prendre en compte le télétravail - Martin Bureau - AFP

Avec ses 3,6 millions de mètres carrés de bureaux, La Défense est le premier quartier d’affaires d’Europe. Mais les salariés semblent de moins en moins friands de ces grandes tours et le développement du télétravail va obliger ce quartier à se réinventer.

Sur un territoire de 566 hectares, La Défense abrite près de 500 entreprises réparties dans 70 tours, 3,6 millions de mètres carrés de bureaux, 180.000 salariés dont 60% de cadres et 35.000 mètres carrés d’espace de coworking. La Défense est le premier quartier d’affaires d’Europe et le quatrième quartier d’affaires le plus attractif du monde selon une étude du cabinet d’audit et de conseil EY, en partenariat avec l’association internationale ULI (Urban Land Institute) et le GBD Innovation Club. Pour autant, son avenir pourrait sembler sombre. En effet, la crise sanitaire a mis en exergue une tendance de fond: le développement du télétravail et la réticence de plus en plus prononcée des salariés pour aller travailler dans ces grandes tours impersonnelles.

Pour Virginie Houzé MRICS, directeur études et recherche France de JLL, “on peut considérer que la période de confinement que nous venons de traverser est un catalyseur de tendances pré-existantes. Par exemple, le confinement va jouer un rôle dans l’évolution des mœurs autour du télétravail : les entreprises réticentes vont lui consacrer une place plus importante dans leur organisation”.

Saturation des transports en commun

D'autant plus que, "la distanciation sociale met surtout en lumière l’extrême densité du marché tertiaire de La Défense et accentue des problèmes déjà connus en matière de transports. Des expérimentations ont été menées avec des entreprises partenaires pour décaler les heures de travail et les flux d’arrivée. Si l’initiative est pertinente, elle se heurte malgré tout aux impératifs familiaux. Le télétravail reste une bonne réponse en limitant le nombre de voyageurs quotidiens et son déploiement par les entreprises contribuera à désengorger les transports".

Grégoire de la Ferté, directeur général adjoint bureaux IDF chez CBRE, réalise le même constat: “En l’espace de 2 mois, la période de confinement a fait évoluer les modes de travail de façon très importante. En temps normal, nous aurions dû attendre 5 à 7 ans pour arriver à un tel résultat”. Et il ajoute : “L’impact sur l’immobilier dépend surtout de l’acteur en question. Les grands groupes internationaux pour qui la part de télétravail était déjà actée ont simplement dû accentuer la tendance mais ce qui en découle en termes d’aménagement d’espaces était déjà pris en compte avec des bureaux dernières générations. En revanche, pour les entreprises de tailles plus intermédiaire (entre 2.000 et 10.000 m2 de bureaux) qui avaient pris du retard sur la mise en œuvre du télétravail et qui disposaient d’aménagements intérieurs vieillissant, elles auront l’opportunité de revoir leurs modes de travail et la conception de leurs bureaux pour les rendre plus agiles et en lien avec ce que vont être les modes de travail du futur”.

Le rôle toujours central des bureaux

Pour autant, les deux experts s’accordent à dire que les usages ne vont pas changer drastiquement. Sur le long terme, la proportion d’entreprises ayant un recours systématique au télétravail pourrait passer d’1 sur 4 à 2 sur 3 selon une étude JLL d’avril 2020. Il y a plusieurs explications. Tout d’abord, tous les salariés n’adhèrent pas à ce mode de travail. Grégoire de la Ferté affirme que “le changement est réel, il y aura un avant et un après Covid avec une tendance de fond qui est le recours au télétravail. Mais tout le monde s’accorde à dire que si c’est un souhait des entreprises, il faut également que ce soit un souhait des salariés”.

Virginie Houzé souligne également que “les salariés se sont rendu-compte des limites de l’exercice”. Ensuite, Virginie Houzé rappelle que nous travaillons, dans l’urgence, à la relance de l’économie. “Il est tentant d’affirmer que le monde post-Covid ne sera pas le même que celui qui l’a précédé. Toutefois, dans l’urgence de relancer la machine économique, il est également possible que le temps ne soit pas donné à la réflexion et à la réinvention et que les voies faciles et immédiates soient privilégiées. Les entreprises qui mèneront cette réflexion sur leur organisation et leurs usages au bureau auront certainement un temps d’avance sur les autres”.

L’idée pour l’avenir est donc une meilleure juxtaposition des deux usages, la présence au bureau et le télétravail. Pour Virginie Houzé, “le confinement a aussi eu pour effet de revaloriser l’importance et la place du bureau comme outil de travail et hub d’échange pour les salariés. Sur le long terme, le télétravail jouera un rôle comme un outil supplémentaire dans la panoplie des solutions immobilières aux côtés des bureaux”. Pour cela, les entreprises vont devoir passer au flex-office tout en respectant les règles sanitaires (utilisation d’un bureau pour la journée ou d’une station de travail pour un temps restreint).

Gestion des flux et de l’occupation des espaces

Et en cela, les deux experts estiment que La Défense a tout à fait son rôle à jouer. Tout d’abord, pour Grégoire de La Ferté, les entreprises auront toujours besoin d’un immeuble: “Plusieurs options s’offrent aujourd’hui aux entreprises : un site principal (siège social) souvent en périphérie associé à un flagship parisien qui joue un rôle de vitrine, un espace de rencontre, de réception et de représentation. Cependant nous ne croyons pas au remplacement du site unique par une entreprise qui fonctionnerait en réseau (multiplication de petits sites) car c’est l’équation économique qui tranche ce modèle. En effet, malgré l’intérêt et le concept qui prendrait tout son sens avec le Grand Paris Express, le coût d’exploitation serait trop important et la gestion des équipes dispersées difficile à gérer”.

Virginie Houzé souligne que “dans l’hypothèse d’exigences accrues sur la qualité des espaces, la technologie embarquée et l’hyper connectivité, le marché tertiaire de La Défense est finalement bien placé avec ses tours de dernière génération permettant le déploiement de technologies intelligentes et son hub de transports”. Et elle ajoute : “Les tours de dernière génération du marché de La Défense ont l’avantage d’être techniquement très performantes et de permettre de déployer des technologies de pointe, notamment dans la gestion des flux et de l’occupation des espaces, et des modes d’organisation très variés. A ce niveau, le marché de La Défense est très bien armé pour faire face aux changements qui se profilent”.

"Un rapport qualité/efficacité/prix inégalable"

Grégoire de La Ferté rappelle que “l’offre de transports du quartier de La Défense est en plein boom avec la livraison d’Eole (prolongement du RER E vers l'Ouest, NDLR) fin 2022 qui permettra de fluidifier le trafic. Le quartier de La Défense est le secteur géographique en Ile-de-France qui propose un rapport qualité/efficacité/prix inégalable. D’autant plus qu’il est le seul à pouvoir accueillir les plus gros volumes. Nous noterons aussi les efforts fait par La Défense pour améliorer l’expérience utilisateurs depuis plusieurs années (services, espaces verts, accès, mobilité…)”.

Même son de cloche du côté de Virginie Houzé: “En matière d’accessibilité, des efforts ont été faits pour faciliter l’accès au site par les piétons et les vélos en reconnectant le quartier d’affaires à son environnement urbain et par la création d’une piste cyclable à partir de Neuilly. Ces efforts se couplent également à un travail sur les espaces publics et sur le parvis de La Défense afin de contribuer à rendre le quartier plus vivant et attractif, en faire un lieu de vie et faciliter le travail hors du bureau. Ces démarches issues d’une réflexion de long terme avaient pour la plupart été lancées avant la crise et contribuent à la rénovation de l’image et de l’environnement du quartier d’affaires”.

D’ailleurs , preuve s’il en faut que les entreprises n’ont pas déserté le quartier, Magali Marton, Head of Research C&W France, constate qu’au 1er trimestre 2020, le taux de vacance reste bas à 5,5% et qu’il n’a pas bougé depuis. Pour rappel, Cushman & Wakefield constatait fin 2018 un taux de vacances de 5%.

Diane Lacaze