BFM Immo
Construction

Les habitants des grandes villes sont-ils responsables du manque de logements?

Le besoin de logements face aux polémiques locales

Le besoin de logements face aux polémiques locales - Franck Fife - AFP

Pour faire baisser les prix, les grandes villes auraient besoin de construire plus. Mais ce n'est pas toujours possible car les riverains bloquent de nombreux chantiers.

Impossible de faire baisser le prix des logements sans en construire de nouveaux: cette réalité se heurte à des blocages locaux à travers la France, sans qu'émerge un véritable discours pour encourager la construction. À la limite du cimetière du Père Lachaise à Paris, la mairie comptait construire quelque 80 logements sociaux sur un ancien terrain de sport public. Mais ce projet est au point mort face à la vive opposition de certains habitants qui en sont venus à cadenasser le terrain et à l'occuper physiquement.

"On nous avait annoncé un super projet social et environnemental", explique à l'AFP Pierre-Alexis Hulin, représentant des opposants. "On a vu la réalité: on avait zéro espace vert, les immeubles avaient poussé en hauteur... Ils avaient tout empilé." Pierre-Alexis Hulin, qui revendique une "radicalisation" au-delà du "légalisme", juge essentiel de préserver l'existence du terrain en tant que tel. "Ce quartier, qui n'est pas un quartier privilégié, vit bien parce qu'il y a une forme d'équilibre. On sait que c'est fragile", conclut-il, craignant que, sans le terrain, les jeunes aillent "zoner" ailleurs.

Des habitants stoppent un projet de tour à Clichy

La mobilisation a payé: après des années de tension, la municipalité a suspendu le projet au printemps 2019, un exemple de nombreux blocages qui ne se limitent pas à la capitale. Aux portes de Paris, à Clichy-la-Garenne (92), une tour devait accueillir de nouveaux logements derrière un monument historique des années 1930, la Maison du peuple. Là encore, des habitants s'y sont frontalement opposés, accusant le futur bâtiment de défigurer l'ensemble. Ils ont obtenu une victoire à l'automne 2019: le gouvernement a mis son veto au projet.

A Chatenay-Malabry (92), à 20 kilomètres au sud de Paris, une coalition d'habitants et d'urbanistes s'opposent à un projet de réhabilitation d'un quartier, la Butte Rouge, au motif qu'elle détruira en grande partie une cité emblématique de l'habitat social du début du XXe siècle. Plus au sud, à Cagnes-sur-Mer (06), une association de riverains remontant à 1958, ABCV, s'oppose régulièrement aux permis de construire accordés par la mairie, en particulier dans le quartier du "Val Fleuri", accusant le béton de prendre la place des pépiniéristes et des fleurs sous serre. "On n'a jamais réussi à bloquer un projet" mais "on réussit à limiter la hauteur", nuance auprès de l'AFP Chantal Bontoux, présidente de l'association, regrettant que "les immeubles (aient) poussé comme des champignons".

Qualité de vie, écologie et patrimoine

Ces cas témoignent des trois axes sur lesquels se cristallisent les oppositions locales aux projets de logement: la "qualité de vie", souvent mise en avant par les associations de riverains, l'écologie et la défense du patrimoine. Ces thématiques trouvent un vaste écho politique, à quelques mois d'élections municipales où de nombreux maires remettent leur mandat en jeu. A Paris, de multiples candidats promettent ainsi d'interrompre les grands projets de construction, déjà rares.

À l'extrême gauche, l'insoumise Danielle Simonnet assure que ces projets font fuir dans le même mouvement classes populaires et moineaux. L'écologiste David Belliard s'oppose de longue date au projet du Père Lachaise, au nom de la défense de la biodiversité. C'est aussi un cheval de bataille pour Pierre-Yves Bournazel (Agir, centre-droit), qui était candidat à la mairie de Paris avant de rallier le macroniste Benjamin Griveaux; il conteste notamment la construction de plusieurs tours de logements aux portes du XIIe arrondissement, à Bercy-Charenton. "Je milite depuis plusieurs années contre l'hyperdensification et le bétonnage", revendique Pierre-Yves Bournazel auprès de l'AFP.

Besoin criant de logements dans les grandes villes

Pourtant, le besoin de nouveaux logements est incontestable en France, du moins dans les grandes villes. D'un côté, les prix d'achat progressent depuis des années, en particulier à Paris où ils ont franchi le seuil des 10.000 euros le mètre carré. Parallèlement, la construction se replie depuis deux ans, en particulier celle des immeubles, le type d'habitat qui concerne le plus les grandes villes. "Je suis prêt demain à financer des logements à l'extérieur de Paris si des Parisiens sont prioritaires pour accéder à ces logements", répond Pierre-Yves Bournazel.

Construire, mais ailleurs: cette attitude est théorisée depuis plusieurs décennies dans le monde anglo-saxon par une expression, le plus souvent péjorative: "not in my backyard" (NIMBY). "Pas dans mon jardin". Il y a dans les grandes villes mondiales une "malédiction du nimbyisme" aux "conséquences terribles", jugeait au début des années 2010 l'économiste américain Edward Glaeser, l'une des références sur l'économie des villes, dans son ouvrage "Le Triomphe de la cité".

Pousser les élus à construire

Selon l'économiste, cette attitude revient à dévoyer le droit de propriété. Les opposants locaux n'exercent pas un blocage légitime sur leurs propres logements, mais sur des abords qu'ils ne possèdent pas, excluant de fait de potentiels nouveaux habitants. Face à ce constat, des mouvements locaux sont apparus ces dernières années aux États-Unis et au Canada, se revendiquant "pro-logement" et poussant les élus à construire.

La même chose arrivera-t-elle en France? Le président Emmanuel Macron avait promis un "choc d'offre" de logements au début de son quinquennat, mais peu de responsables politiques se saisissent ouvertement de ce discours, dans la majorité comme l'opposition. A Paris, la mairie socialiste suit une ligne étroite: elle défend ses quelque grands projets, mais se garde bien de promettre une flambée de construction. "Si on arrête de construire à Paris, cette ville mourra", admet Jean-Louis Missika, adjoint à l'urbanisme, auprès de l'AFP. Mais "je considère que Paris est une ville finie", enchaîne-t-il, jugeant essentiel de limiter à la périphérie les projets de tours et citant comme contre-modèle Londres où des centaines de projets de gratte-ciel ont été lancés ces dernières années.

Dans ce paysage politique, un député s'est distingué. Le macroniste Aurélien Taché a publié fin 2019 dans Les Echos - aux côtés de Jean-Philippe Ruggieri, directeur général du promoteur Nexity - une tribune favorable à "densifier" les villes, autrement dire construire plus. "Ceux qui défendent la qualité de vie ont une vision assez conservatrice en disant qu'il faut arrêter de construire: ils ne se préoccupent pas de ce que ça veut dire en matière d'accès au logement", regrette-t-il auprès de l'AFP. "C'est même une vision assez égoïste de vouloir se replier et limiter le nombre de personnes qui vont pouvoir accéder à un territoire." "On a un vrai danger que la construction devienne quelque chose qu'on ne puisse plus défendre", conclut-il. "C'est justement parce que ces idées sont en train de devenir impopulaires qu'il faut relever le flambeau. Jusqu'où on arrivera à aller? On verra."

Avec AFP

D. L.