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Airbnb gagne une bataille judiciaire qui fait trembler Paris, Berlin et Madrid

Airbnb remporte une victoire judiciaire de taille à l'échelle européenne

Airbnb remporte une victoire judiciaire de taille à l'échelle européenne - AFP

La justice européenne considère la plateforme de location saisonnière comme un service dépendant de la directive commerce électronique. Un premier domino qui pourrait en faire tomber d'autres et rendre caduques ou inapplicable les contraintes imposées à Airbnb par les villes qui veulent limiter sa présence.

A quelques mois des élections municipales de mars prochain en France, la mairie de Paris se serait bien passée d'une telle décision. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) vient en effet de donner raison à Airbnb, dans une affaire l'opposant à trois professionnels de l'hébergement (les deux sociétés Hotelière Turenne et Valhotel, ainsi que l'Ahtop – l'association pour un tourisme et un hébergement professionnels, l'une des principales fédérations du secteur). Ces derniers estimaient qu'Airbnb agit dans les faits comme un agent immobilier et devait donc respecter les mêmes règles, à savoir la loi Hoguet du 2 janvier 1970.

Or, la CJUE a tranché de façon définitive ce débat. Airbnb est "un service de la société de l'information" et dépend donc de la directive européenne sur le commerce électronique. Plus précisément, les activités de la plateforme américaine relèvent de la liberté de prestation de services prévue par la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique. Autrement dit, la loi Hoguet qui concerne les agents immobiliers français ne s'applique pas à Airbnb.

Mais quel est le lien entre cette décision et l'encadrement d'Airbnb défendu par la ville de Paris et d'autres grandes communes européennes comme Berlin ou Madrid? Pour le comprendre, il faut revenir sur les grandes batailles juridiques concernant Airbnb en France. En simplifiant, il y en a trois :
- Celle concernant la loi Hoguet et que la CJUE vient de trancher
- Celle concernant l'encadrement de la plateforme Airbnb prévu par la législation française (et renforcée par la loi Elan)
- Celle concernant les obligations qui incombent aux propriétaires qui louent leurs biens via Airbnb

De potentielles conséquences en cascade

Or, la première bataille remportée par Airbnb pourrait bien avoir des conséquences en cascade. En effet, il appartient désormais à la justice française de définir si l'encadrement de la plateforme Airbnb en France (comme l'obligation d'afficher les numéros d'enregistrement sur les annonces par exemple) est bien conforme au droit européen et à la directive sur le commerce électronique. Dans une affaire opposant cette fois-ci directement la ville de Paris et Airbnb, un jugement en référé du 5 mars 2019 avait débouté la mairie, notamment par manque de preuve. Un jugement cependant provisoire (il n'a pas "autorité de la chose jugée") dans le cadre d'une procédure d'urgence. Il reste désormais au juge du fond de se prononcer. Or, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris attendait la décision de la CJUE pour trancher.

Et il y a désormais de bonnes chances que, là encore, Airbnb, obtienne gain de cause. La législation française encadrant Airbnb en tant que plateforme est potentiellement fragilisée. En effet, l’application la plus utilisée pour les locations entre particuliers dépend de la directive commerce électronique, qui prévoit qu'une plateforme de ce type ne doit respecter que les règles du pays membre de l'UE dans lequel elle est implantée (en l'occurrence ici l'Irlande). Pas besoin donc de respecter de contraintes supplémentaires ensuite pour exercer son activité ailleurs en Europe.

La France n'a donc pas le droit d'imposer de règles particulières à Airbnb, comme nous l'expliquions déjà en juillet dernier, sauf dans certains cas très délimités par le droit européen : pour protéger l'ordre public ("en particulier la prévention, les investigations, la détection et les poursuites en matière pénale, notamment la protection des mineurs et la lutte contre l'incitation à la haine"), en faveur de la protection de la santé publique, pour la sécurité publique et pour la protection des consommateurs. Le droit français ne semble pas respecter ces exceptions à la lettre. C'est en tout cas ce que devra trancher le TGI de Paris, dans un jugement attendu pour l'été prochain ou la fin de l'année 2020.

Paris n'est pas la seule commune concernée. Toutes les villes européennes le sont. Car la justice de chaque Etat membre va maintenant devoir trancher pour savoir si les contraintes qui pèsent sur Airbnb localement sont bien compatibles avec la directive commerce électronique. Si Airbnb gagne cette nouvelle manche, Etat par Etat, aucune mesure la réglementant ne pourra plus s'appliquer en Europe. En France, la loi Elan, qui prévoit des amendes allant jusqu'à 12.500 euros par annonce non conforme (par exemple sans numéro d'enregistrement) pour les plateformes de location saisonnière qui les diffusent, sera alors caduque. De même pour l'obligation faite à Airbnb de transmettre aux communes le nombre de jours de location par logement avec des informations détaillées sur le propriétaire.

Et pour les propriétaires bailleurs ?

En revanche, cela ne préjuge pas d'une autre bataille juridique, qui oppose cette fois-ci la mairie de Paris à deux propriétaires, et qui a là aussi été portée devant la Cour de justice européenne. Ces derniers estiment que leur activité de loueur sur Airbnb dépend d'une autre directive européenne (la directive services 2006/123/CE du 12 décembre 2006). Si c'est le cas, les bailleurs n'auraient plus besoin par exemple d'autorisation de changement d'usage des locaux. La réglementation entourant Airbnb en France serait alors entièrement détricotée. Et chaque propriétaire fera comme bon lui semble avec son logement (à condition de bien tout déclarer au fisc). C'est pourquoi toutes les amendes infligées à des propriétaires en France ayant loué sur Airbnb sans respecter la loi sont gelées. Les tribunaux français attendent l'avis de la CJUE sur ce sujet.

En revanche, si ces deux propriétaires perdent devant la CJUE, nous serions alors dans une situation très bancale. Airbnb n'aurait plus besoin de respecter la réglementation française… mais les propriétaires qui louent sur la plateforme si. Ce qui compliquerait grandement la tâche des agents municipaux souhaitant identifier les fraudeurs. D'autant que ces derniers n'ont pas le droit de rentrer de force dans un appartement sans faire appel à un juge. En outre, le fisc ne transmet pas aux communes de données sur les revenus déclarés par les propriétaires. Les contraintes pesant sur les propriétaires, bien que toujours en vigueur, deviendraient alors dans la pratique quasiment inapplicables.

Airbnb, lui, veut jouer la carte de l'apaisement après cette première victoire d'ampleur. La plateforme prône régulièrement le dialogue avec les élus locaux pour trouver un terrain d'entente. Pas sûr que la campagne électorale qui débute y soit propice.

Jean Louis Dell'Oro