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Cette révolution qui se prépare sur les données de performance énergétique des immeubles

La data immobilière sur les performances énergétiques va connaître un grand bond en avant

La data immobilière sur les performances énergétiques va connaître un grand bond en avant - Geralt / Pixabay

L'arrivée d'un nouveau DPE et d'un carnet d'information du logement vont grandement affiner les informations disponibles sur les consommations d'énergie des bâtiments. Un enjeu crucial, alors que la rénovation des logements et des bureaux s'accélère.

Avec la numérisation de l'économie, la course aux données a pris une ampleur inégalée ces dernières années. En parallèle, les contraintes réglementaires se durcissent rapidement pour faire baisser les émissions de CO2. Le secteur immobilier, longtemps à la traîne en matière de data, se trouve désormais à la croisée des chemins de ces deux phénomènes. Et si elle passe relativement inaperçue, une révolution se prépare.

Il faut dire que le secteur recèle un potentiel énorme d'économies d'énergie. Sans même compter la construction, le secteur résidentiel et tertiaire pesait en 2017 pas moins de 28% des émissions de gaz à effet de serre de la France, selon le rapport 2020 de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) du ministère de la Transition écologique. Des données qui prennent en compte les émissions liées à la production d’énergie consommée dans les bâtiments. "Ces émissions ont légèrement baissé entre 1990 et 2017 (-3,1 % sur la période) résultant d’une baisse des émissions du résidentiel d’environ -14%, tandis que celles du tertiaire ont augmenté de +19 % sur la période (avec néanmoins une baisse observée depuis 2015)", notait ce rapport. Mais le secteur reste l'un des plus gros contributeurs aux émissions françaises.

L'objectif du gouvernement est donc de réduire de 49% ces émissions en 2030 par rapport à 2015, avant d'atteindre une neutralité carbone à l'horizon 2050. Avec le plan de relance, l'exécutif a passé une voire plusieurs vitesses dans le résidentiel via MaPrimeRénov', un dispositif d'aide pour financer la rénovation des logements. Depuis janvier, 300.000 dossiers MaPrimeRénov' ont été déposés, selon le dernier pointage du gouvernement. D'ici à la fin de l'année, il pourrait y en avoir près de 800.000, contre près de 200.000 en 2020. Le mouvement devrait encore se renforcer, alors que les propriétaires bailleurs y seront éligibles dès le mois de juillet prochain.

La data, un trou dans la raquette

Les autres types de bâtiments ne sont pas en reste. Dans le plan de relance, 4 milliards d'euros sont aussi prévus pour la rénovation énergétique des bâtiments publics (lycées, casernes, sites administratifs…). Pour le tertiaire (bureaux, commerces et entrepôts), les obligations se renforcent drastiquement avec le "décret tertiaire" ou plus précisément le décret du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire. Les objectifs : -40% de consommation d'énergie finale en moins d'ici 2030 (par rapport à 2010 ou une année de référence postérieure à 2010) puis -50% d'ici 2040 et -60% d'ici 2050.

Restait pourtant un énorme trou dans la raquette: la data. Comment évaluer les performances énergétiques des bâtiments et leur évolution? Certes, la mise en place en 2006 du diagnostic de performance énergétique (DPE) a été une avancée notable. Mais sa méthode de calcul a toujours posé problème, car elle dépend de la date de construction et dans certains cas de l'analyse de la consommation réelle. C'est ce qu'on appelle la méthode "sur facture". Un même logement, selon que son habitant chauffe à 25 ou à 19 degrés en hiver, n'affichait ainsi pas le même DPE. Autre problème, en l'absence de factures disponibles, le DPE pouvait même être "vierge", autrement dit sans étiquette (ce qui arrivait dans 20% des cas selon le ministère de la Transition écologique). Mais le DPE va subir un lifting de taille le 1er juillet prochain.

À compter de cette date, exit la méthode sur facture. Le DPE s’appuiera "uniquement sur les caractéristiques physiques du logement comme le bâti, la qualité de l’isolation, le type de fenêtres ou le système de chauffage", précise le ministère. "De plus, la nouvelle méthode intègre de nouveaux paramètres qui fourniront une évaluation plus représentative de la performance du bâtiment: consommations énergétiques en matière d’éclairage et d’auxiliaires, mise à jour des scenarii météorologiques, prise en compte des équipements les plus récents ou encore calcul thermique amélioré", ajoute le ministère.

Interdiction progressive des locations de passoires thermiques

Le tout sera résumé en 3 éléments: une étiquette pour la performance énergétique, une étiquette climat (avec le détail des émissions de gaz à effet de serre liées au logement) et une estimation du montant moyen des factures énergétiques. En outre, le DPE va devenir opposable comme les autres diagnostics obligatoires (plomb, amiante, etc.). Enfin, l'interdiction progressive à la location des logements en fonction de leur DPE (les logements classés E à G sont concernés) est prévue à partir de 2025 par le projet de loi Climat. Une idée qui fait d'ailleurs son chemin chez les Français. Dans une étude réalisée par Immonot en avril à partir d'un panel de 1.882 personnes, 47% des sondés pensent ainsi qu'il faut inciter voire contraindre les Français à améliorer les performances énergétiques de leur logement.

La France compte 4,8 millions de logements très énergivores, aussi qualifiés de "passoires thermiques" (classées F ou G au titre du DPE), selon les derniers chiffres publiés par le service des données et études statistiques (SDES). Mais ces données ne sont disponibles que département par département, sans plus de granularité.

Si la fiabilité du DPE va faire un grand bond en avant, l'historique de la performance énergétique et des éléments liés va aussi passer un cap. Aujourd'hui, un tel historique n'existe tout simplement pas. Vous ne pouvez pas savoir si votre logement classé B par exemple était classé F avant une rénovation intervenue il y a quelques années. Or, les députés ont ajouté au projet de loi Climat un article pour mettre en place un "carnet d'information du logement" qui doit entrer en vigueur en 2022.

Un carnet d'information pour suivre l'historique du logement

Il s'agit de "faciliter" et "accompagner les travaux d’amélioration de la performance énergétique du logement ainsi que l’installation d’équipements de contrôle et de gestion active de l’énergie". Ce carnet sera établi dès la construction du logement ou "à l’occasion de la réalisation de travaux de rénovation d’un logement existant ayant une incidence significative sur sa performance énergétique". Ce document devra être mis à jour par le propriétaire du logement, notamment sur la base des éléments fournis par les professionnels du bâtiment. "Pour les travaux de rénovation énergétique (…), le carnet d’information du logement comporte les dates et la description des travaux ainsi réalisés", prévoit le texte, encore en discussion au Parlement. Ce carnet sera transmis à l'acquéreur lors de la vente du logement. Ainsi, par exemple, le remplacement d'un chauffe-eau ou l'isolation des combles permettant d'améliorer la performance énergétique devraient ainsi se retrouver dans ce document.

"L'idée de ce carnet d'information remonte en fait à la loi de Transition énergétique de 2015, mais il n'y avait jamais eu de décret d'application. Il a fait son retour dans la loi Elan de 2018 avant d'être de nouveau abandonné puis de revenir finalement dans ce projet de loi Climat", rappelle Bertrand Leclercq, directeur de la stratégie numérique de Qualitel, une association indépendante dont la mission est de promouvoir la qualité de l’habitat par la certification. Cette fois-ci semble être la bonne. "Le carnet d'information et le nouveau DPE vont permettre de mieux cibler les logements à rénover", estime Bertrand Leclercq.

D'ailleurs, Qualitel n'a pas attendu l'évolution réglementaire pour accumuler des données sur les performances énergétiques. Chaque année, via sa marque NF Habitat, Qualitel certifie près d'un logement neuf sur deux dans le parc collectif. Et depuis son lancement en 2015, NF Habitat a certifié 3 millions de logements en France. "Nous auditons les clients pour vérifier qu'il n'y a pas d'écart avec les performances attendues et nous collectons beaucoup de données différentes à cette occasion", détaille Bertrand Leclercq. Or, selon les données de Qualitel, analysées grâce à la plateforme analytique Qlik, environ 20% des problèmes de non-conformité qui remontent concernent la performance énergétique.

En parallèle, Qualitel publie chaque année son état des lieux du logement des Français, dont la dernière édition vient d'être publiée. Il s'agit d'une enquête réalisée par Ipsos pour Qualitel du 23 mai au 26 juillet 2019. 75 enquêteurs ont visité 1000 logements représentatifs du parc de logements français (maison/appartement, statut d’occupation et période de construction). Une centaine de critères ont ainsi été évalués par les enquêteurs, de la hauteur du plafond à la présence de toilettes séparés. Selon les données recueillies, 100% des logements récents disposent d'une isolation thermique intérieure et/ou extérieure. Mais on apprend que c'est seulement le cas de 68% des immeubles construits entre 1945 et 1979, de 73% des habitations datant d'avant-guerre ou de 86% des logements bâtis de 1980 à 2009. Il y a donc encore beaucoup de marge.

NamR à la conquête de la Bourse

"C'est pratiquement impossible de retrouver l'historique des performances énergétiques d'un immeuble", confirme Delphine Merle, cofondatrice de White Bird, un syndic et gestionnaire de biens qui dispose de 200 immeubles en portefeuille. "Il faut mettre en place aujourd'hui les bons outils pour analyser les performances énergétiques. Nous par exemple, nous sommes en train de mettre en place un système d'alerte automatique pour détecter les anomalies de facture, ce qui permet de repérer des fuites d'eau ou des consommations électriques excessives", détaille-t-elle.

"La rénovation dans les copropriétés, c'est l'occasion aussi pour nous de mettre en avant notre savoir-faire en matière d'accompagnement. Récemment, à l'occasion d'un ravalement de façade, on en a profité pour refaire les huisseries extérieures. Cela nous a permis d’avoir des synergies notamment grâce à la mutualisation des coûts d’échafaudage et d’installation de chantiers qui sont souvent significatifs". Les syndics de copropriété auront donc aussi un rôle crucial à jouer dans les années à venir.

Certains acteurs ont bien compris l'enjeu crucial de la donnée en immobilier. Ainsi, la société NamR, créée en 2017 et qui va s'introduire en Bourse, permet pour les professionnels (gestionnaire de biens, foncières, collectivités…) d'obtenir des données précises sur les caractéristiques d'un bâtiment à partir de sa localisation, notamment en matière de performance énergétique. "Une simple adresse permet à NamR d’émettre des suggestions de potentiels travaux de rénovation/modifications/améliorations énergétiques (sur la base de la vétusté du toit par exemple)", détaille le groupe dans son document d'information en vue de son arrivée sur les marchés. La société développe ainsi des outils "permettant de calculer le potentiel solaire, la consommation énergétique ou encore des potentiels de rénovation énergétique" bâtiment par bâtiment. NamR espère lever jusqu'à 8 millions d'euros et devenir à terme un champion européen. Le monde de la data immobilière sur les performances énergétiques est promis à une croissance fulgurante dans les prochaines années.

Jean Louis Dell'Oro