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François de Rugy a-t-il bénéficié d'un logement social auquel il n'avait pas droit?

François de Rugy

François de Rugy - AFP

Le ministre se défend d'avoir loué indûment un logement social. Qu'en est-il réellement ? Décryptage.

Le ministre de la Transition écologique François de Rugy est en pleine tempête médiatique et politique, après les nombreuses révélations de Médiapart cette semaine. Outre l'organisation de dîners somptuaires et la rénovation de son appartement de fonction à grands frais, l'ancien président de l'Assemblée nationale est accusé d'avoir profité indûment d'un "logement à vocation sociale". En réalité, il s'agit d'un appartement loué en Scellier, ce qui n'a absolument rien à voir avec un logement HLM. Explications.

Le "Scellier", du nom du député François Scellier qui avait déposé un amendement en ce sens dans le cadre d'une loi de finances rectificative, est un dispositif fiscal d'aide à l'investissement locatif dans le neuf qui a été mis en place du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2012. S'il a été remplacé depuis par le "Duflot" (de 2013 à 2014) puis par le "Pinel" (depuis 2015), ce dispositif a encore des conséquences aujourd'hui car il s'applique sur plusieurs années (de 9 à 15 ans). Ainsi, un Scellier mis en place en 2010 par exemple, pourra permettre à son propriétaire d'obtenir une réduction d'impôt jusqu'en 2019 (ou plus précisément au titre de ses revenus de 2019) dans le cadre d'un dispositif Scellier classique (9 ans) ou jusqu'en 2025 pour un Scellier dit "intermédiaire" (15 ans au maximum). Pour un Scellier intermédiaire, "le bailleur s’engage alors à louer son logement à des locataires sous conditions de ressources et à respecter des plafonds de loyers (plus contraignants que ceux du dispositif "Scellier")", résume l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil) ici.

Un 48 m2 près de Nantes

Dans le cas qui nous intéresse ici, François de Rugy loue depuis 2016 un appartement à Orvault, une ville de 26.000 habitants limitrophe de Nantes en Loire-Atlantique. "L’appartement, un T2 de 48 m², a été acheté dans le cadre du dispositif d’investissement locatif Scellier social (dit "intermédiaire"), qui ouvrait droit, avant sa suppression, à une réduction d’impôt de 18 % sur les logements loués à des prix inférieurs au marché", explique Médiapart. Or, "le plafond de revenus des baux conclus en 2016 était de 34.790 euros", tandis que François de Rugy, qui est à l'époque député de Loire-Atlantique, affiche "des revenus imposables de 47.958 euros en 2014", toujours selon Médiapart.

Sur Facebook, François de Rugy s'est vivement défendu sur ce logement. "Je fais l’objet ce soir d’une nouvelle attaque de Médiapart, cette fois-ci sur l’appartement que je loue à Orvault, près de Nantes, depuis trois ans, où j’accueille mes enfants lorsque j’en ai la garde le week-end : un deux pièces de 48 mètres carré, loué au prix de 622€ par mois (appartement et parking), un montant conforme aux prix du marché. J'ai loué cet appartement à la suite d’une séparation intervenue en juillet 2016. Médiapart affirme qu’il s’agit d’un "logement à loyer social préférentiel", en s’appuyant sur certains témoignages. Cette information, si elle est avérée, je n’en n’ai moi-même jamais eu connaissance. Je le prouve, une nouvelle fois dans la plus grande transparence, en publiant ici l’ensemble de mes échanges d’emails avec l’agence immobilière ainsi que mon bail locatif, dans lesquels il n’est jamais fait mention d’un quelconque "loyer social préférentiel"", détaille ainsi le ministre. Sur BFMTV-RMC, le ministre s'est même dit "victime d'une tricherie du propriétaire et de l'agence immobilière".

De son côté, le propriétaire du logement a assuré à Médiapart que "le dossier rempli par François de Rugy était conforme lors de son entrée dans le logement". Interrogé par Ouest France, un responsable du Crédit Agricole Immobilier (qui détient l'agence de location Square Habitat avec qui le bail a été signé) enfonce le clou. Les revenus du député étaient deux fois moins élevés, toujours selon ce responsable, que le plafond de revenus de l'époque. Ensuite, une fois dans le logement, la loi n'impose pas de changer de locataire si ce dernier finit par dépasser les plafonds de revenus.

Des loyers au prix du marché

Alors, qui a raison ? Déjà, soyons clair, il ne s'agit en aucun cas d'un logement social. Les loyers sont limités mais beaucoup plus proches des prix du marché que dans un HLM (les plafonds sont même parfois au-dessus des prix du marché) et il n'y aucune commission d'attribution du logement. Il s'agit d'un contrat de location entre un bailleur privé et un locataire, comme pour n'importe quel locataire du parc privé.

En ce qui concerne les plafonds de ressources pour pouvoir en bénéficier, le bulletin officiel des Finances publiques (Bofip) précise que, en zone B1 (ce qui est le cas d'Orvault), il fallait en 2016 ne pas dépasser 34.790 € pour une personne seule. Mais, ce plafond de revenu fiscal de référence (RFR) était fixé à 74.016 euros pour une personne seule avec deux enfants à charge. Or, François de Rugy a deux enfants. Il pouvait donc en théorie effectivement prétendre à ce type de logement. Mais Médiapart assure que depuis sa séparation d'avec son ancienne conjointe (intervenue avant qu'il n'emménage), François de Rugy n'avait pas d'enfant à charge. C'est difficile à dire car tout dépend des choix faits par les anciens conjoints, notamment en matière de garde. Ensuite, c'est le RFR de l'année n-2 (donc ici de 2014) qui faisait référence, quand le couple était encore ensemble. En outre, il y a toujours un décalage d'un an entre l'année d'une séparation et la déclaration de revenus (dans laquelle on déclare à l'administration un changement de situation familiale pour calculer notamment les parts fiscales). D'ailleurs et de façon un peu étrange, dans un autre article publié ce vendredi, Médiapart indique finalement qu'il avait... bien le droit de louer cet appartement car son entrée dans les lieux dépendait de sa situation en 2014. "D’un strict point de vue du droit, ce hiatus fiscal permet à l’agence immobilière de lui proposer ce logement", explique le média.

Concernant les plafonds de loyers hors charges, ceux-ci étaient en zone B1 en secteur intermédiaire de 12,86 euros par m2 pour les baux conclus en 2016 (si l'investissement avait été fait par le propriétaire entre 2009 et 2010) ou de 11,01 euros par m2 (si l'investissement avait été fait en 2011 ou après), comme le détaille le Bofip ici. Soit pour un 48 m2, un plafond de loyer mensuel hors charge maximum de 528 euros ou de 617 euros. Dans les documents diffusés par François Rugy pour se défendre, il est indiqué que le loyer hors charge était de 541 euros (avec 55 euros de charges). Le bailleur était donc bien dans les clous si son investissement datait initialement d'avant 2011. Avec la revalorisation des loyers, nous arrivons donc à 622 euros aujourd'hui (charges comprises visiblement). A titre de comparaison, selon les données de Clameur, les loyers de marché (en 2017) pour Orvault était de 10,9 euros par m2 pour un deux pièces (hors dispositifs particuliers comme un Scellier). Soit 523 euros (hors charges) pour un appartement de 48 m2. Bien sûr, comme toujours avec l'immobilier, tout dépend de l'emplacement du bien. Mais, en tout état de cause, le loyer payé par François de Rugy est en ligne avec ceux du marché. Il n'a donc pas bénéficié d'un avantage particulier en termes de loyer.

Une résidence principale ?

Il existe néanmoins quelques doutes sur certains points de sa ligne de défense. Car, un Scellier ne peut être loué qu'en tant que résidence principale. Ne pas respecter cette condition est même un motif de redressement fiscal pour le bailleur (avec pertes d'une partie des avantages fiscaux pour le propriétaire), comme le précise le Bofip ici. Reste qu'il est impossible de savoir si le député a déclaré ce logement comme résidence principale sans avoir sa déclaration d'impôt.

Ensuite, il est peu probable (mais pas impossible) que le fait qu'il s'agisse d'un Scellier n'ait pas été mentionné dans le contrat de location. D'ailleurs, dès le pré-contrat de location diffusé par le ministre (et non le contrat de location en tant que tel), il est bien indiqué que "dans le cas où le logement est soumis à une loi de défiscalisation, le candidat locataire doit satisfaire aux conditions de ressources imposées par la loi en ne dépassant pas le plafond de revenus fixé. Revenu net fiscal de référence (N-2)". Mais il semble s'agir ici d'une formule type inscrite par l'agence de location.

Jean Louis Dell'Oro