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L'état des lieux du logement indigne en France, un an après l'effondrement d'immeubles à Marseille

Le drame de la rue d'Aubagne le 5 novembre.

Le drame de la rue d'Aubagne le 5 novembre. - Loic Venance - AFP

Le 5 novembre 2018, deux immeubles mitoyens s'effondrent à Marseille. Un troisième, muré, tombe quelques heures plus tard. Des drames qui auraient pu être évité.

Le 5 novembre 2018, des immeubles s'écroulent comme un château de cartes au coeur de Marseille. Huit personnes meurent, des milliers doivent être évacuées. Un an plus tard, l'enquête révèle un drame du logement insalubre largement prévisible.

C'était un lundi. Une pluie diluvienne s'abattait depuis plusieurs jours. À 09H05, deux immeubles mitoyens s'effondrent: le 65 rue d'Aubagne, avec une partie de ses habitants et le 63, à l'abandon depuis des années. Un troisième, le 67, muré, tombe quelques heures plus tard. A la main, les sauveteurs mettront cinq jours pour sortir des gravats les corps de cinq hommes et trois femmes.

Un drame prévisible

Sous le choc, des locataires rescapés de la copropriété privée du 65 s'insurgent contre une catastrophe selon eux évitable au vu des multiples signalements sur le délabrement des bâtiments. Murs qui bougent et se fissurent, portes d'entrée qui ne ferment plus, eau qui suinte dans les appartements, stagne dans les arrière-cours et les caves: le rapport d'expertise remis aux trois juges d'instruction et que s'est procuré l'AFP est accablant. "Tous les experts (...) intervenus depuis 2005 avaient unanimement signalé la gravité de la situation", souligne ce document. "De 2005 à 2018, l'aggravation des désordres avait conduit en différentes occasions à leur signalement, tant auprès des intéressés concernés (syndic-propriétaires) qu'auprès des services de sécurité de la ville de Marseille, sans qu'aucune action technique, efficace et adaptée à la gravité évidente de la situation (...) ne soit finalisée", enfonce-t-il.

La dernière alerte est lancée seulement deux semaines avant les effondrements meurtriers. Le 18 octobre, les habitants du 65 sont évacués à la hâte car une cloison du hall d'entrée gonflée par l'eau menace de céder. Le premier étage fait alors l'objet d'un nouvel arrêté de péril imminent comme en 2017 avec interdiction d'y habiter. Les locataires des étages supérieurs sont invités à regagner leurs logements. Un arrêté municipal préconise une série de travaux d'urgence à réaliser avant le 9 novembre. "Ne t'inquiète pas maman, on nous a assuré qu'on était en sécurité", dit Julien, un jeune locataire franco-péruvien à sa mère. "J'ai peur", dans cet immeuble, écrira pourtant Simona, étudiante italienne, dans un texto à sa voisine deux jours avant l'effondrement. Ils mourront tous les deux.

Une enquête longue

"L'urgence, plusieurs fois soulignée et signalée de mettre en oeuvre des travaux réparatoires (...) n'a pas été prise en considération", tranche le rapport d'expert. Il reproche aux différents acteurs --syndics, propriétaires, services municipaux-- d'avoir poursuivi "des conflits juridiques" pour se rejeter la responsabilité.

Une attitude qui pourrait perdurer jusqu'au procès, selon les avocats. L'enquête ouverte pour "homicides involontaires aggravé par manquement aux obligations de prudence ou de sécurité" promet d'être longue, "cinq ans minimum", prédit Me Brice Grazzini, avocat de trois familles endeuillées. "Il y a eu de l'indifférence à tous les échelons et c'est gravissime", estime Me David Metaxas, qui défend le frère de Marie Blanc, une artiste-verrière de 55 ans morte dans les effondrements. "En fait on s'en moquait de ces immeubles modestes avec des gens modestes dedans", ajoute-t-il. Comme nombre d'habitants de la tour de logements sociaux Grenfell à Londres où plus de 70 personnes sont mortes dans un incendie en 2017, les résidents de Noailles ont accusé la mairie d'abandonner les plus pauvres.

Des "marches de la colère" ont réuni des milliers de personnes dans une ville marquée par de profondes inégalités, le taux de pauvreté variant de 54% dans le 3e arrondissement à 11% dans le 8e avec ses luxueuses résidences fermées. Dans un premier temps, le maire Les Républicains Jean-Claude Gaudin, aux manettes depuis 24 ans, avait dit "ne rien regretter" sur l'action de ses équipes contre l'habitat indigne. Aujourd'hui, il confie à l'AFP que "le drame et les huit personnes décédées le 5 novembre 2018 constituent une véritable tragédie". "Cette catastrophe inimaginable me hante tous les jours", poursuit-il.

Des immeubles sans fondation?

Deux experts qui ont accompagné, fin novembre 2018, le ministre du Logement Julien Denormandie dans une visite du site où les immeubles se sont effondrés à Marseille , avaient estimé qu'il fallait étudier une possible défaillance des sols, qui pourrait expliquer le drame. "La durabilité des immeubles n'est pas en cause", avait déclaré à la presse Charles Baloche, directeur adjoint du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), l'un des experts envoyés par Paris pour déterminer les causes des effondrements et évaluer l'état des immeubles voisins.

Construits au XVIIIe siècle dans le quartier populaire de Noailles, au centre de Marseille, les immeubles qui se sont effondrés le 5 novembre sont "sans fondation, avec des murs directement déposés sur le sol", avait précisé l'expert: "Ce mode de construction suppose qu'aucun élément ne soit en position de faiblesse. Si un mur porteur est défaillant, soit par lui-même, soit par le sol, l'effondrement est garanti". Et il poursuivait: "Si la maçonnerie est sèche (...) normalement, il n'y a pas de problèmes. On en déduit que le problème vient du sol", soit qu'il soit de mauvaise qualité, soit à cause d'un excès d'eau dû à "des canalisations rompues" ou "des eaux de ruissellement qui ne sont pas canalisées comme il convient".

Seulement 17 millions d'euros débloqués pour Marseille

L'État aura engagé, d'ici la fin de l'année, 17 millions d'euros pour la rénovation de Marseille, sur les 240 millions promis sur 10 ans par le ministre du Logement après les effondrements meurtriers.

Interrogé sur Europe 1 lundi, Julien Denormandie a annoncé la création d'une société de rénovation de l'habitat à Marseille, dont l'État sera actionnaire. "Cette structure ne fera que ça: racheter des immeubles insalubres, les rénover et les remettre sur le marché", a détaillé le ministre.

1,3 million de logements à risque en France

Dans une tribune, des personnalités comme le rappeur Soprano, le cinéaste Robert Guédiguian et Xavier Emmanuelli, cofondateur de Médecins sans Frontières, dénoncent en février une "catastrophe honteuse dans la deuxième ville de France, aujourd'hui capitale de l'indignité". Ils réclament "un plan extraordinaire contre le mal-logement". À Marseille, 100.000 personnes vivent encore dans "des taudis" et sur la France entière ils sont 1,3 million dans "des logements qui menacent leur santé et leur sécurité", selon la Fondation Abbé Pierre.

"A ce jour, la ville de Marseille a déjà engagé plus de 14 millions d'euros pour la gestion de cette crise", se défend Jean-Claude Gaudin. Au total, depuis le 5 novembre, plus de 3.000 personnes ont été évacuées dans toute la ville par principe de précaution de 356 immeubles en mauvais état. Aujourd'hui, 1.000 d'entre eux ont réintégré leur logement, 1.700 ont été relogés et 300 sont encore à l'hôtel, selon la mairie.

Création d'une police spéciale du logement

En juin dernier, soit 7 mois après le drame, le Sénat a adopté, en première lecture, une proposition de loi du sénateur des Bouches-du-Rhône Bruno Gilles (LR) pour "améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux", qui propose la création d'"une police spéciale du logement". La texte propose notamment la création d'une "police spéciale du logement", qui traitera selon "une procédure identique" l'ensemble des cas de logements dégradés, qu'il s'agisse d'immeubles en péril ou d'immeubles insalubres. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La lutte contre l'habitat insalubre est une compétence qui relève du préfet, tandis que la procédure de péril dépend du maire.

Le volet "prévention" rend obligatoire la réalisation du diagnostic technique global (DTG) pour les copropriétés de plus de 15 ans. Il propose que les syndics puissent signaler, comme c'est déjà le cas pour les immeubles manifestement indignes, les cas d'immeubles insalubres, dangereux ou non décents, sans qu'on puisse leur opposer le principe de confidentialité.

Avec AFP

Diane Lacaze