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Immobilier

Le logement, le grand absent du grand débat national

Le thème du logement est pour l'instant très peu présent dans le grand débat national

Le thème du logement est pour l'instant très peu présent dans le grand débat national - AFP

Très peu de contributions en ligne au grand débat concernent pour l'instant le logement. Mais les principaux acteurs du secteur s'organisent.

Qu'est-ce qui représente l'un des besoins les plus vitaux des Français, pèse près d'un quart de leur budget, fait généralement l'objet de vifs échanges et est pourtant quasiment absent du grand débat national pour l'instant ? Le logement. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le thème de l'immobilier est le grand oublié de la consultation lancée par le gouvernement le 15 janvier dernier et dont les débats doivent se clôturer le 15 mars prochain.

Les sujets ne manquent pourtant pas ! Loyers trop chers, prix à l'achat qui s'emballent dans les grandes villes, étalement urbain, hausse continue des taxes et des impôts pour les propriétaires, copropriétés en difficulté, habitat indigne… Pourtant, d'après notre décompte sur le site officiel du grand débat, le nombre de contributions sur ces points est famélique. Nous avons cherché les propositions des citoyens qui contenaient les termes "immobilier", "logement", "loyer", "Pinel" et "HLM". Les résultats sont sans appel. Alors que le site officiel dénombre plus de 140.000 contributions, seulement 468 d'entre elles contiennent le mot "logement" (soit 0,33% des contributions), 163 le mot "immobilier" et 125 le mot "loyer". Et encore, une proposition peut contenir plusieurs de ces mots clés. Ce n'est certes pas nécessairement représentatif des débats physiques, mais c'est loin d'être anecdotique.

Il faut dire que les orientations choisies par le gouvernement pour ce débat évoquent à peine le problème du logement. Certes, dans sa lettre aux Français, le président Emmanuel Macron le mentionne. "Quelles sont les solutions pour se déplacer, se loger, se chauffer, se nourrir qui doivent être conçues plutôt au niveau local que national ?", interpelle ainsi le président. Mais comment en parler quand les 4 thèmes choisis sont "la transition écologique", "la fiscalité et les dépenses publiques", "la démocratie et la citoyenneté" et "l'organisation de l'Etat et des services publics" ? L'immobilier semble n'entrer pleinement dans aucune de ces cases. "Emmanuel Macron sait que c'est un sujet explosif. Ce n'est pas un oubli", estime Eddie Jacquemart, président de la Confédération nationale du logement (CNL). "Le gouvernement n'a pas du tout porté le sujet et ne veut pas revenir sur ses réformes", confirme Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.

Les organismes HLM critiquent l'action du gouvernement

Interrogé par Batiactu à ce propos, le ministre du Logement Julien Denormandie jure qu'il n'y a pas d'esquive sur le logement. "C'est par définition des moments de partage et d'échange. Le logement est une grande préoccupation pour une grande partie de nos concitoyens, et il sera évidemment abordé", a-t-il souligné.

En attendant, les principaux acteurs du secteur commencent à s'organiser pour que l'immobilier ne passe pas à la trappe. L'Union sociale pour l'habitat, qui représente près de 720 organismes HLM, vient de sortir une note pour l'occasion soulignant l'importance du logement social. "Défendre le logement social, penser à son avenir, c’est penser à l’avenir de toutes celles et ceux qui un jour pourraient en avoir besoin", assure l'Union sociale pour l'habitat dans cette note. Avec au passage, une critique ouverte à l'égard de la politique menée par le gouvernement, qui a réduit les APL et exigé des économies de la part des organismes HLM. "En clair, les organismes HLM perdent 800 millions de ressources, l’État économise une dépense de 800 millions et rien ne change, ou presque, pour les locataires", fustige l'USH.

Du côté des promoteurs immobiliers, on s'inquiète également, alors que les mises en chantier ne cessent de baisser (-7% en 2018). La Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), qui regroupe les acteurs de la construction de logements collectifs (mais pas ceux du logement social ni ceux des maisons individuelles), milite pour une politique de "logements abordables". Or, "les ventes fléchissent non pas faute d’acheteurs, mais d’une offre diversifiée et accessible, et aucun signe ne permet d’espérer une inversion de tendance : nous allons durablement subir une forme de pénurie, qui risque de se traduire par de nouvelles tensions sur les prix", estime la FPI dans un communiqué. La fédération dénonce notamment "les difficultés croissantes que rencontrent ses adhérents" pour obtenir des permis de construire, "des difficultés pour monter les projets" avec un foncier "trop rare et trop cher" ou encore la "forte augmentation des coûts de construction".

"C'est le retour de Madame Thatcher"

"Le nouveau monde de Macron sur le logement social, c'est le retour de Madame Thatcher. Le privé ne peut pas prendre le relais du public. Ça ne marche pas", tacle Eddie Jacquemart. "Il faut parler des locataires qui vivent de plus en plus mal, des loyers chers, de la spéculation", juge le numéro un de la CNL. "Il faut aussi parler de l'intérêt des aides fiscales à l'investissement locatif. Sont-elles vraiment efficaces ?", s'interroge-t-il. D'ailleurs, la CNL ne compte pas rester les bras croisés et va demander à ses adhérents de distribuer son plan logement et des cahiers de doléances dans les débats organisés un peu partout sur le territoire. Ils y poseront également des questions. L'association de défense des locataires réclame notamment une "sécurité sociale du logement", un peu à la manière de l'assurance chômage, lorsqu'un Français est confronté à un accident de la vie. Elle milite aussi pour la construction massive de logements sociaux et la généralisation des permis de louer.

Au contraire, les représentants des propriétaires sont vent debout contre les permis de louer, jugés contraignants pour les propriétaires honnêtes et totalement inefficaces pour lutter contre des marchands de sommeil qui ne respectent de toute façon aucune loi. "Pour nous, les problématiques sont le financement des travaux de rénovation énergétique, la fin de l'encadrement des loyers, l'alourdissement de la fiscalité. Il faut arrêter de taper sur les propriétaires et plutôt les aider", défend Pierre Hautus, directeur de l'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI). "On lance un appel aux propriétaires pour qu'ils aillent en parler dans les débats", indique-t-il. A l'instar de la CNL, l'UNPI mise donc aussi sur ses adhérents pour faire du logement un thème central. "Il faut laisser le temps au débat de s'installer. Le danger, c'est que les revendications les plus entendues ne soient pas les plus représentatives de ce que veulent les Français", craint-il.

La Fondation Abbé Pierre, qui publie son rapport annuel sur le mal logement ce vendredi, entend aussi peser dans les débats. "Notre contribution, c'est notre rapport national avec ses déclinaisons régionales", pointe Manuel Domergue. La Fondation Abbé Pierre ne devrait pas forcément intervenir formellement dans le grand débat. Mais elle portera le fer sur certains sujets. Outre le mal logement, la fiscalité est un élément crucial pour la fondation. "La fiscalité sur le logement rapporte beaucoup à l'Etat, mais elle pourrait être plus juste. La taxe carbone pourrait financer directement la rénovation énergétique, on pourrait revoir les valeurs cadastrales pour la taxe foncière et imposer davantage les successions", détaille Manuel Domergue. Si les différents acteurs de l'immobilier ont donc à cœur de défendre leur point de vue et leurs revendications, ils s'accordent au moins sur une chose : le grand débat ne pourra pas faire l'impasse éternellement sur la question du logement.

Jean Louis Dell'Oro