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Locations Airbnb: pourquoi la réglementation risque de devenir rapidement inapplicable à Paris

La mairie de Paris a essuyé plusieurs revers judiciaires face à Airbnb

La mairie de Paris a essuyé plusieurs revers judiciaires face à Airbnb - AFP

La justice européenne va trancher d'ici la fin de l'année différents litiges autour de la location saisonnière à Paris. Des décisions qui pourraient remettre en cause dans les grandes largeurs la législation française actuelle.

"Nouvelle opération de contrôle des logements de type Airbnb ce matin à Montmartre. Stop à cette économie de prédation qui transforme nos immeubles en hôtels clandestins et prive les Parisiens de logements". Ce jeudi 4 juillet sur son compte Twitter, l'adjoint communiste à la mairie de Paris en charge du logement Ian Brossat tape une nouvelle fois du poing sur la table. Si sa constance sur le sujet est indiscutable, l'édile a certainement également en ligne de mire les élections municipales de 2020 à Paris qui pointent à l'horizon. Car le dossier Airbnb pourrait bien devenir l'un des points de cristallisation du débat pour les prochaines élections.

Depuis des mois, la mairie de Paris mène une guérilla judiciaire tous azimuts contre la plateforme de location entre particuliers et les propriétaires qui ne respectent pas la loi. Rien qu'en 2018, la ville a obtenu 118 condamnations en justice (soit pratiquement une tous les trois jours), que ce soit en première instance ou en appel, concernant pas moins de 156 appartements mis en location dans la capitale. Avec à la clé la bagatelle de 2,1 millions d'euros d'amendes infligées. La municipalité n'épargne pas non plus le géant américain. En mai 2018, la mairie a assigné en référé la plateforme pour avoir diffusé des annonces sans numéro d'enregistrement. A cette occasion, elle saisit également un juge du fond (le référé est une procédure rapide pour régler un litige mais dont le jugement n'est que provisoire, en attendant que le fond du dossier soit jugé dans une autre procédure). Une stratégie voulue par la ville, qui a d'ailleurs été saluée par les hôteliers et les professionnels du tourisme, qui eux aussi ont maille à partir en justice avec Airbnb.

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Mais depuis quelques temps, les déconvenues judiciaires se multiplient pour les équipes juridiques d'Anne Hidalgo, la maire de la capitale. Et les prochains mois pourraient être particulièrement délicats pour la majorité en place. Le premier coup de massue a été donné le 15 novembre dernier. Dans une affaire opposant la mairie à des propriétaires, la Cour de cassation saisit la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Les juges français veulent notamment savoir si l'obligation faite aux loueurs de changer l'usage du logement (passer d'un local à usage d'habitation à un local à usage commercial) est bien conforme au droit européen et à la directive "services". Si ce n'est pas le cas, les propriétaires seraient a priori libres de louer leur bien comme bon leur semble. En attendant que la CJUE se prononce, vraisemblablement en fin d'année, les procédures sont gelées (y compris les amendes) et les différents tribunaux sursoient à statuer. Ce qui n'empêche pas pour autant la municipalité de continuer à accumuler les dossiers et à engager des poursuites contre les propriétaires peu scrupuleux.

Le droit français incompatible avec les règles européennes?

Difficile pour l'instant de savoir si les propriétaires obtiendront gain de cause devant la justice européenne. Ce qui pourrait entraîner la libéralisation de la location Airbnb en France pour les particuliers. Mais "la question posée est très sérieuse", juge Jean-Daniel Bretzner, avocat à la cour et associé du cabinet Bredin Prat, qui défend les intérêts d'Airbnb en France. Si Airbnb n'est pas lié directement à cette procédure judiciaire, ses avocats la regardent bien évidemment avec un œil attentif.

La plateforme de location est actuellement impliquée dans trois procédures judiciaires. Outre les deux affaires liées au numéro d'enregistrement sur les annonces qui l'opposent à la mairie de Paris (en référé et sur le fond donc), Airbnb a été attaquée en justice par les hôteliers et les professionnels du tourisme pour non-respect de la loi Hoguet, celle qui régit la profession d'agent immobilier. Pour l'instant, Airbnb mène largement aux points face à ses adversaires. Le 5 mars dernier, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, dans la procédure en référé, a sèchement renvoyé dans les cordes la mairie de Paris pour manque de preuve. En effet, des captures d'écran d'annonces sans numéro d'enregistrement ne prouvent pas que les biens concernés sont destinés "à la location de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile". Si ce jugement est provisoire en attendant celui sur le fond, les motifs de décision retenus dans le jugement sont encore plus embêtants pour la mairie de Paris. Ils font notamment référence à une potentielle incompatibilité du droit français avec les règles européennes. La question est de savoir si la directive 2000/31/CE s'applique à Airbnb, qui serait alors considérée comme une plateforme de commerce électronique.

Or, cette directive prévoit qu'une plateforme de ce type ne doit respecter que les contraintes du pays membre de l'UE dans lequel elle est implantée (en l'occurrence ici l'Irlande). Elle peut ensuite exercer son activité partout en Europe sans aucune restriction. La France n'aurait donc pas le droit d'imposer de règles particulières à Airbnb, sauf dans certains cas très délimités par le droit européen : pour protéger l'ordre public ("en particulier la prévention, les investigations, la détection et les poursuites en matière pénale, notamment la protection des mineurs et la lutte contre l'incitation à la haine"), en faveur de la protection de la santé publique, pour la sécurité publique et pour la protection des consommateurs. D'un point de vue juridique, les règles d'encadrement de la plateforme Airbnb en France ne semblent pas répondre à ces impératifs. Le problème est tellement sérieux que, dans l'affaire concernant les annonces sans numéro d'enregistrement, le juge du fond a renvoyé sa décision à octobre. D'ici là, la position de la justice européenne devrait être connue.

Les contraintes pesant sur la plateforme pourraient devenir caduques

Cette décision est justement liée à l'affaire qui oppose Airbnb aux hôteliers. Airbnb est-il un agent immobilier ou une plateforme électronique ? Là encore, coup dur pour les adversaires de la plateforme le 30 avril dernier. L'avocat général de la CJUE Maciej Szpunar, dont l'avis est pratiquement systématiquement suivi par les juges, estime que les règles françaises encadrant Airbnb en tant que plateforme sont contraires au droit européen et à la directive commerce électronique. Sur ce point la CJUE devrait trancher dans le courant de l'été ou juste après. "Nous sommes optimistes quant à l'issue de cette procédure", confie Jean-Daniel Bretzner. "La France a adopté la loi Alur, malgré les critiques très sévères de la Commission européenne à l'encontre du texte. Elle a durci la réglementation par la suite avec la loi Elan, avec beaucoup d'imperfections criantes vis-à-vis du droit européen, sur le fond comme sur la forme", poursuit-il.

Si la Cour de justice européenne rend une décision favorable à Airbnb, certaines contraintes françaises pesant sur la plateforme deviendront immédiatement caduques. Par exemple, il est probable qu'il ne soit plus possible d'appliquer les sanctions prévues par la loi Elan, qui prévoient des amendes allant jusqu'à 12.500 euros par annonce non conforme (par exemple sans numéro d'enregistrement) pour les plateformes de location saisonnière qui les diffusent, comme le dispose l'article L324-2-1 du Code du tourisme. De même, l'obligation de transmettre aux communes le nombre de jours au cours desquels un meublé de tourisme a été loué (ce qui, en cas de non-respect, peut être sanctionné par une amende de 50.000 euros par manquement) pourrait tomber.

De quoi compliquer la tâche des communes qui souhaitent encadrer la location saisonnière. Si, par ailleurs, la directive services s'applique aux particuliers qui louent sur les plateformes comme Airbnb ou Abritel, c'est toute la législation encadrant les locations de courte durée qu'il faudrait revoir pour la rendre conforme au droit européen.

Pas le droit de rentrer de force dans un appartement

Mais nous pourrions également arriver à une situation ubuesque si Airbnb obtient gain de cause devant la justice européenne (avec la directive commerce électronique) et qu'en même temps les particuliers perdent (en ce qui concerne la directive services). Les particuliers auraient alors toujours l'obligation d'obtenir un numéro d'enregistrement et de se conformer aux différentes règles de la location saisonnière. Toutefois, la plateforme Airbnb pourrait ne plus avoir à transmettre les données qui permettraient d'identifier les fraudeurs aux communes ni d'afficher les numéros d'enregistrement dans les annonces… Dans ce scénario, les communes ne pourraient donc compter que sur les contrôles de leurs agents municipaux, qui n'ont pas le droit de rentrer de force dans un appartement, tout du moins sans faire appel à un juge. Par ailleurs, il n'y a pas de communication automatique d'éléments financiers entre le fisc et les services de la mairie (même si à compter des revenus perçus en 2019, les plateformes comme Airbnb devront déclarer chaque année aux services des impôts les revenus versés à leurs utilisateurs). De quoi rendre, dans la pratique, très difficilement applicable la réglementation actuelle.

Le ministère du Logement se montre pour l'instant relativement optimiste. "Le ministère est confiant sur les arguments que nous avons pu exposer dans nos différents mémoires présentés devant la CJUE et la bonne fin de ces contentieux. Il est difficile aujourd’hui de se prononcer avant le rendu du jugement sur la stratégie de l’Etat s’il perdait. Si c’est le cas, Il faudra analyser les conclusions et la portée de ce jugement pour évaluer s’il y a lieu de modifier la loi et ce qu’il y aurait alors à modifier le cas échéant", nous explique le ministère de la Cohésion des territoires. "A noter que notre stratégie ne repose pas que sur la loi mais que les plateformes ont aussi pris des engagements volontaires pour un tourisme plus responsable. Bien sûr, elles peuvent décider de ne pas/plus les appliquer mais nous sommes confiants dans le fait qu’elles continueront à le faire car c’est la condition d’un développement équilibré de leur business", ajoute-t-on du côté de l'exécutif.

La ville de Paris compte bien peser dans les débats européens

La mairie de Paris, elle, se veut sereine. Elle estime même que des décisions défavorables de la CJUE ne feraient pas nécessairement tomber les obligations présentes dans le droit français. "Si la CJUE donnait raison à Airbnb en la qualifiant de prestataire de «service de la société de l’information» pouvant se prévaloir de la directive «commerce électronique», il n’en resterait pas moins que les obligations mises à la charge des plateformes (notamment d’insérer le numéro d’enregistrement des loueurs dans les annonces de locations meublées touristiques) sont conformes aux conditions posées par cette directive", estime ainsi la mairie. "De la même manière, si dans la procédure initiée par les loueurs, la CJUE considérait que la directive «services» s’applique, la législation qui concerne ces loueurs continue de s’appliquer et remplit les conditions posées par cette directive", assure la ville. En tout état de cause, il faudra attendre les deux jugements de la CJUE pour en connaître leur portée et leurs implications concrètes.

Et la mairie de Paris n'a pas dit son dernier mot. "Toutes les grandes villes européennes constatent les effets négatifs du développement de l'offre des locations de courte durée, avec la diminution du nombre de résidences principales et donc du nombre d’habitants et l’augmentation des résidences touristiques. Ces effets se ressentent aussi en dehors de l’UE, puisque partout les grandes villes (par exemple New York, San Francisco, Tokyo…) ont adopté des réglementations, parfois encore plus strictes qu’en Europe", explique la ville. "Parallèlement à ces actions judiciaires, la Ville de Paris agit donc de concert avec les autres villes européennes, par exemple Amsterdam, Bruxelles, Barcelone, Lisbonne, Madrid, ou encore Reykjavik, pour faire valoir auprès des instances européennes l’importance de réglementer la location meublée touristique, dans un contexte de crise du logement, et la nécessité que le droit de l’UE favorise ce contrôle", ajoute la mairie.

Dans cette bataille, du côté d'Airbnb, "la porte reste ouverte à la discussion" avec la mairie de Paris et les autorités françaises, assure Jean-Daniel Bretzner. "Le dialogue devrait être privilégié. Nous préférerions la concertation pour construire un encadrement des locations saisonnières réaliste", souligne-t-il. D'ailleurs, sous la pression de la Commission européenne qui lui avait lancé un ultimatum, Airbnb a accepté d'être plus transparent sur ses offres et ses tarifs pour les consommateurs. La Commission menaçait la plateforme de sanctions si elle ne se conformait pas à la législation européenne sur la protection des consommateurs. L'affichage du prix total de l'hébergement (avec les frais de service comme le nettoyage ou encore les taxes) sera visible désormais dès la première page de résultats. Comme quoi, Airbnb ne choisit pas toujours d'aller au clash.

N.B. : Cet article a été mis à jour après sa publication initiale avec des réactions et des précisions de la mairie de Paris

Jean Louis Dell'Oro