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"Logement, nous sommes tous des mutants", Marc Pietri, président-directeur général de Constructa

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La Vie Immobilière : Présent depuis plus de vingt ans aux Etats-Unis, comment analysez-vous la conjoncture du marché américain et ses conséquences éventuelles sur l'activité en France ? Marc Pietri : Il existe une interaction entre les Etats-Unis et l'Europe, car c'est le même argent qui tourne.

Personne ne peut prévoir la réaction des gros investisseurs, qui assurent la plus grande part du marché européen. Ces derniers peuvent diversifier leurs placements en augmentant leur exposition sur le marché français, qui est très sain, ou se détourner carrément du secteur de l'immobilier pour se replier sur d'autres actifs. Mais, pour l'instant, la réalité de la crise américaine n'est pas avérée. Le financement des projets immobiliers ne recoupe pas celui des acquéreurs de logements. Ce sont deux circuits distincts avec des acteurs différents. Il faut savoir que, lorsqu'une opération de promotion est lancée, elle est déjà commercialisée à hauteur de 50 à 60 %. Des grandes villes comme New York, Washington, Miami ou Las Vegas sont certes touchées par la spéculation, mais le reste du territoire reste relativement préservé. Même en cas de scénario catastrophe avec les subprimes, ces fameux crédits immobiliers à risque, l'impact en resterait limité. Il n'affecterait qu'une partie des primo-accédants américains, mais pas la clientèle étrangère ni l'immobilier d'entreprise. Ses effets en Europe seraient donc considérablement amortis.

La Vie Immobilière : Comment se porte le marché français de l'immobilier ?

Marc Pietri : En ce qui concerne le bureau, l'offre est de qualité. Le marché a été restructuré, capitalisé, remis aux normes. Il est aujourd'hui équilibré entre l'offre et la demande. Pour le logement, il n'existe aucune raison majeure qui annoncerait une crise significative car les taux d'intérêt restent faibles et les stocks, inexistants. La hausse va peut-être se ralentir, mais les prix vont rester élevés car la demande est largement supérieure à l'offre. L'inadaptation du marché du logement aux besoins des utilisateurs est d'ailleurs notre principal problème. En raison de l'évolution de la société et des mentalités, la demande a considérablement évolué. Divorces, déplacements du nord vers le sud, vieillissement de la population, familles monoparentales, néoruraux... nous sommes tous des mutants sur un secteur en pleine recomposition. Résultat, la classe moyenne perd sa capacité à acquérir un logement avec des prix qui ne sont pas maîtrisés. Une opération immobilière est beaucoup plus compliquée dans le résidentiel que dans le bureau. Cent logements égalent cent propriétaires donc cent interlocuteurs, avec des coûts de construction qui s'alourdissent tous les ans et de nouvelles procédures, certes justifiées, mais qui n'en font pas moins monter les prix. Autre facteur d'inflation : la surchauffe de l'activité dans le bâtiment. Si la France compte de grands constructeurs comme Eiffage, Vinci ou Bouygues, elle manque d'un tissu de PME qui pourraient intervenir sur les chantiers.

La Vie Immobilière : Comment réagissez-vous aux propositions des candidats à l'élection présidentielle ?

Marc Pietri : Entre les promesses de rendre les Français « tous propriétaires » qui renforcent la tendance au développement non contrôlé des coûts et les effets d'annonce portant sur les mises en construction de logements, les politiques n'ont pas pris la mesure de la gravité des problèmes. Il manque de 800 000 à 1 million de logements. C'est un enjeu, ou plutôt un risque national. Collectivement, nous sommes tous responsables. Il serait urgent de lancer des états généraux du logement pour remettre à plat nos façons de faire, dégraisser le trop-plein de règles administratives et relancer le dialogue entre tous les intervenants. Quant à l'Etat, qui a négligé depuis vingt ans de mettre le logement au centre de ses priorités et dont le système d'aide est obsolète et largement incompréhensible, il doit se montrer plus simple et plus directif en proposant des incitations vertueuses. Au lieu de pleurer sur les riches qui traversent les frontières pour fuir l'impôt de solidarité sur la fortune, pourquoi ne pas proposer des exonérations d'ISF en contrepartie d'investissements dans le logement social ?

La Vie Immobilière : Vous qui construisez des tours de grande hauteur à Marseille, pensez-vous que les gratte-ciel d'habitation ont de nouveau un avenir en France ?

Marc Pietri : Les expériences plus ou moins réussies du passé ne doivent pas figer toute réflexion. La technologie a évidemment changé. Je ne vois pas pourquoi les tours seraient une solution aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde et pas en France. L'impératif est de bien organiser la vie au sol, au pied de l'immeuble. En matière d'urbanisme, la tour offre même une chance de retrouver de la convivialité et de l'harmonie sociale car vous pouvez facilement mixer des bureaux, des hôtels, des commerces, des logements de toutes catégories, y compris sociaux, et, pourquoi pas, des maisons de retraite ou des résidences étudiantes. C'est une des rares solutions qui nous restent pour recréer de la mixité sociale

Propos recueillis par Françoise Rey

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